Q&R: "La Guinée-Bissau est dangereusement en passe de devenir un Etat en faillite"

LISBONNE, 3 oct (IPS) – La Guinée-Bissau est “en passe de devenir un Etat en faillite”, mais pas à cause des violences ethniques ou religieuses, qui n'ont jamais existé dans ce petit pays d'Afrique de l'ouest, affirme José Manuel Ramos-Horta, Prix Nobel de la Paix et envoyé des Nations Unies.

“Le leadership politique de la Guinée-Bissau n'a jamais réussi à avoir de bonnes relations avec l'armée et vice-versa, et on pourrait dire qu'aujourd'hui, le pays est dangereusement en passe de devenir un Etat en faillite”, a déclaré Ramos-Horta, un ancien président, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Timor oriental, dans cette interview accordée à IPS au cours d'une récente visite à Lisbonne, au Portugal.

Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a nommé Ramos-Horta comme son représentant pour mener une médiation en Guinée-Bissau – qui a connu son dernier coup d’Etat en avril 2012 – tenant compte des références personnelles et politiques du dirigeant du Timor oriental dans la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).

Mais le calendrier initial présenté pour le retour du pays sur la voie de la démocratie, qui incluait des élections prévues le 24 novembre, ne sera pas respecté en raison des problèmes politiques et organisationnels, ont reconnu les ministres des Affaires étrangères de sept des huit pays de la CPLP le 25 septembre.

Les sept pays étaient l'Angola, le Brésil, le Cap-Vert, le Timor oriental, le Mozambique, le Portugal et São Tomé et Príncipe (la Guinée-Bissau est le huitième membre de la CPLP).

La CPLP a rompu le dialogue avec le régime en Guinée-Bissau.

Voici quelques extraits de l’entretien.

Q: Y a-t-il une possibilité réelle pour la paix dans ce pays? R: Je suis réaliste et optimiste. Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres parties du monde, y compris en Europe, il n'y a jamais eu de violences ethniques ou religieuses en Guinée-Bissau.

Les églises ou les mosquées n'ont jamais été incendiées ou détruites et les cimetières n'ont jamais été profanés, comme cela s'est produit même dans l'Union européenne (UE). Pour garantir la paix et instaurer la démocratie, ce qu’il faut d’urgence, est qu’il revient aux politiciens et à l’armée de ne pas trop pousser le peuple.

Q: Il semblerait que le dernier coup d’Etat a été la goutte d’eau qui a fait déborder la patience de la communauté internationale.

R: C'est vrai. Il n'y avait pas la moindre indication des raisons pour lesquelles ce dernier coup d’Etat a eu lieu, sauf pour la responsabilité de ces deux élites, les politique et les politico-militaires, pour la séquence des violences initiées par João Bernardo “Nino” Vieira en 1980, quand il avait renversé le président Luís Cabral, annulant six années de réussite en Guinée-Bissau après son indépendance à l’égard du Portugal.

Il y a environ 20 ou 30 ans, les coups d’Etat étaient monnaie courante en Afrique. Aujourd'hui, l'Union africaine (UA) prend des positions encore plus radicales sur la défense de la démocratie que l'UE. Cependant, il est nécessaire d'engager un dialogue, de façon pragmatique, avec ceux qui ont les armes.

S'il n'y a pas de dialogue, à quoi bon la démocratie? C'était précisément pour avoir des voies de compréhension et de négociation que le secrétaire général de l’ONU m'a nommé comme son représentant, et les résultats ont été déjà vus.

Q: Peu après le coup d'Etat, l'UA, la CPLP, l’UE, les Etats-Unis et l’ONU ont indiqué que la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (CEDEAO) avait réagi trop modérément à la prise du pouvoir par l'armée. Après neuf mois dans votre mission, comment voyez-vous les choses? R: Les positions prises par ces institutions et ces pays étaient totalement correctes. Et il est également nécessaire de souligner que la CEDEAO est intervenue de façon pragmatique pour éviter que la situation ne s’aggrave davantage, et a empêché la dissolution du parlement et la suppression de la constitution.

Elles ont investi beaucoup d'argent, mais cette situation est insoutenable. La chose importante à ce stade, c’est d'organiser les élections le plus tôt possible, dans les cinq ou six mois, j'espère, pour rétablir l'ordre démocratique et mettre en place une stratégie pour aider le pays à se relever.

Q: Qui est engagé dans le dialogue aujourd'hui avec le régime de la Guinée-Bissau? R: Il n'y a eu aucune reconnaissance de la part des organisations ou des gouvernements importants, mais il existe une relation quotidienne avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui sont en dialogue avec le régime. L’Espagne y a maintenu son ambassadeur et la France a été toujours active à travers son attaché pour les affaires.

L'UE a imposé des sanctions, mais elle a maintenu ses programmes sociaux et humanitaires. L’aide portugaise est acheminée à travers des organisations non gouvernementales et des églises. La position du Portugal est due à quelque chose de très simple: sa relation de longue date avec le peuple de Guinée-Bissau, qui est et sera toujours là, indépendamment du régime qui est au pouvoir.

Q: En plus de cette grande fragilité de l'Etat, quels sont les plus gros problèmes de la Guinée-Bissau? R: L'extrême pauvreté, avec des indicateurs sociaux très mauvais, l'instabilité politique persistante, les faiblesses et fissures dans l'armée, l’intervention fréquente de l'armée dans la vie politique, et au cours de ces dernières années, la pénétration des cartels de la drogue d'Amérique latine, en Guinée-Bissau ainsi que dans beaucoup d’autres Etats de la région, ce qui exacerbe les difficultés de ces pays à cause de la création de nouvelles zones de criminalité et de nouveaux dangers et tensions.