SANTE: Laquelle est plus importante, la guerre contre le SIDA ou la guerre tout court?

JOHANNESBURG/NEW YORK, 14 août (IPS) – Ils disent qu'il y a une guerre en cours et sa cible est le virus mortel de l'immunodéficience humaine (VIH). Cette guerre se mène dans le monde entier mais son principal champ de bataille est l'Afrique subsaharienne, où vivent sept personnes séropositives sur 10 dans le monde – 24,7 millions en 2013.

La région a enregistré jusqu'à 1,3 million de décès liés au SIDA dans la même année, selon les Nations Unies.

Une armée disparate mène la guerre contre le SIDA. Parfois, elle est composée de responsables d'aide bien vêtus assis dans des salles de conférence en train d’allouer des fonds. A d'autres moments, elle déploie des fantassins miteux – les agents de santé communautaires et les activistes anti-SIDA – dans des zones rurales désolées, sans eau courante, encore moins un traitement antirétroviral.

Avec plusieurs problèmes de santé antagonistes, le financement pour le SIDA est une préoccupation croissante. Pourtant, un coup d'œil sur les budgets de l’armée dans plusieurs pays en proie au VIH dépeint un tableau étonnant des priorités des gouvernements, avec d'énormes dépenses pour l’armée qui démentent l'argument selon lequel l'obstacle clé pour gagner la guerre contre le SIDA, c'est de l'argent.

Et, comme la date butoir de 2015 pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies approche – avec les pays donateurs qui serrent leurs cordons de leur bourse – les experts de la santé s'inquiètent pour le financement de la prévention du VIH et du traitement du SIDA après 2015.

Le nouveau financement pour le SIDA dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire a baissé de trois pour cent à partir de 2012 à 8,1 milliards de dollars en 2013, selon un rapport conjoint de la Fondation de la famille Kaiser et du Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) publié en juin.

Cinq des 14 principaux gouvernements donateurs – les Etats-Unis, le Canada, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas – ont diminué les dépenses sur le SIDA en 2013.

Et pourtant, alors que les gouvernements prétendent être énormément à court d'argent pour mener la guerre contre le SIDA, le financement pour d'autres guerres semble être beaucoup plus débloqué.

Les dépenses sur les armes et le SIDA L'Afrique aura besoin de faire plus avec moins de moyens pour faire face au SIDA, conclut un rapport 2013 de l'ONUSIDA intitulé “Des investissements intelligents”.

Au Kenya, un déficit de financement est prévu pour bientôt, puisque le projet 'Guerre totale contre le VIH/SIDA' de 115 millions de dollars de la Banque mondiale a pris fin en juillet.

Pendant ce temps, le budget de l’armée du pays devrait croître de 4,3 milliards de dollars pour la période 2012-2014 à 5,5 milliards de dollars d’ici à 2018, puisque le pays achète des hélicoptères, des drones et des équipements de surveillance des frontières, selon le site d’information DefenceWeb.

Certes, le Kenya est attaqué par des terroristes d'Al-Shabaab. Toutefois, cinq femmes kényanes enceintes sur 10 vivant avec le VIH n’obtiennent pas d’ARV pour protéger leurs bébés.

Les avions de chasse du Mozambique Au Mozambique, un manque de financement met en lumière les dépenses récentes pour l’armée du pays.

Daniel Kertesz, le représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) au Mozambique, a déclaré à IPS que le programme de santé du pays sur six ans a un déficit de financement de 200 millions de dollars par an.

Le Mozambique étant très pauvre, il est difficile de voir comment le pays – avec 1,6 million de personnes infectées, le huitième fardeau du monde – respectera ses engagements nationaux.

“Aujourd'hui, le Mozambique dépense entre 30 et 35 dollars par personne par an sur la santé. L'OMS recommande un minimum de 55 à 60 [dollars] par personne par an”, a indiqué Kertesz.

La même semaine, le gouvernement a annoncé qu'il avait réparé huit avions de chasse militaires, qu'il avait mis au rebut il y a 15 ans, en Roumanie, et reçoit gratuitement trois avions militaires Embraer Tucano auprès du Brésil, étant entendu que l'achat de trois avions de chasse suivra.

