CHILI: Plus de citoyens veulent les avantages de vivre dans le 'tigre' d’Amérique latine

SANTIAGO, 20 nov (IPS) – Hugo Hurtado, 47 ans, est un chef cuisinier. Tout le monde dirait que dans son pays, le Chili, le “tigre” d'Américain latine, sa profession serait synonyme de succès et même de gloire. Mais malheureusement cela n'est pas vrai.

Hurtado travaille en tant que serveur. “J'ai fait des études dans une profession qui est trop élitiste, parce que si vous n'avez pas de contacts ou votre propre restaurant, le seul choix, c’est d'être cuisinier, ce qui signifie gagner 500 dollars par mois et travailler huit à 10 heures par jour, six jours par semaine”, a-t-il déclaré à IPS.

“En tant que serveur, les horaires sont exactement les mêmes, mais avec les salaires et les pourboires, je gagne 700 dollars par mois”, a-t-il indiqué.

La moitié de tous les travailleurs gagnent moins de 500 dollars par mois dans ce pays de 17 millions d'habitants, qui a connu une croissance économique supérieure à six pour cent par an au cours des 20 dernières années.

Hurtado, un père de trois enfants qui s’est séparé de sa femme, vit avec deux de ses enfants dans la maison de sa nouvelle petite amie à Puente Alto, un quartier de la classe ouvrière au sud de Santiago, la capitale du pays. Daniel, l'aîné, un excellent élève, a décidé d'étudier la médecine.

Mais il n'a pas réussi à passer l'examen d'entrée à l’université appelé PSU, et sa famille n’avait pas les moyens de l'envoyer dans une école préparatoire privée – une grosse affaire dans un pays où la gratuité de l'enseignement supérieur n'existe pas, contrairement à une grande partie de l'Amérique latine.

A 18 ans, Daniel a obtenu une bourse d'études à cause de ses bonnes notes et les revenus limités de sa famille, et a terminé la première année d'études en sciences à l'Université du Chili. Après une deuxième année d'études, il pourra postuler pour étudier dans une école de médecine, sans être obligé de repasser l'examen d'entrée à l’université.

“S'il n'avait pas une bourse, il ne serait pas en mesure d'étudier à l'université”, a expliqué son père.

Mais les choses pourraient devenir difficiles si son rêve d'aller à l’école de médecine devient vraiment une réalité.

“L'école de médecine coûte entre 900 et 1.400 dollars par mois, en plus des matériels d'étude, de la nourriture, du transport et d'autres dépenses”, déclare le père de Daniel. “Alors, nous pensons que ce serait mieux s’il allait en Argentine [voisine] [où l'enseignement universitaire est gratuit], pour étudier là-bas”.

Ni le père ni le fils n’est typique.

“Nous nageons à contre-courant… La chose normale serait que Daniel travaille dans un centre d'appel, en tant que garçon de course dans certains supermarchés, dans la construction, ou comme serveur comme moi”, a déclaré Hurtado.

“Il n'y a aucun moyen pour qu’une famille normale puisse se permettre d'envoyer un enfant à l'école de médecine”, a indiqué Daniel.

Les Hurtados constituent un exemple du segment de Chiliens qui en ont marre mais espèrent que les résultats de l’élection présidentielle du 15 décembre les aideront à prendre part finalement aux avantages de vivre dans un “tigre” d’Amérique latine.

Le danger est que le sentiment d'en avoir marre monte.

Lors du scrutin du 17 novembre, la participation était faible, près de la moitié de tous les électeurs étant restés chez eux.

L'ancienne présidente socialiste, Michelle Bachelet (2006-2010), a obtenu 47 pour cent des voix, contre 25 pour cent pour son adversaire de droite, Evelyn Matthei. Elles s'affronteront au second tour.

Aujourd'hui, Bachelet et Matthei, sont les figures du centre-gauche et de la droite qui, depuis la fin de la dictature militaire de 1973-1990, ont maintenu un statu quo socialement fragmenté caractérisé par une inégalité croissante.

“Les gens se souviennent encore d'un Etat qui était plus inclusif, qui faisait partie d'un processus de participation sociale, qui a accepté la présence de représentants des secteurs à faible revenu dans son administration, et qui a été renversé par l’armée” en 1973, a souligné à IPS, Juan Carlos Skewes, un anthropologue à l'Université Alberto Hurtado.

Les revenus des cinq pour cent des familles chiliennes les plus riches font 270 fois les revenus des cinq pour cent les plus pauvres, selon les statistiques fournies à IPS par 'Fundación Sol', un groupe de réflexion spécialisé dans les questions sociales et du travail.

Daniel Hurtado croit que “l'Etat devrait assumer le rôle consistant à garantir l'éducation pour toute la société, au lieu de donner des miettes”.

Il a affirmé que le modèle de développement économique du pays “se reflète dans le fait que très peu de personnes ont les moyens et sont les propriétaires de tout. C'est un autre monde; ils gouvernent, ils évoluent. Tout ce que la majorité d'entre nous peut faire, c'est de nager à contre- courant, prendre les bourses qu'ils jettent sur notre chemin, afin que nous puissions étudier”.

La gratuité de l'éducation est l'une des exigences centrales des manifestations organisées au cours des dernières années, en particulier depuis les manifestations estudiantines massives qui ont commencé à secouer le pays en 2011.

Lors des élections du 17 novembre, quatre anciens dirigeants du mouvement estudiantin ont obtenu des sièges au Congrès, certains d'entre eux par des écarts importants, dont Camila Vallejo du Parti communiste.

Pour atteindre leur exigence pour la gratuité universelle de l'éducation, ils devront négocier avec le prochain gouvernement, qui sera presque certainement dirigé par Bachelet.

Bachelet, qui a fait adopter une réforme de l'éducation qui n’a pas été à la hauteur lorsqu’elle était présidente, a promis la gratuité de l’enseignement supérieur dans l’intervalle de six ans.