JORDANIE: 'J'ai vendu ma sœur à 300 dollars'

ZAATARI, Jordanie, 21 nov (IPS) – Amani vient d’avoir 22 ans. Il y a deux mois, elle a fui la guerre civile en Syrie et a quitté son domicile à Damas, la capitale.

Après un voyage dangereux toute une nuit, elle est arrivée à Zaatari, en Jordanie, un camp de réfugiés situé près de la frontière avec la Syrie, où ses parents et ses deux sœurs avaient déjà vécu pendant plus d'un an.

A Damas, elle vivait ensemble avec son mari et ses cinq enfants dans un appartement dans le centre de la vieille ville. Comme beaucoup de filles syriennes, elle s'est mariée alors qu'elle était encore une petite fille. Elle venait d'avoir 15 ans quand elle a trouvé l'homme de ses rêves et a décidé de l’épouser.

“En Syrie, les choses sont différentes”, déclare- t-elle à IPS. “Les filles se marient très tôt; c'est une tradition. Mais cela ne signifie pas que nous sommes toutes mariées aux étrangers. J’ai fini par choisir mon mari et il a fini par me choisir. Nous ne pourrions être jamais plus heureux que lorsque nous étions ensemble”.

Après avoir mis au monde cinq enfants, la guerre civile a éclaté dans le pays qu'elle aimait, mais dont elle n'appréciait pas les politiques injustes et le gouvernement corrompu. Vivre dans la capitale, où le gouvernement du président Bachar al-Assad était encore au contrôle, ne rendait pas la vie plus facile pour elle et sa famille.

Son mari a pris les armes dès les premiers jours de la révolte armée et a rejoint l'Armée syrienne libre. Peu après, il est devenu chef de l'un des plus grands bataillons qui combattent le régime de Damas.

Amani elle-même combattait aussi avec les rebelles, malgré les cinq enfants dont elle devait s'occuper.

“Les femmes ne sont pas aussi fortes que les hommes, mais parfois elles sont plus stratégiques. L’un ne peut pas fonctionner sans l'autre”. Mais une attaque meurtrière contre leur appartement a tué son mari et quatre de ses enfants.

Amani s'est échappée et a réussi seulement à sauver sa fille cadette.

“Quand j'ai entendu que les avions de guerre du régime approchaient, j’ai caché ma petite fille sous l'évier de notre cuisine. Elle occupait juste le petit espace à côté de la poubelle. Elle n’était qu’un bébé. Les autres enfants avaient couru pour rejoindre leur père afin de solliciter sa protection. Affolée, et afin de voir ce qui se passait, j’ai couru dans la rue”.

“Quelques secondes après avoir regagné la rue, une explosion a détruit toute la maison. Dans les décombres, j’ai pu retrouver uniquement mon petit bébé”.

Après cette tragédie, Amani a fait le voyage dangereux depuis Damas jusqu’au camp de réfugiés. Mais la vie à Zaatari était tout sauf un répit.

“Nous sommes enfermés comme des singes dans une cage. Du moment où vous entrez dans le camp, il n'y a plus un moyen de sortir”.

Le camp est surpeuplé. Une mer de tentes s'étend sur 3,3 kilomètres carrés, où logent 150.000 réfugiés – trois fois le nombre pour lequel il a été construit il y a près de deux ans.

Cet établissement artificiel au milieu d'un désert sec est affligé par des tempêtes de sable et la maladie. Le peu d'aide humanitaire qui arrive dans le camp ne parvient pas à atteindre toutes les personnes qui en ont besoin. Celles qui veulent du pain, ou des couvertures pour se protéger contre le froid glacial, sont obligées de les acheter auprès des quelques individus qui reçoivent cette aide gratuitement, et la vendent illégalement par la suite.

Toute une économie clandestine a pris racine dans le camp. La lutte pour la nourriture est féroce, et seulement quelques chanceux gagnent assez d'argent pour subvenir aux besoins de leur famille.

“Je travaille sept jours par semaine, à au moins 10 heures par jour, pour une ONG qui s'occupe des plus petits enfants ici dans le camp. Après avoir travaillé toute une semaine, je perçois trois dollars. Avec une mère malade, un père âgé et un bébé à prendre en charge, cette vie est insupportable”, indique Amani. “Ma sœur aînée et son mari ont encore tous leurs enfants, Dieu merci, mais cela signifie cinq bouches supplémentaires à nourrir”.

Nourrir une famille de dix personnes avec seulement trois dollars par semaine est vite devenu impossible. Amani a amené sa sœur cadette, Amara, à travailler dans la même ONG. Mais le fait de doubler le revenu n'était pas encore suffisant pour prendre soin d'eux tous.

Il n’y avait qu’un seul moyen pour trouver de l'argent rapidement, une voie que beaucoup de familles empruntaient avant qu’Amani ne le fasse – vendre l'une des filles de la famille. Amani a envoyé sa sœur cadette Amara, 14 ans, dans une sorte de mariage.

“Il n'est pas rare en Syrie de se marier à l'âge de 16 ans. La plupart des hommes arabes sont conscients de cela, et viennent souvent en Syrie trouver une jeune mariée. Ces jours-ci, ils viennent les chercher dans les camps, où presque tout le monde cherche à tout prix à partir.

“J'ai vu des Jordaniens, des Egyptiens et des Saoudiens passer dans les tentes, enquête d'une [fille] vierge à emmener. Ils paient 300 dollars, et obtiennent la fille de leurs rêves”.

Amani affirme qu'elle n'avait pas le choix. “Je savais qu'elle n'était pas amoureuse, mais je savais aussi qu'il prendrait soin d'elle. Je me serais vendue, mais Amara était la seule vierge dans notre famille. Nous étions obligés de la vendre, afin de permettre au reste d'entre nous de survivre. Que pouvais-je faire d’autre?”.

Amara a été mariée à un Saoudien qui était venu dans leur tente demander sa main à son père. C'était après avoir rencontré Amani, qui lui avait parlé du désespoir financier de la famille et de la virginité de sa jeune sœur qui n'était pas encore mariée. Avec ce mariage, Amani a obtenu l’argent dont sa famille a tant besoin – au moins pour le moment.