CIÉNAGA DE ZAPATA, Cuba, 18 déc (IPS) – Les 18 communautés de Ciénaga de Zapata, à Cuba, les plus grandes zones humides aux Caraïbes, ont longtemps survécu grâce à l’abondance de la chasse et la pêche locales et en produisant du charbon de bois. Mais cela n'est plus possible, en raison du changement climatique.
Il y a quelques années, c’était inconcevable que les personnes vivant dans le marais de Zapata, une réserve de biosphère reconnue par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) dans l'ouest de Cuba, cessent un jour d'utiliser la forêt de la région pour fabriquer du charbon de bois, extraire des bois précieux, ou chasser le crocodile et le cerf.
“Nous avions l’habitude de piller la flore et la faune”, a déclaré Mario Roque, un habitant de la localité qui vit sur la petite baie isolée de Batey Caletón, à 200 kilomètres au sud de La Havane. “Je faisais même du braconnage en tant que pêcheur. Mais j'ai appris comment mener une vie meilleure tout en causant moins de dommages à la nature”, a-t-il indiqué à IPS.
Des habitants entreprenants des zones humides comme Roque explorent spontanément des initiatives d'écotourisme soucieuses de l'environnement, la production de petits animaux et les petits jardins, dont aucun n'était courant dans cette région où les gens ont toujours été des chasseurs, des cueilleurs et des pêcheurs.
Roque, ou “Mayito”, comme tout le monde l’appelle, a commencé à louer quatre chambres dans sa maison aux touristes après que le gouvernement communiste de Cuba a étendu la portée de l'initiative privée en 2010.
Comme lui, beaucoup d’habitants locaux à Playa Girón, Playa Larga, Caletón et dans d'autres communautés côtières dans les zones humides ont accroché des panneaux portant l’inscription “chambres à louer” devant leurs maisons.
Seulement 9.300 personnes vivent à Ciénaga de Zapata d’une superficie de 4.322 km carrés, la municipalité ayant la plus faible densité de population dans ce pays de 11,2 millions d’habitants.
La richesse de la région réside dans ses vastes forêts et marécages qui couvrent 1.670 km carrés, et plus de 165 espèces migratrices et indigènes, comme le crocodile cubain (Crocodylus rhombifer).
En 2000, l’UNESCO a déclaré ces zones humides, qui occupent toute la péninsule de Zapata et les régions environnantes, une réserve de biosphère. Un an plus tard, la Convention de Ramsar l’a mise sur sa liste des zones humides d'importance internationale.
“Les touristes qui viennent ici sont des amoureux de la nature, et ils se sentent heureux quand ils voient que nous aimons aussi la nature”, a déclaré Roque, qui sert à ses clients du poisson-scorpion (Pterois antennata), une espèce exotique envahissante qui endommage l’écosystème marin de la péninsule.
“Tous les jours, je dois plonger plus en profondeur avant de trouver du poisson-scorpion”, a-t-il indiqué avec fierté.
Il nourrit ses clients avec des œufs et la viande de lapin provenant de son propre petit élevage, ainsi que des herbes, des épices et des légumes qu'il cultive dans son jardin écologique. Sur le toit de sa terrasse, il dispose d'un chauffe-eau solaire fabriqué à partir de bouteilles et canettes plastiques recyclées. “J'économise 500 pesos [20 dollars] par mois depuis que je l'ai installé”, a-t-il déclaré.
Presque sans s'en rendre compte, Roque a adopté des mesures d'adaptation au réchauffement climatique, un phénomène qui pourrait augmenter le niveau d'eau dans la mer dans la région de 85 cm d'ici à 2050, ce qui toucherait entre 60 et 80 pour cent du marais, a souligné Ángel Alfonso, un géographe.
Les zones humides couvrent 9,3 pour cent de la surface terrestre de Cuba, et sont extrêmement vulnérables et au même moment cruciales pour atténuer l'augmentation prévue de la température, l'intrusion de la mer et l'intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, a-t-il expliqué à IPS.
“Elles protègent la vie intérieure”, a-t-il souligné, car elles filtrent et purifient l'eau contaminée tout en servant de barrières côtières contre les marées hautes, les ouragans et la salinisation de l'eau douce. Au total 25 pour cent de la productivité nette des écosystèmes de Cuba et plus de 40 pour cent de ses services environnementaux dépendent des zones humides.
Ciénaga de Zapata, dans la province de Matanzas, a des points faibles quand il s'agit de survivre aux menaces futures, bien que ce soit le système de zones humides le mieux préservé dans les îles des Caraïbes, a indiqué Alfonso.
Ses eaux souterraines et de surface ont été salinisées, le système de marais a été fragmenté, et il y a des déséquilibres dans son fonctionnement écologique, a-t-il souligné.
L'abattage des arbres et le braconnage des espèces protégées ou menacées comme le crocodile cubain n'ont pas non plus été complètement éliminés, tout comme il existe encore des fours à charbon de bois illégaux qui utilisent le bois des espèces hors des limites telles que les mangroves.
“Quand vous prenez un bateau le long de la côte, vous voyez des chasseurs de crocodiles et des fours à charbon de bois dans la forêt”, a déclaré à IPS un biologiste sous couvert de l'anonymat.
Leyaní Caballero qui était dans la délégation du ministère de la Science, la Technologie et de l'Environnement, qui s’est rendue dans le marais, a affirmé: “il existe des lois et règlementations qui protègent ces ressources, mais elles ne sont pas toujours appliquées. Certaines personnes les violent par ignorance ou parce que c'est le seul moyen qu'elles connaissent pour répondre à leurs besoins”.
“Un mécanisme de gestion devrait être créé afin que les gens qui vivent dans la réserve profitent de la forêt, sans être entraînés par la recherche du profit”, a-t-elle indiqué. “Il n'existe pas non plus un plan intégral de développement durable, en ligne avec les stratégies générales du pays”.
* Le groupe de théâtre des enfants d’El Bosque chantant une chanson sur la protection des zones humides, pour lesquelles Cuba demande le statut de Site du patrimoine mondial. Crédit: Jorge Luis Baños/IPS