SERBIE: Survivre calmement grâce au 'panier de la solidarité'

BELGRADE, 17 déc (IPS) – Aux premières heures du matin, pendant que des centaines de gens prennent leur petit déjeuner dans une boulangerie animée de la rue Beogradska à Belgrade, la capitale de la Serbie, un panier très spécial se remplit rapidement de croissants, de petits pains. C'est le 'panier de la solidarité'.

C'est un concept que près de 60 boulangeries à travers la Serbie ont introduit. Tout en commandant quelque chose pour eux-mêmes, les clients achètent un petit pain, un croissant supplémentaire et le dépose dans le panier – pour les nécessiteux.

“Environ un client sur 10 achète un article supplémentaire et le laisse dans le panier de la solidarité”, a déclaré Veljko Antic, un boulanger.

“Ceux qui dépendent de ces morceaux viennent beaucoup plus tard. Ils s'infiltrent généralement et s’en vont à la hâte en marchant. Ils ont honte, sont tristes et déprimés… C'est pourquoi nous avons placé le panier près de l'entrée de notre boulangerie afin de ne pas en rajouter à leur honte”, a indiqué Antic à IPS.

C'est la première initiative du genre puisque la pauvreté frappe durement la Serbie. Des campagnes similaires se déroulent dans les pays voisins aussi, essentiellement des nations nées de la Yougoslavie d'antan.

Les dernières statistiques montrent que 700.000 personnes en Serbie, qui a une population de 7,2 millions d’habitants, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Tel que défini par la Banque mondiale, cela signifie qu'elles survivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Sur 1,02 million d'enfants âgés de 0 à 14 ans en Serbie, 12 pour cent sont pauvres et 6,6 pour cent souffrent de malnutrition, selon les données officielles.

Le 'repas de la solidarité' a été introduit par un groupe de jeunes passionnés de l'internet du site web www.kioskpages.com qui fait la promotion des achats en ligne. L'inspiration pour leur initiative – “Exprimez la solidarité, achetez de la nourriture pour ceux qui en ont besoin” – est venue d'Italie, où les gens laissent de petites monnaies après avoir pris du café pour les personnes qui ne peuvent pas se l’acheter.

“Nous avons apprécié l'idée, mais nous avons décidé de nous concentrer sur la nourriture”, a expliqué à IPS, Nina Milos, 24 ans, originaire de Kioskpages. “Des gens en Serbie ont plus besoin de la nourriture que du café”.

La Serbie a au total 68 soupes populaires gérées par la Croix-Rouge, mais certaines risquent de fermer en raison du manque de fonds. Les responsables de la Croix-Rouge ont pendant longtemps affirmé que leurs efforts ne sont pas suffisants pour nourrir les nécessiteux.

“Nous étions inquiets par rapport à la logistique pour atteindre les différents groupes de personnes – qui introduiraient le repas de la solidarité, qui l’appuieraient, qui l’utiliseraient, puisque ces dernières n’ont certainement aucun accès à l'internet”, a déclaré Milos.

“C'est pourquoi nous avons opté pour des affiches dans les boulangeries, des annonces dans les journaux gratuits et nous nous sommes également mis en réseau avec les ONG qui travaillent avec les personnes sans-abri ou pauvres”, a-t-elle ajouté.

Selon elle, la campagne a bien marché à Belgrade et à Novi Sad, une ville dans le nord du pays.

Et ce n'est pas tout, a-t-elle déclaré. Beaucoup de vendeurs/vendeuses de fruits et légumes ont commencé à offrir gratuitement les fruits et légumes qu'ils/elles n'ont pas vendus au cours de la journée. “Plusieurs plats à emporter sont entrés dans la danse”, a indiqué Milos.

Une campagne similaire est en train d’être introduite en Macédoine voisine aussi. Selon elle, 10 boulangeries de la capitale, Skopje, et la ville de Kumanovo ont adhéré à l'initiative.

“La solidarité est devenue un mot oublié en Serbie”, a déclaré à IPS, Miljana Radojevic, une psychologue.

“Les gens sont appauvris et pensent à peine à d'autres”, a-t-elle souligné. “Cependant, il y a ceux qui sont bien lotis pour faire cela ou même ceux qui ne sont pas si bien aisés mais qui peuvent dépenser de l'argent supplémentaire pour ceux qui sont dans le besoin”, a-t-elle affirmé.

La transition vers une économie de marché après les guerres civiles en Yougoslavie, dans les années 1990, et la crise économique de 2008 ont affecté la Serbie. Le taux de chômage s'élève à 24,1 pour cent, touchant plus d'un tiers de la main-d'œuvre.

La situation est un peu meilleure dans les autres pays nés de la Yougoslavie d'antan, mais la pauvreté frappe à la porte de bon nombre de personnes dans la région.

La Slovénie, avec un taux de chômage estimé à 12,8 pour cent, tient encore bon. Mais là aussi, un service de restauration, www.minestra.si, a introduit une initiative similaire baptisée 'un repas par la suite'.

“Ces repas sont offerts à Caritas (l’organisation humanitaire de l'église catholique) pour être redistribués”, a déclaré Peter Bostjancic, un responsable de Minestra. “Ils sont consommés par les pauvres et également par les chômeurs dont le revenu n'est pas suffisant pour la survie”, a expliqué Bostjancic à IPS.

En Croatie, où le taux de chômage s'élève à 19 pour cent, le phénomène de “pauvres urbains” augmente. “Ce sont essentiellement des personnes bien instruites qui ont été mises au chômage après que les entreprises pour lesquelles elles travaillaient ont fermé”, a déclaré une source à Caritas-Croatie, sous couvert de l'anonymat.

“Ce sont des gens qui, jusqu'à récemment, étaient au-dessus du seuil de pauvreté, mais la perte d'emplois, la hausse des prix et le fardeau des prêts hypothécaires les ont mis en difficulté”, a déclaré la source.

Donc, l'idée derrière le panier de la solidarité est en train de prendre.

Les boulangeries de Belgrade travaillent jusqu'à tard le soir. Certaines personnes qui dépendent du panier de la solidarité viennent dans la rue Beogradska seulement quand il n'y a pas beaucoup de passants.

L'une d'elles est Zorana Savovic, 43 ans, une mère célibataire avec deux enfants qui travaille pour un maigre salaire dans un kiosque à journaux près d'une boulangerie.

“J'ai honte d'être obligée de faire cela”, a déclaré Zorana à IPS.

“Mais cela fournit à mes enfants et moi le repas du soir. Je ne mange rien dans la journée et je garde un œil sur le panier d’en face. J’y vais juste avant qu'ils ne ferment et je file à la maison voir mes enfants avec de la nourriture”.