Education Cannot Wait Interviews UNICEF Executive Director Catherine M. Russell

 
Catherine M. Russell est devenue la huitième Directrice Générale de l’UNICEF le 1er février 2022.

Mlle Russell apporte à ce poste des dizaines d’années d’expérience dans l’élaboration de politiques novatrices qui donnent des moyens d’action aux communautés mal desservies du monde entier, notamment des programmes à fort impact qui protègent les femmes et les filles, y compris dans les crises humanitaires. Elle possède une grande expérience dans la mise en place, l’élévation et la gestion d’effectifs divers et dans la mobilisation de ressources et de soutien politique pour un large éventail d’initiatives.

De 2020 à 2022, Mlle Russell a servi dans le gouvernement américain en tant qu’Assistante du Président et Directrice du Bureau du Personnel Présidentiel de la Maison Blanche. Auparavant, elle a occupé de 2013 à 2017 le poste d’Ambassadrice Itinérante pour les Questions Mondiales Relatives aux Femmes au Département d’État Américain. À ce poste, elle a intégré les questions relatives aux femmes dans tous les éléments de la politique étrangère des États-Unis, a représenté les États-Unis dans plus de 45 pays et a travaillé avec des gouvernements étrangers, des organisations multilatérales et la société civile. Elle a été l’architecte principal de la “Stratégie Mondiale des États-Unis pour l’Autonomisation des Adolescentes”, une initiative révolutionnaire.

Auparavant, Mlle Russell a occupé les fonctions d’Assistante Adjointe du Président à la Maison Blanche sous la présidence de Barack Obama, de Conseillère Principale sur les Questions Internationales Relatives aux Femmes au sein de la Commission Sénatoriale des Affaires Étrangères, de Vice-procureur Général Associé au Ministère de la Justice et de Directrice du Personnel de la Commission Judiciaire du Sénat. Avant de réintégrer le service gouvernemental en 2020, elle a enseigné à la Harvard Kennedy School en tant qu’Institute of Politics Fellow (Boursier de l’Institut de politique). Elle a également été coprésidente du Conseil d’Administration du Women’s Foreign Policy Group (Groupe de politique étrangère des femmes), membre du conseil d’administration de Women for Women International, membre du Conseil Consultatif de Sesame Street, membre du conseil consultatif de l’organisation à but non lucratif KIVA et membre de l’Initiative Trust Women de la Fondation Thomson Reuters.

Mlle Russell est titulaire d’un Bachelor of Arts (Licence-ès-Lettres) en philosophie, magna cum laude, du Boston College et d’un Juris Doctor Degree (Doctorat en droit) de la George Washington University Law School (Faculté de Droit de l’Université George Washington).

Le 24 février 2022 en Afghanistan, la Directrice Générale de l’UNICEF Catherine Russell s’entretient avec des élèves d’une école communautaire soutenue par l’UNICEF dans le district de Dand à Kandahar. Crédit : UNICEF/Omid Fazel

ÉSD : Vous avez rejoint l’UNICEF en tant que Directrice Générale à un moment critique pour l’éducation. Depuis la création de l’initiative Education Sans Délai en 2016, l’UNICEF n’est pas seulement une organisation hôte mais aussi un partenaire de confiance et stratégique dans notre travail. L’UNICEF est essentiel pour garantir que les enfants pris dans des conflits armés, des déplacements forcés, des catastrophes liées au changement climatique et des crises prolongées puissent accéder à des environnements d’apprentissage sûrs et inclusifs. Comment pouvons-nous renforcer nos efforts pour atteindre plus d’enfants et d’adolescents à ce moment critique ?

Catherine M. Russell : Je vous remercie pour cette opportunité. Depuis que j’ai pris mes fonctions de Directrice Générale en février, j’ai constaté l’importance cruciale de l’éducation et de l’apprentissage pour tous les enfants, mais surtout pour ceux qui vivent dans des endroits touchés par des conflits et d’autres situations d’urgence. Chaque enfant a un droit égal à l’éducation, mais tous les enfants ne sont pas en mesure de réaliser ce droit de la même manière.

Je l’ai constaté lors de ma récente visite en Afghanistan, où les filles se voient refuser l’accès à l’enseignement secondaire. Ces filles ne sont pas seulement privées de leur droit d’apprendre. Elles ne profitent pas de l’espoir et des opportunités que l’éducation leur apporte, à elles, à leurs familles et à leurs communautés.

Pour atteindre chaque enfant en Afghanistan, l’UNICEF continue de travailler avec de nombreux partenaires – notamment avec ÉSD, qui soutient des programmes d’éducation en Afghanistan depuis 2017, en mettant l’accent sur l’éducation des filles et l’éducation communautaire.

La guerre en Ukraine a un impact dramatique sur 5,7 millions d’enfants – dont des millions ont été déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Des centaines d’écoles ont été attaquées, et des millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Ces enfants ne manquent pas seulement l’apprentissage, ils manquent aussi le soutien social et émotionnel que l’apprentissage en face à face apporte dans des périodes aussi sombres.

