La Quête de Sasakawa, qui a Fait Date, pour Mettre Fin à la Discrimination des Personnes Atteintes de la Lèpre

Johannesburg, 30 janvier 2022 (IPS) – Pour l’Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS pour l’Élimination de la Lèpre, Yohei Sasakawa, garantir les droits de l’homme des personnes affectées est fondamental dans la campagne d’éradication de la maladie.

Dans une interview exclusive avec IPS à la veille de la Journée Mondiale des Lépreux, il s’est souvenu de sa première rencontre avec des personnes atteintes de la lèpre, disant qu’elles étaient “sans rêves ni espoirs et qu’il n’y avait pas de lumière dans leurs yeux.”

Le père de Sasakawa, Ryoichi, avait serré dans ses bras les patients de l’hôpital nouvellement ouvert en Corée. Il avait alors compris que rendre l’espoir aux personnes touchées par la lèpre pourrait être l’œuvre de sa vie.

Ce travail s’est poursuivi pendant plus de 40 ans, mais il n’est pas encore terminé.

“Des personnes qui devraient faire partie de la société restent isolées dans des colonies confrontées à des difficultés”, déclare Sasakawa, qui est également président de la Nippon Foundation (Fondation Nippone).

“N’est-il pas étrange qu’une personne guérie d’une maladie ne puisse pas prendre sa place dans la société ? J’ai réalisé tardivement que si l’aspect des droits de l’homme n’était pas abordé, l’élimination de la lèpre au sens propre ne serait pas possible”, ce qui explique la raison pour laquelle j’ai approché les Nations Unies en 2003.

C’est ainsi qu’une résolution sur l’élimination de la discrimination à l’égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille a été adoptée à l’unanimité par 192 pays votant à l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Si Covid-19 a temporairement mis fin à ses voyages, son travail est loin d’être terminé. Une fois la pandémie terminée, M. Sasakawa a l’intention de poursuivre ses voyages dans le monde entier afin d’embarquer des responsables et des hommes politiques de premier plan – présidents et premiers ministres – tout en donnant de l’espoir aux personnes touchées.

En attendant, la campagne mondiale “N’Oubliez pas la Lèpre” menée par l’Initiative Sasakawa contre la Lèpre se poursuit. Cette initiative associe stratégiquement l’Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS pour l’Élimination de la Lèpre, la Sasakawa Health Foundation (Fondation de Santé Sasakawa) et la Nippon Foundation pour parvenir à un monde sans lèpre.

Sasakawa affirme que son message est clair : 1) La lèpre est guérissable. 2) Les médicaments sont gratuits. 3) La discrimination n’a pas sa place.

“Lorsque des personnes sont encore victimes de discrimination, même après avoir été guéries, la société est malade. Si nous pouvons guérir la société de cette maladie qu’est la discrimination, cela fera date.”

Yohei Sasakawa, président de la Nippon Foundation, est Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS pour l’Élimination de la Lèpre depuis 2001. Il joue un rôle de premier plan dans l’Initiative Sasakawa contre la Lèpre (maladie de Hansen), qui a organisé la campagne “N’Oubliez pas la Lèpre”.

Voici des extraits de l’interview :

Cecilia Russell : Dans votre message au monde à l’occasion de la Journée Mondiale des Lépreux, vous avez exprimé la crainte que la diminution du nombre de cas détectés soit due au fait que la pandémie de Covid-19 a entraîné une diminution des tests. Comment les personnes touchées par la lèpre peuvent-elles se remettre en selle ?

Yohei Sasakawa : De nombreuses questions ont été mises de côté à cause de la pandémie de Covid-19, parmi lesquelles les défis posés par la lèpre, également connue sous le nom de maladie de Hansen. Selon la Mise à Jour Globale sur la Lèpre pour 2020, le nombre de nouveaux cas a diminué de 37 % d’une année sur l’autre en raison des perturbations des activités de recherche de cas. On craint que les cas cachés n’entraînent une augmentation de la transmission et ne se traduisent par un plus grand nombre de cas d’invalidité. D’autre part, bien que les chiffres varient d’un pays à l’autre, le taux global d’achèvement du traitement reste au même niveau que l’année précédente, ce qui indique que les parties prenantes travaillent dur pour maintenir les prestations, même au milieu de la pandémie mondiale.

