Entretien Approfondi avec Yasmine Sherif, Directrice Exécutive de l’initiative “Éducation Sans Délai” : Apprendre à La Connaître

 

Conseiller l’Espoir

Yasmine Sherif est la Directrice Exécutive de l’initiative Éducation Sans Délai (ÉSD). Avocate spécialisée dans le Droit International Humanitaire et les Droits de l’Homme (LL.M), elle a plus de 30 ans d’expérience au sein des Nations Unies et d’ONG internationales.

Mme Sherif a travaillé dans certaines des régions du monde les plus touchées par les crises, notamment en Afghanistan, au Moyen-Orient, dans les Balkans, au Cambodge, en République Démocratique du Congo et au Soudan, ainsi qu’à New York et à Genève. Elle a dirigé des missions de haut niveau dans de nombreux pays touchés par des conflits et des crises. Son expertise couvre les domaines de l’éducation, de l’humanitaire, du développement, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes et du maintien de la paix.

Elle est l’auteur du livre « The Case for Humanity : An Extraordinary Session, and a Champion for ‘No Lost Generations’ » (Les Arguments en Faveur de l’Humanité : Une Session Extraordinaire et Championne de la cause ‘Pas de Génération Perdue’). En 2017, elle a reçu le prix annuel de l’Ami de l’Année des Nations Unies en Suède, en 2020 elle a reçu le Global Educator Award (Prix Mondial de l’Éducation) aux États-Unis, et en 2022 elle a reçu, au nom de l’organisation Éducation Sans Délai, le prestigieux Prix Mère Teresa.

Mme Sherif a également reçu un prix de la United Nations Association-USA Brooklyn Chapter (Association pour les Nations Unies-Chapitre de Brooklyn des États-Unis) en 2023, et a récemment été inscrite sur la liste du Marquis Who’s Who pour son dévouement dans le domaine des affaires internationales et du droit, et pour son leadership au sein de l’initiative ÉSD.

Biographie complète

ÉSD : Il ne nous reste que six ans pour concrétiser l’Agenda 2030 pour le Développement Durable, y compris l’ODD 4. Comment l’initiative ÉSD et ses partenaires stratégiques peuvent-ils encore accélérer et accroître l’accès à l’éducation pour les enfants et les adolescents touchés par les situations d’urgence et les crises prolongées ?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive de l’initiative ÉSD : Il existe une réponse très claire, en deux parties : premièrement, la prévention des conflits et l’action climatique ; deuxièmement, le financement des ODD, en l’occurrence l’ODD 4.

Il y a quelques années, on a compris qu’il y avait 75 millions d’enfants et d’adolescents touchés par des conflits armés, des déplacements forcés et des catastrophes climatiques dont l’éducation était perturbée et/ou ne donnait pas de résultats d’apprentissage. En 2021, Éducation Sans Délai (ÉSD) a mené une recherche approfondie approuvée par un groupe d’experts d’agences des Nations Unies et d’ONG ; l’analyse a conclu que le chiffre réel était de 222 millions. Au cours des 18 derniers mois, ce chiffre a augmenté, avec des millions d’enfants et d’adolescents supplémentaires dont l’éducation est aujourd’hui perturbée en Ukraine, à Gaza et au Soudan, pour ne citer que quelques exemples frappants.

Nous devons investir moins dans les guerres et les moyens violents de résolution des conflits et investir davantage dans la résolution pacifique des conflits et dans une répartition plus équitable des ressources mondiales entre le Nord et le Sud. Nous ne pouvons pas continuer à utiliser des moyens violents de résolution des conflits qui coûtent des milliers de milliards de dollars et essayer ensuite d’en gérer les conséquences avec beaucoup moins d’argent.

Selon le Porte-parole des Nations Unies, le coût annuel des Nations Unies a été estimé à 3,59 milliards de dollars américains, tel qu’approuvé par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 24 décembre 2023. À cela s’ajoutent 50 millions de dollars pour les décisions prises par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Tragiquement, les besoins de financement de toutes les agences individuelles de l’ONU atteignent rarement leurs besoins réels. Cette situation peut être comparée aux milliards de dollars investis et dépensés pour la guerre ; plus précisément : 2 240 000 000 000 dollars américains (2,2 mille milliards de dollars américains), qui “sont dépensés pour les machines de guerre du monde”, selon le Porte-parole de l’ONU.

Nous devons réfléchir profondément à la raison pour laquelle les Nations Unies – qui représentent tout le monde, qui sont les gardiennes de la Charte des Nations Unies et des multiples conventions sur les droits de l’homme, et qui sont une organisation multilatérale qui fait tant de bien à l’humanité – reçoivent radicalement moins de financement que les guerres qui causent tant d’inhumanité ? C’est la question de notre temps. Nous devons penser avec honnêteté intellectuelle et ressentir avec authenticité. Nous devons examiner attentivement ces faits.

Pour gérer la réalité mondiale actuelle des priorités de financement, Éducation Sans Délai (ÉSD) a délibérément demandé un montant modeste pour notre Plan Stratégique 2023-2026 : seulement 1,5 milliard de dollars US pour fournir une éducation de qualité à 20 millions d’enfants, d’adolescents et d’enseignants touchés par les crises – dont l’apprentissage, l’enseignement et la vie sont affectés par les conflits armés, la crise climatique et les déplacements forcés.