Lorsque j’étais en Roumanie au début de la guerre, j’ai vu à quel point certains de ces enfants étaient traumatisés et quels étaient les défis auxquels ils étaient confrontés. Mais j’ai aussi vu à quel point ils sont désireux d’apprendre – et l’espoir que l’éducation représente pour eux. Je suis fière que l’UNICEF soutienne l’éducation de centaines de milliers d’enfants ukrainiens, notamment en fournissant des fournitures scolaires et du matériel pour le développement de la petite enfance.

Ce ne sont là que quelques exemples pour donner une idée de l’urgence de la situation. Dans le monde, des millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés – et des millions d’autres n’apprennent pas.

Avant la pandémie, plus de la moitié des enfants de 10 ans dans les pays à revenu faible ou intermédiaire étaient incapables de lire et de comprendre un récit simple. Les fermetures d’écoles et l’accès inéquitable aux possibilités d’apprentissage ont déjà augmenté ce chiffre de façon spectaculaire – et si nous n’agissons pas, la situation ne fera que s’empirer.

L’UNICEF, la Banque Mondiale et l’UNESCO appellent les gouvernements à prendre des mesures “RAPIDES” pour atteindre chaque enfant et les retenir en classe, pour évaluer leurs niveaux d’apprentissage, pour donner la priorité à l’enseignement des éléments constitutifs de l’apprentissage tout au long de la vie, pour augmenter l’apprentissage de rattrapage et aider les enfants à progresser, et pour développer le soutien psychosocial afin de promouvoir le bien-être, de sorte que chaque enfant soit prêt à apprendre.

Pour que chaque enfant apprenne, nous avons besoin d’une action collective qui donne la priorité aux enfants les plus marginalisés – y compris les enfants touchés par la crise. Un investissement accru et durable dans les systèmes éducatifs nationaux, y compris dans le personnel de l’éducation, est le seul moyen d’empêcher que la crise mondiale de l’apprentissage ne devienne une catastrophe mondiale. Si nous n’agissons pas, ce sont ces enfants qui paieront le prix le plus élevé. Mais nos sociétés et nos économies en ressentiront également les effets pendant des décennies.

Le 4 avril 2022, en République Démocratique du Congo, la Directrice Générale de l’UNICEF Catherine Russell (à gauche) visite l’école primaire Nizi à Goma. De nombreuses écoles ont été détruites lors de l’éruption du volcan Nyiaragongo en mai 2021. Crédit : UNICEF/Diana Zeyneb Alhindawi

ÉSD : L’éducation en situation d’urgence ne représente généralement que 2 à 4 % de l’aide humanitaire internationale. La part de l’éducation a diminué pendant la pandémie dans l’aide publique au développement, et les pays n’ont alloué que 3 pour cent de leurs plans de relance COVID-19 à l’éducation. Comment ÉSD, les donateurs publics, le secteur privé et l’UNICEF peuvent-ils contribuer à relever ce défi alors que nous faisons la course ensemble pour atteindre les Objectifs de Développement Durable, en particulier l’ODD4 ?

Catherine M. Russell : L’éducation est l’un des investissements les plus critiques qu’un gouvernement puisse faire. Rien que les retours économiques sur investissement devraient placer l’éducation en tête de liste des priorités de financement.
Malheureusement, il y a un manque alarmant d’investissements pour répondre à la crise croissante de l’apprentissage. Les gouvernements, les donateurs, le secteur privé et les partenaires stratégiques doivent travailler ensemble pour garantir un financement suffisant, efficace et équitable de l’éducation au niveau mondial et national.

Cela signifie plus de financement, mais aussi un financement meilleur et plus équitable – en veillant à ce que ceux qui en ont le plus besoin reçoivent leur juste part. Les recherches de l’UNICEF ont montré que dans certains pays, les enfants des ménages les plus pauvres ne reçoivent que 10 % ou moins des dépenses publiques d’éducation. Ce n’est tout simplement pas juste.

L’UNICEF demande instamment aux gouvernements d’investir 20 % de leurs budgets nationaux dans l’éducation et de diriger les fonds vers les communautés qui en ont le plus besoin, notamment les enfants et les jeunes touchés par les conflits et les crises. Nous appelons également la société civile et le secteur privé à se rallier aux enfants touchés par les conflits et les crises, notamment en soutenant l’initiative “‘Éducation Sans Délai”. Ces enfants ont le même droit que les enfants du monde entier d’accéder à une éducation de qualité. Mais nous avons besoin d’un financement durable et flexible pour atteindre chaque enfant.

Le 22 février 2022, la Directrice Générale de l’UNICEF Catherine Russell (à gauche) interagit avec des élèves d’Islamabad Model School for Girls G9 (l’École Modèle pour Filles G9 d’Islamabad), où les enseignants utilisent un mélange innovant d’apprentissage numérique et traditionnel pour enseigner aux enfants. Crédit : UNICEF/Asad Zaidi

ÉSD : L’éducation est le grand égalisateur. Comment l’ODD4 peut-il- “assurer une éducation de qualité inclusive et équitable et promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous” – et nous aider à atteindre les autres cibles des ODD et pourquoi l’éducation est-elle importante pour assurer la sécurité mondiale et le développement durable ?