Même en temps normal, les ministères de la santé sont compétents pour toutes sortes de maladies. Cependant, par rapport à des maladies telles que la tuberculose, le sida ou le paludisme, les cas de lèpre sont peu nombreux, de sorte que les budgets et le personnel sont limités. Les patients, quant à eux, peuvent ne pas se rendre à l’hôpital parce que la longue histoire de stigmatisation liée à la maladie rend la chose difficile, ou parce qu’à ses premiers stades, les symptômes sont indolores. C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire de rencontrer les dirigeants du pays et de leur demander de lancer un appel à l’élimination de la lèpre. Une fois que la situation du COVID se sera apaisée, je veux visiter des pays et encourager les présidents et les premiers ministres à reconnaître l’importance de cette question et à solliciter leur coopération pour aider à la reprise des activités de lutte contre la maladie.

En même temps, je pense que la participation des personnes qui ont connu la maladie est également très importante. Il y a tellement de choses que les gens peuvent faire, comme la recherche active de cas, le soutien mental des personnes en traitement et la sensibilisation. En 2011, l’OMS a publié des lignes directrices sur le renforcement de la participation des personnes touchées par la lèpre aux services de lutte contre la lèpre dans ces zones, afin d’améliorer la qualité de ces services.

CR : Vous avez choisi comme œuvre de votre vie de sensibiliser à la fois à la maladie et à l’impact de la stigmatisation de la lèpre. Ce stigmate est très ancien et était considéré comme un signe d’impureté à l’époque biblique chrétienne. Comment la prise de conscience de la lèpre en tant que problème de droits de l’homme a-t-elle changé la perception de la maladie ? Que faut-il faire de plus ?

YS : J’ai commencé à travailler sur la lèpre dans les années 1970 et je suis l’Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS pour l’Élimination de la Lèpre depuis 2001. Des personnes qui devraient faire partie de la société restent isolées dans des colonies et sont confrontées à des difficultés. Plus on se penche sur la question, plus on voit les restrictions auxquelles ils sont soumis, y compris les restrictions légales dans certains cas. N’est-il pas étrange qu’une personne guérie d’une maladie ne puisse pas prendre sa place dans la société ? J’ai réalisé tardivement que si l’aspect des droits de l’homme n’était pas abordé, l’élimination de la lèpre au sens propre ne serait pas possible. C’est à ce moment-là que j’ai pris contact avec les Nations Unies pour la première fois en 2003.

En 2007, le gouvernement japonais m’a nommé Ambassadeur de Bonne Volonté pour les Droits de l’Homme des Personnes Touchées par la Lèpre. La collaboration avec le gouvernement japonais a abouti, en décembre 2010, à une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination à l’égard des personnes touchées par la lèpre et des membres de leur famille, appelant les États à prendre pleinement en considération les Principes et Directives. La résolution avait été adoptée à l’unanimité par 192 pays.

La discrimination à l’égard des personnes touchées par la lèpre et de leurs familles ne devrait jamais être tolérée. C’est pourquoi les Principes et Directives avaient été approuvés.

Bien qu’ils ne soient pas contraignants, compte tenu du fait que même les traités ratifiés par les États, tels que la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées, la Convention relative aux Droits de l’Enfant et la Convention-Cadre pour la Lutte Antitabac, sont difficiles à mettre en œuvre, nous devons les considérer comme un outil à utiliser par les parties prenantes, y compris les personnes atteintes de la lèpre, lorsqu’elles plaident auprès des gouvernements pour résoudre les problèmes.

Lorsque des personnes sont toujours victimes de discrimination, même après avoir été guéries, la société est malade. Si nous pouvons guérir la société de cette maladie – la discrimination – cela fera date.

CR : Pourriez-vous parler à nos lecteurs de votre père et du rôle qu’il a joué en vous incitant à faire de cette mission l’œuvre de votre vie ?

YS : Mon père, Ryoichi, a également été membre du Parlement. C’était un homme particulièrement compatissant envers les personnes vulnérables et il leur a consacré sa vie. Concernant la lèpre, en particulier, il y a eu un incident où une jeune femme vivant dans le quartier avait soudainement disparu, et il a découvert plus tard qu’elle avait été mise à l’écart à cause de la lèpre. Il avait un sens très aigu de la justice et s’était insurgé contre le fait qu’une chose aussi déraisonnable ait été autorisée sur la base d’une maladie.

En 1962, mon père créa la Fondation Japonaise de l’Industrie de la Construction Navale, l’ancêtre de la Nippon Foundation, et a commencé des activités de contribution sociale. En 1967, il a commencé à travailler sérieusement à la réalisation de son rêve de longue date d’éradiquer la lèpre en construisant de nouvelles installations pour un centre pour lépreux à Agra, en Inde. Avec la création de la Sasakawa Memorial Health Foundation (aujourd’hui Sasakawa Health Foundation) en 1974, les efforts pour lutter contre la maladie se sont intensifiés.