Au cours de l’année écoulée, le fonds fiduciaire d’ÉSD a été réalimenté à hauteur de 900 millions de dollars US par nos nombreux donateurs stratégiques engagés et solidaires. Nous sommes fermement convaincus – à la lumière de la déclaration du Porte-parole des Nations Unies ci-dessus – que les ressources financières restantes nécessaires pour financer entièrement nos efforts collectifs en faveur de l’éducation de plus de 226 millions d’enfants en situation de crise existent bel et bien et qu’elles seront bientôt mises à la disposition d’ÉSD, et donc de tous nos partenaires. Le risque de ne pas investir dans la vie de ces enfants, leur avenir et celui de leurs sociétés, aura des implications mondiales irréversibles. Le monde ne pourra pas résister longtemps aux chocs et aux conséquences désastreuses de cette approche destructrice, ou comme une fois l’avait dit le défunt président américain John F. Kennedy : “L’humanité doit mettre fin à la guerre, sinon la guerre mettra fin à l’humanité.

Dans cet esprit, nous devons tous faire un choix éthique et responsable. Dans le secteur de l’éducation, cela signifie financer et investir pleinement dans l’éducation, en se fondant sur les principes de la Charte des Nations Unies et sur la législation internationale en matière de droits de l’homme, telle qu’elle a été approuvée et ratifiée par les États membres de l’ONU. Comme l’a écrit le grand poète Robert Frost, “Nous avons des promesses à tenir…”. En effet, nous avons également des engagements juridiques à respecter et à faire respecter.

Tenir ses promesses et respecter le droit international sont des engagements sérieux qui ne peuvent être ignorés, oubliés ou reportés. Si nous voulons instaurer une coexistence pacifique fondée sur la Charte des Nations Unies, les droits de l’homme et le développement durable en vue d’une paix et d’une sécurité réelle, la rhétorique seule ne suffit pas. L’action, à travers le financement, montre l’intention. Le respect des lois adoptées démocratiquement et leur application objective et égale sont les indicateurs les plus forts de la civilisation du 21e siècle.

Deuxièmement, nous devons tous travailler ensemble pour traduire en actes le programme commun et de réforme du Secrétaire Général des Nations Unies. Prenons le concept de “lien entre l’humanitaire, le développement et la paix”. Il ne s’agit pas d’un concept abstrait. Il s’agit d’une approche très concrète vers une paix durable. Il s’agit de veiller à ce que l’aide humanitaire immédiate ne se substitue plus aux solutions de développement à long terme, tout en reconnaissant l’importance des réponses humanitaires. Le nexus signifie que nous appliquons parallèlement les réponses humanitaires et les investissements en matière de développement de manière à ce qu’ils se renforcent mutuellement en vue d’une paix durable.

Dans les crises prolongées, sans exception, il y a toujours des besoins immédiats en matière d’éducation. En effet, “l’éducation ne peut pas attendre la fin d’une crise”. L’éducation des enfants et des adolescents ne peut pas être mise en attente, les privant d’espoir tout en aggravant leurs souffrances en raison du temps d’apprentissage critique perdu au cours des années les plus formatrices de leur vie.

La plupart des crises durent des décennies, comme en Afghanistan, en République Démocratique du Congo (RDC) et en Syrie, pour ne citer que quelques-uns des plus de 70 conflits et crises, selon l’International Crisis Group (ICG). Des solutions immédiates et vitales en matière d’éducation sont cruciales, notamment la mise en place rapide de centres d’apprentissage non formels qui fournissent également plusieurs réponses intersectorielles, telles que l’alimentation scolaire, la santé mentale et les services psychosociaux, les fournitures scolaires et la formation des enseignants.

Je me souviens d’être arrivé au centre du Mali dans une situation de déplacement forcé massif et d’avoir rencontré des enfants déplacés à l’intérieur du pays et leurs mères désespérées qui étaient gravement désemparées et isolées dans le désert. Sur place, l’UNICEF et Save the Children tentaient de trouver des solutions à ces besoins immenses et urgents, mais sans aucun financement pour le faire. Grâce à notre conception, ÉSD a été en mesure de fournir immédiatement un investissement substantiel de Première Réponse d’Urgence.

J’ai été témoin du même travail héroïque de l’UNHCR(le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Refugies), du PAM, du Service Jésuite des Réfugiés, de Save the Children, de Plan, du NRC et d’autres partenaires stratégiques d’ÉSD le long de la frontière du Tchad, dans le nord de la République Démocratique du Congo (RDC), en République Centrafricaine (RCA), parmi d’autres. Dans de telles situations horribles et bouleversantes, le guichet d’investissement de Première Intervention d’Urgence d’ÉSD fournit rapidement un financement de départ à nos partenaires sur le terrain, qui prennent alors des mesures immédiates pour servir les enfants, leurs enseignants, le Ministère de l’Éducation et les communautés d’accueil, en leur apportant un soutien éducatif vital. ÉSD a fait appel à son Guichet de Première Urgence dans 44 pays et contextes touchés par des conflits armés, des catastrophes climatiques et des déplacements forcés.