Selon un rapport 2014 de 'Economist Intelligence Unit', les dépenses du Mozambique sur la sécurité de l'Etat devraient augmenter fortement, en partie grâce à l'acquisition, par le ministère de la Défense, de 24 chalutiers et de six navires de patrouille et d’interception au coût de 300 millions de dollars – égal à la moitié du budget national 2014 pour la santé de 635,8 millions de dollars.

La même semaine où les avions de chasse rénovés atterrissaient à l'aéroport de Maputo, la presse rapportait que le principal hôpital de la province de Tete, riche en charbon, dans le nord-ouest du Mozambique, passait cinq jours sans eau.

En effet, le système de santé publique du pays est dans une telle situation désastreuse que le Plan d'urgence du président américain pour la lutte contre le SIDA (PEPFAR) réunit 90 pour cent du budget annuel du ministère de la Santé pour la lutte contre le SIDA.

“Le budget de l'Etat pour les programmes sociaux n’augmente pas au même niveau que les dépenses pour l’armée, la défense et la sécurité”, a souligné à IPS, Jorge Matine, un chercheur au Centre pour l'intégrité publique (CIP) du Mozambique.

“Nous faisons pression pour la reddition de comptes autour de l'acquisition de navires commerciaux et militaires pour des millions de dollars”, a-t-il dit.

Une coalition d'ONG a demandé au gouvernement d'expliquer “sa décision de dépenser cet argent sans l'autorisation du parlement alors que le pays connaît de graves pénuries de personnel et de fournitures dans le secteur de la santé”, a expliqué Matine.

La coalition estime que, si les dépenses sur la défense restaient comme elles étaient en 2011, le pays économiserait 70 millions de dollars, qui permettraient d’acheter 1.400 ambulances (11 par district, alors que beaucoup de districts en ont seulement une ou deux) ou importent 21 pour cent de médicaments supplémentaires.

Une tendance similaire se déroule à travers le continent où, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses pour l’armée ont atteint environ 44,4 milliards de dollars en 2013, une augmentation de 8,3 pour cent par rapport à l'année précédente. En Angola et en Algérie, les fortes recettes pétrolières alimentent cette frénésie d'achat.

La 'Ceasefire Campaign' (Campagne cessez—le-feu), basée en Afrique du Sud, a signalé récemment que les contrats d'armements avec des entreprises privées sont également à la hausse en Afrique, des gouvernements censés signer des accords avec des sociétés internationales de fabrication d’armes de défense totalisant environ 20 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.

Echec d’Abuja Au même moment, la Déclaration d'Abuja de 2001, dont les signataires se sont engagés à allouer au moins 15 pour cent du produit intérieur brut à la santé, est “devenu à peine une réalité”, a déclaré à IPS, Vuyiseka Dubula, secrétaire générale de l’organisation 'Treatment Action Campaign' (Campagne pour l'action au traitement), basée en Afrique du Sud.

“Malgré nos appels, très peu de pays ont approché même 12 pour cent, y compris certains des pays africains les plus riches tels que l'Afrique du Sud et le Nigeria”, a affirmé Dubula.

Pendant la période 2000-2005, a-t-elle ajouté, “près de 400.000 personnes sont mortes du SIDA en Afrique du Sud; au cours de cette même période, nous avons dépensé tant d'argent sur les armes dont nous n'avons pas besoin, et l’on se demande si c'était une [utilisation] responsable des ressources publiques”.

Le Mozambique est un triste exemple de l'échec d'Abuja. En 2001, le budget de la santé du Mozambique représentait 14 pour cent du budget total de l'Etat, respectant l'objectif d'Abuja. Il a chuté à sept pour cent en 2011 et est remonté à huit pour cent depuis ce temps.

“Le financement reflète les priorités du gouvernement”, a indiqué à IPS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Santé d'Ethiopie. “Nous avons vu que dans les pays qui avaient la volonté politique d’améliorer leurs secteurs de la santé, ils augmentent le financement et investissent vraiment dans le secteur de la santé”.

Si cela est vrai, les budgets de nombreux pays africains reflètent un intérêt plus grand dans des contrats d'armements que dans la gestion de l'épidémie mortelle du VIH.

Edité par Mercedes Sayagues Traduit en français par Roland Kocouvi