Mon père a construit des hôpitaux pour lépreux, principalement en Asie du Sud-Est. J’étais jeune et je l’accompagnais souvent, mais je n’entrais pas dans les hôpitaux. Au milieu des années 1970, il a répondu à une demande de construction d’une léproserie en Corée. Je l’ai accompagné à la cérémonie d’ouverture et je suis entré dans un hôpital pour lépreux pour la première fois. Tout le monde était assis sur le lit qui nous faisait face, mais ils étaient complètement inexpressifs. Leurs visages étaient de couleur cendrée ; ils n’avaient ni rêves ni espoirs, et il n’y avait aucune lumière dans leurs yeux.

J’ai été vraiment surpris de voir mon père aller vers chaque lit, prendre chaque personne dans ses bras et l’encourager d’une manière très naturelle, sans se soucier du pus qui suintait de ses bandages. En découvrant un monde que je n’avais jamais rencontré auparavant et en voyant avec quel naturel mon père se comportait, je me suis demandé si ce serait le travail de ma vie. Depuis lors, je suis actif dans le domaine de la lèpre.

CR : Dans certains pays, les personnes atteintes de la lèpre sont encore confinées dans des léproseries. Comment pensez-vous que votre rôle d’Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS et la campagne “N’Oubliez pas la Lèpre” vont changer ces perceptions sur une maladie qui peut être traitée ? Que faut-il faire pour changer la perception de la lèpre et supprimer la stigmatisation ?

YS : Il est très important de réfléchir stratégiquement à la manière de sensibiliser les gens à l’importance de ce problème et à la façon de le résoudre. Il faut convaincre les chefs d’État de chaque pays. Si un budget est alloué à la suite d’une rencontre avec le chef d’État et d’une explication de la situation, si le président l’ordonne, alors le responsable du ministère de la santé ou le responsable du programme anti-lépreux seront grandement encouragés dans leur travail.

D’autre part, il est également très important d’atteindre les nombreuses personnes qui ne connaissent pas la lèpre et de dissiper leurs craintes en leur expliquant que ce n’est pas héréditaire, que ce n’est pas une punition divine, que ce n’est pas hautement contagieux. Partout où je vais, je souligne toujours : 1) la lèpre est guérissable ; 2) les médicaments sont gratuits ; 3) la discrimination n’a pas sa place. Pour cela, l’aide des médias est nécessaire, et l’une de mes tâches les plus importantes est donc de mettre en place une stratégie médiatique appropriée.

De plus, comme nous vivons maintenant à une époque où chaque individu peut rendre publiques les questions relatives à la lèpre via les médias sociaux, je pense qu’il est important que chaque personne concernée par ces questions les soulève activement, non pas comme des questions affectant quelqu’un d’autre, mais comme des questions personnelles.

CR : Vous avez participé à de nombreux autres projets humanitaires, en dehors de votre association avec la lèpre depuis 40 ans et de votre rôle d’Ambassadeur de Bonne Volonté de l’OMS pour l’Élimination de la Lèpre. Vous avez notamment participé à la campagne “Change for Blue” et vous avez été l’envoyé spécial du gouvernement japonais pour tenter d’instaurer la paix au Myanmar. Avez-vous une philosophie du travail humanitaire qui vous guide ?

YS : L’une de mes philosophies de vie est le “principe du terrain” : les problèmes et leurs solutions se trouvent sur le terrain. Une autre est que les actions sociales exigent que vous gardiez votre enthousiasme débordant, quel que soit votre âge, et que vous ayez la force mentale de résister à toutes les difficultés. En outre, il faut persévérer jusqu’à l’obtention de résultats. J’ai agi sur la base de ces trois idées.

CR : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter ?

YS : Il y a plus d’un milliard de personnes dans le monde qui vivent avec un handicap, y compris les personnes atteintes de la lèpre. Nous devons créer une société inclusive où chacun peut recevoir une éducation, trouver un emploi et se marier s’il le souhaite. Les gens ont la passion et la motivation ; souvent, tout ce qui leur manque, c’est une opportunité.

J’aimerais créer une société où chacun se sent pleinement engagé, capable d’exprimer ses opinions et apprécié. L’ère à venir doit être celle de la diversité, et pour cela, nous avons besoin de l’inclusion sociale. Il y a tant de capacités et de potentiel dans le monde, et la participation de tous à la société créera un avenir vraiment merveilleux.

C’est pourquoi il est important que les personnes touchées par la lèpre aient confiance en elles et s’expriment. Pour les soutenir, la Sasakawa Health Foundation et la Nippon Foundation les aident à renforcer leurs capacités organisationnelles. J’aimerais voir une société dans laquelle chacun est actif, capable d’exprimer ses opinions aux autorités en toute confiance, et où sa contribution est valorisée.