Cependant, cela ne remplace pas les investissements de développement durable dans le secteur de l’éducation. La priorité absolue est d’accélérer les progrès vers l’ODD 4 et tous les ODD, tout en mettant fin aux conflits et en évitant d’en créer de nouveaux. Avec des ressources supplémentaires, nous pouvons faire en sorte que les enfants et les adolescents touchés par les crises, ainsi que leurs enseignants, puissent rapidement intégrer un système d’éducation formelle fonctionnel et veiller à ce que les conditions de la paix soient réunies pour assurer la durabilité.

Les réfugiés ont tendance à être davantage laissés pour compte, c’est pourquoi l’accent mis sur leur droit à être inclus dans le système d’éducation formelle est une autre priorité essentielle pour ÉSD. Dans tous les pays touchés par une crise, il est tout aussi important de soutenir l’inclusion dans le système public, parallèlement à la reconstruction et au développement des capacités, afin de créer des solutions durables et pérennes, la paix et la sécurité.

Les Programmes Pluriannuels de Résilience (PPR) d’Éducation Sans Délai illustrent la manière dont nous traduisons le lien entre l’humanitaire, le développement et la paix en résultats dans 26 pays touchés par des crises que nous servons, tels que l’Afghanistan, le Burkina Faso, le Tchad, la RDC, le Nigeria, l’Irak et l’Ukraine, entre autres. Dans ces 26 pays, les acteurs de l’aide humanitaire et du développement travaillent en étroite collaboration pour assurer l’éducation grâce à une programmation conjointe.

Cependant, si le développement dans les situations de crise nécessite de solides investissements dans le renforcement des capacités et l’autonomisation des Ministères de l’Éducation, il requiert également une approche globale de la gouvernance au sein de plusieurs ministères, avec une direction exécutive au sommet, tous animés d’une même vision des investissements dans l’éducation. Le Ministère des Finances est un ministère clé pour la planification et la budgétisation nationales, tout comme les Ministères de la Défense, de la Sécurité et de l’Intérieur. Si nous ne nous efforçons pas collectivement de mettre fin aux moyens violents de résolution des conflits ou d’en atténuer les effets, nous ne pourrons pas appliquer cette approche pangouvernementale.

Et nous ne pouvons certainement pas rendre justice à l’éducation en tant que secteur de développement et en tant que service de base durable sans ressources financières adéquates. Les principaux obstacles à l’adoption d’une approche pangouvernementale pour faire progresser l’éducation dans les pays du Sud sont la poursuite des guerres, l’aggravation du changement climatique et le manque de ressources financières nationales pour fournir des services de base essentiels, tels que l’éducation.

Il est important de souligner à nouveau que des ressources financières suffisantes sont nécessaires pour assurer une éducation de qualité continue et inclusive qui donne des résultats d’apprentissage et dote les étudiants des diplômes dont ils ont besoin pour faire progresser la société. Ces ressources financières pour l’apprentissage offrent une voie claire vers l’enseignement supérieur à tous ces enfants qui rêvent de devenir enseignants, médecins, infirmières, avocats, ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs.

Je pense qu’il peut être fallacieux d’inviter des enfants touchés par la crise à raconter au monde leurs rêves – en sachant très bien qu’ils ont besoin d’une éducation supérieure pour réaliser ces rêves – s’il n’y a pas d’intention sérieuse de fournir le soutien financier nécessaire à leur éducation tertiaire, et encore moins à leur éducation secondaire.

L’initiative ” Éducation Sans Délai ” a été créée pour répondre sans délai aux besoins de nos partenaires nationaux et des enfants, adolescents et enseignants qu’ils servent, en mobilisant les ressources financières nécessaires à une éducation de qualité, inclusive et durable, du développement de la petite enfance jusqu’à l’enseignement secondaire. Il s’agit d’une voie fondamentale, mais ne perdons pas de vue l’enseignement supérieur. Avec leurs partenaires gouvernementaux, l’UNESCO et le HCR jouent un rôle déterminant à cet égard, mais des financements supplémentaires sont nécessaires.

Troisièmement, Éducation Sans Délai a également été créé pour mettre fin à la concurrence sur les ressources entre les agences et organisations éducatives. Il s’agit du troisième objectif stratégique du mandat d’Éducation Sans Délai. Nous devons tous travailler ensemble : humanitaires et acteurs du développement – société civile, agences des Nations Unies, donateurs stratégiques, communautés – sous la direction du Ministère de l’Éducation. Pour éviter la concurrence, la meilleure façon d’y parvenir est de mettre en place un mécanisme de financement commun et une programmation conjointe. C’est déjà le cas, comme l’illustre la Programmation Pluriannuelle conjointe d’ÉSD en matière de résilience. Les investissements d’ÉSD ont déjà permis, grâce à nos partenaires, d’offrir une éducation inclusive et de qualité à plus de 9 millions d’enfants et d’adolescents. Ces résultats ont été obtenus précisément parce que nous travaillons ensemble dans le cadre d’une programmation conjointe plus importante et mieux coordonnée, plutôt que dans le cadre d’une concurrence ou de nombreux petits projets individuels.

La coopération et la coordination sont des impératifs absolus pour tirer parti de la valeur ajoutée et de l’avantage comparatif de chaque organisation de la société civile, agence des Nations Unies et communauté locale dans le cadre d’une approche holistique. Personne ne peut tout faire seul. C’est tout simplement impossible si l’on considère les crises d’apprentissage actuelles dans le monde. À cet égard, ÉSD transcende la fausse dichotomie entre l’aide humanitaire et l’aide au développement, considérées comme deux approches distinctes et séparées, et les place plutôt dans le contexte de la crise, où nous trouvons tous un dénominateur commun et apprécions la contribution, les compétences et le mandat de chaque acteur et partenaire.

