SOMALIE: L'éducation religieuse favorise la radicalisation des jeunes

MOGADISCIO, 4 oct (IPS) – Mukhatar Jama enseigne dans un collège à Mogadiscio depuis la dernière décennie. L'éducation religieuse fait partie intégrante du programme de toutes les écoles en Somalie, mais il affirme que la plupart des parents ne savent pas exactement ce qui est enseigné à leurs enfants – une forme radicale de l'islam.

“Le programme d'études islamiques dont vous entendez parler est le wahhabisme pur, exporté d'Arabie Saoudite, qui enseigne aux enfants que tous ceux qui ne sont pas wahhabites sont des non-croyants, y compris les parents des enfants, et qu'il est normal de tuer les non-musulmans”, a déclaré Jama à IPS.

Bien qu'il n'existe aucune statistique sur le nombre d'écoles en Somalie, la plupart dans le pays suivent le programme saoudien, qui prône et inculque le wahhabisme. C'est une interprétation beaucoup plus radicale de l'islam par rapport à l'école soufi modérée que l’ancienne génération de Somaliens suit.

La radicalisation de la jeunesse de la Somalie a déjà commencé à dépasser les frontières de ce pays déchiré par la guerre pour atteindre ses voisins, influant sur la situation sécuritaire fragile de la région.

Elle a pris racine non seulement en Somalie et au Kenya, mais dans toute la sous-région, a indiqué à IPS, Omar Yusuf, un analyste à Mogadiscio, la capitale somalienne.

“Le cas de Westgate [au Kenya] est peut-être l'un des nombreux appels à la vigilance pour des gouvernements de la région afin de lutter contre la radicalisation croissante et l’étape suivante logique du militantisme mortel chez les jeunes de la région”, a déclaré Yusuf.

L'attaque du 21 septembre contre le centre commercial Westgate à Nairobi, au Kenya, par le groupe militant islamiste somalien Al-Shabaab, a fait plus de 70 morts et des dizaines de blessés.

Al-Shabaab lié à Al-Qaïda avait à plusieurs reprises juré de cibler le Kenya après que les troupes du pays ont traversé la frontière pour entrer en Somalie en 2011 et ont chassé les combattants du groupe radical des zones importantes dans le sud de la Somalie, y compris Kismayo, une ville portuaire.

Al-Shabaab préconise l'établissement d'un Etat islamique, non seulement en Somalie, mais en Afrique de l'est. Il adhère à l'école wahhabite fondamentaliste de l'islam. L'idéologie de ce groupe extrémiste semble gagner du terrain en Somalie en raison d'un certain nombre de facteurs.

“Pensez-y, les écoles en Somalie fournissent à Al-Shabaab un enseignement idéologique radical pour les jeunes et lorsqu'ils obtiennent leur diplôme, ce dont ils ont juste besoin, c’est de [leur] donner une formation militaire et ainsi, vous avez un combattant qualifié d’Al-Shabaab”, a expliqué Yusuf.

Les enseignants et les parents semblent divisés sur ce qui est enseigné dans les écoles somaliennes, certains acceptant cela comme faisant partie de l'éducation religieuse des enfants, et d'autres exprimant leurs inquiétudes selon lesquelles leurs enfants sont en train d’être endoctrinés pour être des Wahhabites sans leur consentement.

“Je suis parvenu à savoir que mon fils se fait endoctriner avec des points de vue extrémistes à l'école. Il a dû changer d'école un certain nombre de fois, mais toutes les écoles de Mogadiscio utilisent les mêmes livres wahhabites que nous avons obtenus de l'Arabie Saoudite. Tout le pays sera converti au wahhabisme en peu de temps”, a déclaré à IPS, un parent, qui a requis l'anonymat, par crainte de représailles. Omar Kulmiye, un autre parent, n’est pas convaincu que ses enfants soient en train d’être radicalisés par cet enseignement. “Je n’en [sais] pas beaucoup sur la religion, mais je pense qu’étant donné qu'ils apprennent l'islam, cela est bon pour moi et je n'ai pas senti quelque chose de différent chez mes enfants depuis qu'ils ont commencé l'école il y a cinq ans”, a-t-il indiqué à IPS.

Zakia Hussen, une chercheuse à l'Institut du patrimoine pour des études sur les politiques (HIPS), basé à Mogadiscio, a expliqué: “Il n'y a pas une cause principale, mais plusieurs facteurs qui ont entraîné le recrutement des jeunes Somaliens dans le militantisme”.

Hussen a déclaré que trois facteurs ont contribué à la radicalisation et au militantisme chez les jeunes Somaliens. Le manque de participation politique, d’opportunités d'emploi et d'éducation attire les jeunes vers des groupes militants, a-t-elle dit.

“La recherche d'une 'deuxième famille' et un sentiment d'appartenance offert par des groupes militants… ont attiré beaucoup de jeunes”, a affirmé Hussen. “Il est offert aux jeunes recrues un groupe auquel ils appartiennent, un emploi avec un salaire ainsi que le mariage – des choses qui sont par ailleurs difficiles pour eux à obtenir dans la société somalienne”.

Le taux de chômage des jeunes âgés de 14 à 29 ans est de 67 pour cent – l’un des plus élevés au monde. Selon le “Rapport 2012 sur le développement humain de la Somalie” publié par le Programme des Nations Unies pour le développement, 70 pour cent des 10,2 millions d'habitants de ce pays ont moins de 30 ans.

L'attaque contre le centre commercial Westgate n'est pas surprenante puisqu’Al-Shabaab déploie ses tentacules de radicalisation dans la région, a souligné à IPS, Muhumed Abdi, un expert local de la sécurité.

“C’était une crise qui couvait depuis des années parce que les groupes radicaux ont trouvé comme terrains fertiles non seulement la Somalie, mais aussi les pays voisins pour se développer et recruter, avec des gouvernements de la région qui semblent ne pas être préparés”, a déclaré Abdi.

Toutefois, le gouvernement somalien, avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et ses partenaires internationaux, essaient actuellement de mettre en œuvre une initiative ambitieuse visant à envoyer un million d'enfants à l'école. Grâce à l’initiative baptisée 'Go 2 School Initiative' (Initiative aller à l'école), le gouvernement a aussi proposé des changements dans le programme d’enseignement dans l'espoir que cela permettra de combattre le radicalisme. Selon l'UNICEF, les taux d'inscription dans le pays figurent parmi les plus bas au monde avec seulement quatre enfants sur 10, qui vont à l'école.

Mais le gouvernement est confronté à une forte résistance des administrateurs des écoles privées et des parents qui craignent que ces changements ne détournent l’éducation de l’enseignement moral religieux pour les jeunes.

Les groupes islamistes ont condamné la campagne, la qualifiant d’une tentative du gouvernement visant à occidentaliser l'éducation en Somalie et à écarter les études religieuses.