Catherine M. Russell : À bien des égards, l’ODD4 sur l’éducation est le fondement des ODD. L’éducation a un impact considérable sur la santé, la richesse, la sécurité et l’égalité des communautés. Par exemple, l’enseignement secondaire pourrait sortir 420 millions de personnes de la pauvreté.

L’éducation des filles offre des avantages supplémentaires. Lorsque nous investissons dans l’éducation des filles, leurs revenus futurs augmentent, les taux de mariage des enfants diminuent et les taux de mortalité maternelle baissent. Elle est essentielle pour débloquer un avenir plus équitable entre les sexes, plus prospère et plus sain pour tous.

Dans les situations d’urgence, les écoles donnent un sentiment crucial de normalité et de sécurité, et permettent aux enfants et à leurs parents d’accéder aux services de santé, de santé mentale et psychosociaux essentiels. L’éducation fournit également aux enfants des informations vitales, notamment pour ceux qui vivent dans des zones contaminées par des munitions non explosées ou dans des zones à haut risque climatique.

L’ODD4 ne vise pas seulement à scolariser les enfants. Il comprend également un objectif clair visant à assurer un enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité – et de meilleurs résultats d’apprentissage. Malheureusement, de nombreux systèmes éducatifs dans le monde n’atteignent toujours pas cet objectif.

Les enfants et les jeunes comptent sur nous pour redoubler d’efforts. Ils ont tellement envie d’apprendre. Ils savent à quel point cela en dépend. Et ils font entendre leur voix et agissent.

Lors de ma visite au Pakistan, où plus de 22 millions d’enfants âgés de 5 à 16 ans ne sont pas scolarisés, j’ai entendu directement des jeunes parler du pouvoir de l’éducation. J’ai rencontré Shahnaz, qui voulait tellement aller à l’école que lorsqu’un centre d’apprentissage accéléré réservé aux garçons a ouvert dans son village, elle a décidé de s’habiller en garçon pour pouvoir entrer dans le centre.

J’ai également rencontré une jeune fille qui se déplace en fauteuil roulant – et qui m’a demandé de rappeler au monde que les enfants handicapés sont souvent les plus exclus de tous.

Nous devons atteindre ces enfants – et nous devons faire correspondre leurs rêves et leurs ambitions à des engagements et des actions concrètes.

Il nous reste moins de huit ans pour réaliser l’ODD4, et pas un instant à perdre. Il est urgent que les gouvernements mettent en œuvre le cadre RAPIDE pour soutenir l’éducation corrective et permettre à chaque enfant d’apprendre, maintenant.

Le 26 avril 2022, la Directrice Générale de l’UNICEF Catherine Russell interagit avec des enfants dans un espace ami des enfants soutenu par l’UNICEF sur le site des Personnes Déplacées à l’Intérieur du pays (PDI) de Higlo, en Éthiopie. Crédit : UNICEF/Zerihun Sewunet

ÉSD : Le monde se réunira en septembre pour le Sommet sur la transformation de l’éducation, convoqué par le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres. Comment pouvons-nous profiter de ce moment pour ré-imaginer une prestation plus efficace d’une éducation de qualité pour les plus de 222 millions d’enfants touchés par la crise qui ont besoin d’un soutien éducatif urgent ?

Catherine M. Russell : Le Sommet sur la Transformation de l’Éducation de septembre est un moment charnière. Les yeux du monde entier étant tournés vers l’éducation, nous devons saisir cette occasion pour que tout le monde soutienne l’apprentissage, pour chaque enfant – y compris ceux qui vivent des crises.

L’UNICEF soutient les consultations nationales et les occasions pour les pays de discuter de leurs feuilles de route pour la reprise de l’éducation – et au-delà. Nous profitons de cette occasion pour demander une action urgente et concrète afin de résoudre la crise de l’apprentissage, en donnant la priorité aux enfants les plus marginalisés. Les bureaux de pays et les bureaux régionaux de l’UNICEF dans le monde entier travaillent avec leurs gouvernements pour susciter le changement au niveau national.

Le Pré-sommet et le Sommet seront des moments cruciaux pour que les pays partagent les plans et les actions issus de ces consultations nationales. Nous devons également partager les meilleures pratiques, apprendre les uns des autres et établir des feuilles de route pour la reprise et la transformation.

Bien que le Sommet soit important, il ne doit pas être le point final de nos efforts. Nous devons regarder au-delà de septembre, vers 2023, 2030 et au-delà.

L’UNICEF s’engage à travailler avec ses partenaires pour assurer le suivi et aller de l’avant – et nous travaillons en étroite collaboration avec les jeunes eux-mêmes. Nous avons besoin de leur point de vue et de leurs idées. Il sera passionnant de voir ces efforts porter leurs fruits à court et à long terme.