ÉSD : Éducation Sans Délai a, comme vous l’avez mentionné, déjà atteint plus de 9 millions de filles et de garçons affectés par la crise avec une éducation holistique de qualité. Le plan stratégique 2023-2026 d’ÉSD vise à mobiliser 1,5 milliard de dollars américains pour atteindre 20 millions de filles et de garçons supplémentaires. Pourquoi les donateurs, le secteur privé, les fondations philanthropiques et les particuliers fortunés devraient-ils investir dans ÉSD?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive d’ÉSD : D’un point de vue général, nous savons que l’éducation est le meilleur investissement que nous puissions faire pour un développement économique et social durable dans n’importe quel pays. De nombreux pays d’Europe, comme la Suède et la Suisse, qui étaient autrefois très pauvres ou ne disposaient pas d’autres ressources génératrices de revenus, ont réalisé des investissements délibérés et stratégiques dans l’éducation afin de renforcer l’économie de leur pays et d’accélérer le développement national. Dans le même esprit, je rencontre de nombreux Ministres de l’Éducation du Sud Global qui partagent la même vision et la même détermination, mais dont les ministères sont entravés par le manque de ressources financières.

Par exemple, le Ministre de l’Éducation du Sud-Soudan s’est fermement engagé à éduquer chaque fille et chaque enfant du Sud-Soudan afin d’aider à construire cette jeune nation qui a tant souffert. Alors que le Sud-Soudan, un pays de la taille de l’Europe Occidentale, a reçu le plus gros investissement du fonds d’amorçage d’ÉSD, qui a investi 40 millions de dollars US, le gouvernement a également contribué en investissant 10 millions de dollars US et le GPE a également investi 10 millions de dollars US. Bien que nous travaillions tous ensemble, il ne nous manque que 25 millions de dollars pour répondre à l’ensemble des besoins pour les trois années à venir, sans oublier le flux de réfugiés du Soudan arrivant au Sud-Soudan. Ce problème est facile à résoudre : il suffit que cinq partenaires apportent 5 millions de dollars chacun, ou que dix partenaires apportent 2,5 millions de dollars chacun, et nous aurons un programme commun entièrement financé pour les trois années à venir.

Il en va de même pour l’Ukraine, où nous travaillons tous ensemble pour investir à la fois dans des Réponses de Première Urgence et dans des Programmes Pluriannuels de Résilience. L’engagement du Ministère de l’Éducation est admirable en ce qui concerne l’accès à l’enseignement en ligne, qui a contribué de manière significative à réduire les pertes d’apprentissage. La Coalition Mondiale des Entreprises pour l’Éducation (GBCEd) a contribué à hauteur de près de 50 millions de dollars US à la mise en place de ces dispositifs, mais des ressources supplémentaires sont nécessaires.

Ensuite, regardez l’Afrique subsaharienne – y compris le Sahel, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad – ou le Moyen-Orient, avec le Liban comme exemple – de tels pays généreux qui accueillent des réfugiés, malgré leurs propres défis. Eux aussi font preuve de vision et de détermination, mais sans financement supplémentaire, nous ne pouvons pas soutenir pleinement ces gouvernements, ces enfants et ces enseignants dans la réalisation de leurs objectifs d’éducation de qualité pour reconstruire leur pays et s’occuper des réfugiés qu’ils accueillent volontiers.

Pour aggraver la situation, nous avons maintenant Gaza, où plus de 10 000 enfants auraient été tués à la mi-janvier et où l’ensemble du système éducatif a été détruit. Les enfants risquent de perdre au moins une année scolaire, si ce n’est plus, compte tenu de l’énorme besoin de reconstruction et d’une solution politique durable. Avec la nomination d’un Coordinateur Principal de l’Aide Humanitaire et de la Reconstruction pour Gaza, l’ensemble du système éducatif devra être reconstruit, y compris les infrastructures importantes, la guérison par la santé mentale et les services psychosociaux, la formation des enseignants et les honoraires, les repas scolaires, les fournitures scolaires, le matériel éducatif, etc. La tâche est herculéenne, les besoins sont énormes et les coûts seront colossaux. Pourtant, pour en revenir à la déclaration du porte-parole des Nations Unies mentionnée plus haut, des billions de dollars existent et doivent être exploités.

Avec l’engagement nouveau et audacieux du Fonds Vert pour le Climat (FVC) à travailler dans des contextes fragiles et touchés par des conflits, ÉSD est également prêt à travailler avec des partenaires et le FVC pour réaliser son ambition. Il y a eu un sous-investissement continu et systématique dans l’éducation des enfants et des adolescents qui vivent non seulement en première ligne des crises climatiques, mais qui subissent également des conflits armés et des déplacements forcés au milieu des crises climatiques. Il est temps de faire le lien entre l’action climatique et les investissements dans l’éducation pour ceux qui sont le plus laissés pour compte.

