SENEGAL: Le tabagisme chez les filles élèves devient inquiétant

DAKAR, 15 déc (IPS) – Une enquête publiée en décembre 2010 par l’organisation non gouvernementale Surveillance du tabagisme chez les jeunes (GYTS), révèle qu’au Sénégal, plus 10 pour cent des jeunes filles de 13 à 15 ans fument, notamment dans les écoles de Dakar.

Les lycées de la capitale sénégalaise ne désemplissent pas de jeunes filles fumeuses, mais si certaines élèves de 15 et 18 ans rencontrées dans ces écoles s’expriment à visage découvert sur le tabagisme dans leur milieu, d’autres préfèrent rester muettes. Aicha Ly, 16 ans, une élève en classe de seconde au Lycée Blaise Diagne de Dakar, habillée en jean, déclare à IPS qu’elle fume depuis trois ans. Elle affirme avoir commencé à fumer avec ses copines de classe. «Au début, c’était pour rester en harmonie avec les autres puisque toutes les filles de notre groupe fument. Maintenant, je fume même à la maison et je ne peux plus abandonner», révèle-t-elle. Pourtant, elle avoue connaître les dangers auxquels s’expose une femme qui fume, comme le cancer des poumons, mais elle dit qu’elle est habituée. «Avant, je pouvais fumer un paquet de cigarettes par jour, maintenant, je ne fume plus comme ça», confie-t-elle.

Awa Sow, 18 ans, une élève en classe de terminale au Lycée des jeunes filles Kennedy à Dakar, affirme qu’elle ne peut jamais se passer de la cigarette. «Chez moi, tout le monde fume, même ma mère, donc moi j’ai appris à fumer à la maison. Si j’ai un petit problème, je dois fumer, même lorsque je suis en colère». «Au cours de chaque devoir à l’école, je dois sortir pour fumer avant de continuer mon travail. Vous voyez, mon paquet de cigarettes ne me quitte jamais, même si je connais les dangers liés à la consommation du tabac», dit-elle à IPS. Elle reconnaît que sa mère l'avait plusieurs fois dissuadée de fumer, mais comme elle n'arrêtait pas, personne ne lui reprochait plus rien. Rose Mendy, 23 ans, une étudiante en sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, rencontrée en train de fumer dans les couloirs du campus, avoue qu’elle a commencé à fumer au lycée, mais souhaite arrêter. «Je fume et tous ceux qui me connaissent le savent bien. Il est vrai qu’on parle du danger que cela engendre, mais bon, il faut que l’on meure de quelque chose», explique-t-elle, un peu agacée.

Toutefois, connaissant les dangers de la cigarette, elle soutient que le jour où elle aura un enfant, elle arrêtera de fumer car «l’envie de voir mon enfant en bonne santé est plus importante que l’envie de fumer». Mais en attendant, elle fume à sa guise.

Pourtant, Yassine Diagne, 17 ans, élève en première au Lycée Kennedy, ne veut pas entendre parler de cigarette car selon elle, c’est une abomination pour une fille de fumer. «Je n’ai jamais fumé, et je ne m’associe pas avec les filles qui fument. D’ailleurs, dans notre établissement ici, les filles qui fument sont des dévergondées…», souligne-t-elle.

Mais sa voisine, Ami Diatta, n’approuve pas son opinion, affirmant qu’elle fume, et qu’elle travaille mieux que sa camarade qui ne fume pas. «Yassine dit n’importe quoi… Elle est plutôt complexée. Moi je fume, mais cela ne m’empêche pas de bien travailler à l’école…», déclare-t-elle à IPS, un peu irritée.

A l’Hôpital général de Grand Yoff de Dakar, spécialisé dans le traitement des cancers et des maladies liées aux poumons, Dr Omar Bâ, pneumologue, explique que des jeunes filles, qui fumaient, viennent souvent se faire soigner, soit de pneumonie soit d’un début de cancer. Dans la salle 206 de l’hôpital, deux jeunes filles – Fatou Guèye, 18 ans, une étudiante sénégalaise à l’Université de Lomé, au Togo, et Binta Faye, 17 ans, élève au Lycée de Pikine, une banlieue de Dakar – sont suivies médicalement. Elles respirent difficilement, et la douleur se lit sur leurs visages.

Binta déclare péniblement qu’elle sait qu’elle est condamnée, mais que seul Dieu peut la guérir. «Je suis à l’hôpital depuis deux mois. La pneumonie m’a obligée à abandonner les classes. Je fumais, c’est vrai, mais je ne savais pas que cela allait jouer sur ma santé».

Une dizaine de patientes âgées de 16 à 20 ans souffrant de cancer broncho-pulmonaire, sont actuellement suivies ici, selon la direction de l’hôpital. Selon Dr Bâ, le tabagisme chez les femmes peut être à l’origine des avortements à répétition et de la naissance d’enfants prématurés. «Le tabagisme féminin peut engendrer la naissance d’enfants avec des retards de croissance, qui peuvent développer plus tard des bronchites à répétition», souligne-t-il à IPS.

Le tabac est un véritable fléau qu’il urge de combattre, déclare Mamadou Ndaw, point focal du Programme de lutte contre le tabagisme au ministère de la Santé. Un «projet de loi sur la réglementation de la production, la commercialisation et la consommation du tabac et de ses produits dérivés… est au parlement…», ajoute-t-il à IPS. En attendant, l’Etat sénégalais encaisse, chaque année, quelque 32 milliards de francs CFA (environ 64 millions de dollars) dans les taxes sur les recettes de l’industrie du tabac, indique l’ONG GYTS.

Selon le rapport de mai 2010 de l’Organisation mondiale de la santé, excepté l’Afrique du Sud, aucun pays africain ne détient des statistiques fiables sur l’impact du tabagisme sur la santé et l’économie.