En investissant dans l’éducation, nous jetons les bases du développement socio-économique, nous faisons progresser l’adaptation au changement climatique et son atténuation, nous stimulons le PIB national et nous pouvons garantir – comme le suggère le thème de la Journée Internationale de l’Éducation de cette année – “l’Apprentissage de la Paix”. C’est bien plus rentable que d’utiliser nos ressources financières pour de nouvelles guerres qui ne font que créer plus de réfugiés, plus de souffrances humaines et plus d’extrême pauvreté. Il faut briser ce cercle vicieux.

En investissant dans l’éducation, nous donnons à chaque enfant et adolescent touché par les conflits armés, les catastrophes climatiques et les déplacements forcés une chance de tirer parti de sa résilience, de guérir de ses expériences, de se développer pleinement, de préparer son avenir et de libérer son potentiel. Ils enrichiront leurs communautés, leurs pays et le monde. Nous devons toujours nous rappeler que nous sommes tous interconnectés et que nous formons une seule et même humanité. “Votre libération est ma libération, et ma libération est votre libération”, a dit un jour quelqu’un avec sagesse. Il ne s’agit pas d’une déclaration naïve et superficielle, mais plutôt d’une compréhension profonde de notre humanité commune.

Je crois sincèrement que chaque être humain sur terre gagnerait à connaître et à comprendre les droits de l’homme. En particulier ceux qui ont de grandes responsabilités envers l’humanité. Ce n’est qu’alors que nous pourrons créer un monde fondé sur les droits de l’homme pour tous, comme l’ont formulé les fondateurs des Nations Unies dans la charte de l’ONU et les conventions ultérieures. C’est alors que nos priorités passeront de l’investissement de billions dans les guerres à l’investissement de billions dans l’éducation et les autres ODD, y compris l’action climatique, la paix et la sécurité.

En ce qui concerne la jeune génération qui est actuellement privée de ses droits humains, à commencer par son droit fondamental à une éducation inclusive et continue de qualité, nous pouvons et devons investir financièrement dans ceux qui sont les plus éloignés des ODD ; c’est-à-dire les plus de 226 millions de personnes en situation d’urgence et de crise prolongée, y compris dans le cas de catastrophes d’origine climatique. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons rapprocher les personnes les plus éloignées des objectifs des ODD, en leur donnant les moyens de réaliser leurs droits humains inhérents et de contribuer à chacun des ODD, et d’en bénéficier, en vue de la paix et de la sécurité.

Nous avons tant de Ministères de l’Éducation, de communautés, de partenaires de la société civile et d’agences des Nations Unies qui font un travail réel, concret et vraiment noble ensemble dans tant de pays touchés par la crise. Avec davantage de fonds, ils peuvent accélérer l’accès à une éducation de qualité. Elles disposent de systèmes éprouvés et d’équipes hautement qualifiées et savent exactement comment opérer en situation de crise. Elles ont des partenariats et la confiance de leurs homologues gouvernementaux et des communautés. Ils possèdent même les compétences extraordinaires nécessaires pour négocier l’accès à des zones – et donc aux enfants et aux enseignants – qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement. Les partenaires d’ÉSD ont également une connaissance approfondie de la manière d’opérer efficacement dans ces contextes, après des décennies de présence et d’expérience dans le pays. Tout ce dont ils ont besoin maintenant, c’est d’un financement.

Dans ce contexte, ÉSD ne construit pas sa propre machine de diffusion et n’est donc pas en concurrence pour les ressources. Au contraire, nous sommes un catalyseur pour nos collègues et partenaires. Il nous appartient de les servir et de leur donner les moyens financiers d’atteindre conjointement les objectifs stratégiques d’ÉSD en matière de coordination, de coopération, de qualité et de responsabilité, grâce à un mécanisme de financement commun. Je pense que cette approche représente un modèle solide de multilatéralisme et de réforme du Secrétaire Général des Nations Unies en ce qui concerne la fourniture de réponses rapides, de résultats mesurables et de résultats durables dans les pays.

En tant que fonds mondial catalyseur dans le système multilatéral des Nations Unies, qui s’étend également à la société civile et au secteur privé, l’initiative ÉSD se concentre en priorité sur la mobilisation des ressources pour le financement commun, le plaidoyer mondial, la programmation conjointe, l’assurance de la qualité et les résultats. Nous voulons que nos collègues et nos partenaires dans les pays réussissent ensemble pour les enfants et les adolescents.

Nous avons également des partenaires formidables avec d’autres mécanismes de financement mondiaux, travaillant en étroite collaboration avec le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), la Facilité internationale de financement pour l’éducation (IFFEd) et le Fonds d’impact sur les résultats de l’éducation, entre autres. Nous avons de fantastiques partenaires de plaidoyer au niveau mondial, tels que la Coalition Mondiale pour l’Éducation (CME) et la société civile dans son ensemble, ainsi que Global Citizen, qui a fait de l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées l’une de ses trois principales priorités pour 2024. À cet égard, je recommande la lecture du livre récemment publié, “From Ideas to Impact“, par Michael Sheldrick, cofondateur de Global Citizen, qui explique brillamment le pouvoir des partenariats et de l’action collective.

La Fondation LEGO et le gouvernement danois, à laquelle le gouvernement des États-Unis a également contribué, constituent un exemple éprouvé et novateur de la manière dont le secteur public et le secteur privé peuvent travailler ensemble. Un autre exemple remarquable est celui de la Banque cantonale de Zurich et du gouvernement suisse. Grâce à un financement équivalent et/ou complémentaire, un financement substantiel – et surtout durable et continu – permet de réalimenter le Fonds d’affectation spéciale de l’initiative ÉSD.

Nous avons tous des rôles complémentaires et des approches qui se renforcent mutuellement. Nous sommes tous d’accord pour dire que le financement de l’éducation est à la fois le plus grand défi et la plus grande opportunité de résoudre la crise mondiale de l’apprentissage et d’autonomiser ceux qui sont les plus éloignés de la réalisation de l’Agenda 2030.

ÉSD : Le Secrétaire Général des Nations Unies s’est fermement engagé à réformer les Nations Unies par le biais de la Nouvelle Méthode de Travail et des Accords de Grande Entente. Comment l’initiative ÉSD soutient-elle ce programme de réforme de l’ONU, et que peut-on faire pour développer le modèle éprouvé de l’organisation ÉSD ?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive de l’initiative ÉSD : Aux Nations Unies, nous sommes tous naturellement censés mettre en œuvre les réformes du Secrétaire Général des Nations Unies et les politiques à l’échelle du système. La réforme stipule que nous devrions nous concentrer sur la coopération et la programmation conjointe, plutôt que sur la concurrence pour les ressources. C’est ce que nous devrions tous faire.

En tant que fonds mondial multilatéral pour l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées au sein du système des Nations Unies, hébergé par l’UNICEF, la communauté ÉSD se sent investie d’une forte responsabilité dans la mise en œuvre des réformes des Nations Unies et dans la poursuite collective de la promotion des principes et des normes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de la Convention relative aux Droits de l’Enfant.

Comme toutes les entités de l’ONU, l’initiative ÉSD est un fonds mondial basé sur les droits. Ainsi, nous sommes obligés de prendre la défense des enfants, des adolescents et de leurs enseignants et de créer un espace pour que leurs voix soient entendues – comme le fait la campagne mondiale de plaidoyer #AfghanGirlsVoices de l’initiative ÉSD pour les filles afghanes privées de leur droit à l’éducation, et notre soutien à la campagne de plaidoyer #HearTheirVoices pour les enfants de Gaza. Je voudrais souligner que la société civile, les jeunes défenseurs, ainsi que les agences de l’ONU et les communautés, sont des défenseurs mondiaux très impressionnants du droit de chaque enfant à une éducation inclusive de qualité et à un apprentissage en toute sécurité.

En outre, conformément à la Réforme des Nations Unies et à la politique de programmation conjointe du Secrétaire Général des Nations Unies, ÉSD s’engage à respecter la Nouvelle Méthode de Travail et à la mettre en œuvre. Cela signifie qu’il faut mettre fin aux cloisonnements et décourager la concurrence. Ayant travaillé dans plusieurs agences des Nations Unies et quelques organisations de la société civile au cours des 34 dernières années, je connais la plupart des mandats et la valeur ajoutée de chacun d’entre eux. Je dois admettre que diriger l’organisation ÉSD et servir de catalyseur pour leur financement et leur programmation conjointe est une expérience très gratifiante.

Pour assurer la coordination (et empêcher la concurrence), ÉSD investit dans – et travaille à travers – le Système multilatéral de Coordination des Nations Unies, représenté par les Coordinateurs Humanitaires et les Coordinateurs Résidents, le Système des Groupes Sectoriels composé du gouvernement, des agences des Nations Unies et de la société civile, ainsi que les groupes de travail pour l’éducation des réfugiés dirigés par le gouvernement et le HCR, et travaille par l’intermédiaire de ces groupes. En effet, les mécanismes de coordination au niveau national existent et fonctionnent. Toutefois, nous devons continuer à leur donner les moyens d’agir et à les soutenir.

La croissance rapide d’ÉSD et son expansion dans certains des endroits les plus difficiles de la planète sont dues à notre décision précoce d’inverser la tendance des mécanismes de coordination parallèles qui ne sont pas toujours équipés pour faire face aux crises ou qui peuvent attiser la concurrence. Ainsi, au lieu de créer des structures de coordination parallèles, nous avons décidé dès le premier jour d’investir dans les structures des Nations Unies qui sont en place depuis des années et qui sont d’une pertinence immédiate pour rassembler les acteurs humanitaires et du développement avec les gouvernements et les communautés que nous servons. Grâce à la structure de coordination établie par les Nations Unies, nous avons inclus et construit des ponts avec d’autres structures de coordination, de sorte que leur engagement et leurs contributions précieuses soient également utilisés pour le bien commun.

Le leadership infatigable du Secrétaire Général des Nations Unies motive l’organisation ÉSD à continuer d’avancer plus loin et plus vite. Le Sommet sur l’Éducation Transformatrice organisé par le Secrétaire Général en 2022 a jeté les bases de la Conférence de Financement de Haut-Niveau d’ÉSD qui s’est tenue à Genève en 2023 et qui a été organisée conjointement par la Suisse et ÉSD. Le moment choisi nous a permis de mobiliser davantage de ressources pour l’éducation, qui à leur tour permettent d’étendre la portée d’une éducation de qualité dans les pays touchés par la crise.

En outre, sur la base du programme commun et de réforme du Secrétaire Général des Nations Unies, ÉSD a fait des progrès dans le secteur de l’éducation et est passée d’une petite poignée de donateurs à une collaboration avec 25 donateurs stratégiques des secteurs public et privé en quelques années seulement – avec de nouveaux donateurs qui se joignent à nous chaque année : les derniers arrivés au sein de la communauté ÉSD sont le Fonds de Développement du Qatar et le gouvernement du Japon, tandis que la France a considérablement augmenté son financement il y a quelques mois, suivant les traces de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des États-Unis, du Danemark, du Canada, de la Norvège, de la Finlande, de la Fondation LEGO et d’un certain nombre d’autres partenaires donateurs stratégiques [voir le tableau des donateurs dans ce Bulletin]. Toutefois, les donateurs actuels et potentiels doivent fournir davantage de fonds pour répondre aux besoins réels.

Dans notre nouveau Plan Stratégique 2023-2026, nous demandons 1,5 milliard de dollars américains pour atteindre 20 millions d’enfants, d’adolescents et de leurs enseignants en quatre ans jusqu’en 2026. Cela permettra à chacun de pouvoir contribuer à un financement adéquat sans surcharger personne. Cette approche stratégique fonctionne ; en un peu plus d’un an, nos donateurs stratégiques ont contribué près de 900 millions de dollars américains à notre fonds fiduciaire pour notre nouveau plan stratégique ÉSD.

Et depuis notre création il y a quelques années à peine, le modèle éprouvé d’ÉSD a déjà généré plus de 1,6 milliard de dollars américains pour notre fonds fiduciaire, alignés sur 3 milliards de dollars supplémentaires dans le pays provenant d’autres donateurs stratégiques, y compris des gouvernements. Cela illustre la capacité de l’ÉSD à être un catalyseur de coordination, de ressources et de contrôle de qualité pour atteindre des résultats d’apprentissage collectifs dans le secteur de l’éducation dans des contextes touchés par la crise.

Le modèle ÉSD garantit une forte inclusion de nos donateurs stratégiques et de tous les partenaires afin qu’ils aient une voix et puissent participer de manière stratégique et substantielle. En conséquence, nous fonctionnons tous comme une seule équipe collaborative. De plus, nous sommes agiles et allégés, avec de faibles frais généraux. Cela est possible parce que nous considérons les gouvernements hôtes, la société civile, les agences des Nations Unies et les communautés locales comme des membres à part entière de notre équipe. Ce sont véritablement nos collègues, travaillant sur le terrain et produisant des résultats tangibles. Nous sommes une communauté ÉSD travaillant ensemble, des défenseurs et des acteurs visionnaires, courageux et implacables.

Nos donateurs publics sont naturellement désireux de voir des résultats pour l’argent de leurs contribuables et il en va de même pour nos donateurs du secteur privé. Tout le monde veut voir des résultats, et c’est notre engagement commun. En ce sens, la communauté ÉSD a adopté un esprit entrepreneurial vers une cause commune. Cet esprit entrepreneurial nous motive et nous inspire à une course continue aux ressources, à la qualité et aux résultats.

Nous disposons d’une équipe hautement professionnelle, profondément engagée et orientée vers les solutions au sein du secrétariat de l’initiative ÉSD. Qu’il s’agisse de gérer les finances pour obtenir des rapports d’audit de premier ordre, d’établir des partenariats solides avec nos donateurs stratégiques et d’en recruter de nouveaux, de guider le développement de programmes éducatifs conjoints de haute qualité et de réponses rapides, de maintenir le cap en matière de responsabilité et de protection, et mener des recherches et des rapports impeccables et fondés sur des preuves.

Nous avons également une approche de plaidoyer et de communication très forte, en plaidant à l’échelle mondiale à travers des approches de premier plan dans les médias traditionnels et sociaux qui nous permettent de dire au monde comment tous les membres de la communauté ÉSD travaillent ensemble pour obtenir des résultats positifs pour les enfants touchés par la crise et leurs enseignants dans les contextes les plus difficiles du monde.

Je m’incline devant mon équipe implacablement responsable, créative et professionnelle – ils sont tous des fonceurs et des acteurs du changement, qui ont le cœur à la bonne place.

Pourtant, nous comprenons tous que nous pouvons continuer à nous améliorer, à aller plus vite et à atteindre encore plus de filles, de garçons et de leurs enseignants touchés par les crises. Il faudra encore bien des milliards de dollars pour reconstruire complètement la vie de plus de 226 millions d’enfants et d’adolescents vulnérables qui ont un besoin urgent d’une éducation de qualité.

Heureusement, rappelant la déclaration du Porte-parole de l’ONU, nous savons que les ressources financières existent. Il s’agit simplement d’établir consciencieusement des priorités et de faire des choix de financement. Considérons-nous à tort le verre comme étant à moitié vide et devons-nous donc réduire le financement destiné aux plus laissés-pour-compte – ou voyons-nous plus correctement le verre comme débordant afin que nous puissions investir dans l’humanité et le droit à une éducation de qualité pour la jeune génération ?

Quant à la Grand Bargain (Grande Affaire), ÉSD a dépassé l’objectif de 25 % il y a quelques années. En tant que fonds mondial basé au siège – sans présence sur le terrain et entièrement responsable de l’argent des contribuables – il serait irresponsable d’investir dans des organisations locales sans une diligence raisonnable et une surveillance préalable. Tous nos bénéficiaires non-ONU doivent passer par un processus complet d’évaluation de l’éligibilité pour garantir des processus financiers, une livraison et des codes de conduite responsables.

Nos bénéficiaires – sélectionnés dans le pays via le système de coordination – sont les premiers acteurs de contrôle responsables sur le terrain. Au niveau du siège, les investissements d’ÉSD sont accordés à la condition qu’ils investissent dans des acteurs locaux qui atteignent ou dépassent de préférence l’objectif de Grand Bargain de 25 %. Cela s’est avéré un excellent arrangement. Les fonds vont là où ils sont censés aller, tout en renforçant les capacités locales en matière de gestion financière, d’exécution et de reporting, et donc l’autonomisation locale, pour qu’ils prennent en charge leurs communautés et leurs pays.

Basé sur des évaluations récentes, indépendantes et externes d’ÉSD, le modèle ÉSD est un « modèle éprouvé ». Il s’agit d’un modèle efficace et intéressant et, comme je l’ai mentionné plus tôt, je pense qu’il peut être reproduit dans l’ensemble des Nations Unies. Nous avançons avec une rapidité humanitaire et parvenons à un développement approfondi en réduisant la bureaucratie et en augmentant la responsabilité, en réduisant la concurrence et en renforçant la coopération. Bien que l’ONU soit l’institution multilatérale mondiale pour la paix et la sécurité, fondée sur la Charte des Nations Unies, nous bénéficions en outre du fait que l’ONU est également conçue par défaut pour répondre aux conflits et aux catastrophes.

Lorsque le COVID a frappé, ÉSD était en mesure de fournir immédiatement des réponses aux pays touchés par le COVID en situation de crise – en agissant avec « l’urgence du moment » pour citer Martin Luther King Jr. – en fournissant un soutien éducatif de Première Réponse d’Urgence à plus de 30 millions d’enfants et de jeunes. Alors que nous prenions cette mesure, les donateurs stratégiques ont uni leurs forces et ont continué à combler les besoins financiers. En avançant rapidement vers la crise, nous avons débloqué davantage de ressources.

Lorsque les réfugiés et les migrants ont été confrontés à des conditions épouvantables dans le centre d’accueil de Moria et dans d’autres centres d’accueil des îles grecques de la mer Égée et que nous ne pouvions pas utiliser de fonds publics pour un État membre de l’UE, nous avons trouvé une solution en collaboration avec deux fondations et organisations privées. Theirworld et la Dutch Postcode Lottery ont spécifiquement affecté leur financement à l’éducation des demandeurs d’asile, qu’ÉSD a ensuite investi dans le HCR, l’UNICEF, leurs partenaires locaux de la société civile et l’administration de l’éducation. En coopération avec l’UNICEF et Theirworld, l’UE est intervenue et a financé cette initiative. Cela a finalement permis de transférer la responsabilité au gouvernement grec – ce qui a permis à plus de 30 000 enfants et adolescents d’en bénéficier jusqu’à présent.

Lorsque les talibans ont pris le pouvoir il y a quelques années, nous avons immédiatement déployé une mission entièrement féminine pour rencontrer les autorités de facto du Ministère de l’Éducation afin de lancer la longue, mais pas impossible, lutte de plaidoyer pour que toutes les filles reprennent l’apprentissage et que nous continuions nos investissements dans l’éducation des filles dans certaines régions d’Afghanistan, qui se poursuivent aujourd’hui. Aujourd’hui, nous savons que tous les talibans ne souhaitent pas exclure les filles du secondaire de l’école. Nous voyons un petit pas en avant, une petite fenêtre d’opportunité. Cependant, c’est une situation très douloureuse pour la majorité des adolescentes afghanes qui attendent encore, et nous ne devons jamais les oublier. Nous ne pouvons pas nous reposer jusqu’à ce qu’elles puissent toutes retourner à l’enseignement secondaire, pour des raisons de politique publique.

Lorsque le Soudan a implosé, nous nous sommes immédiatement coordonnés avec le HCR et nous sommes rendus dans les pays voisins d’accueil de réfugiés pour réaliser des investissements d’urgence immédiats dans l’éducation à l’appui du Plan Régional de Réponse aux Réfugiés, appelant les secteurs public et privé à emboîter le pas. Le Soudan connaît un terrible conflit armé interne avec de graves déplacements forcés – tant à l’intérieur qu’au-delà des frontières, avec la fuite d’un demi-million de réfugiés. Au Tchad, j’ai rencontré les enfants et leurs mères traversant la frontière depuis le Darfour, les yeux creux et leurs petits corps traumatisés par la peur. Le personnel du HCR dormait dans les zones d’accueil à la frontière tchadienne pour procurer un sentiment de sécurité et de protection, tout en répondant à leurs besoins immédiats. J’ai été très émue par la réponse héroïque du HCR, une agence à laquelle j’ai travaillée il y a plusieurs décennies.

Lorsque Gaza a explosé en 2023, ÉSD a pu, grâce à notre comité exécutif, fournir immédiatement un premier montant de 10 millions de dollars américains pour la santé mentale et les services psychosociaux aux enfants grâce à une réponse bien coordonnée entre l’UNRWA et l’UNICEF . Les énormes besoins en matière de santé mentale et de services psychosociaux n’ont guère besoin d’être expliqués. C’est une réalité bouleversante pour ces enfants. Nous avons pu faire quelque chose, mais c’est loin de répondre à leurs besoins réels. Une goutte dans l’océan.

En ce qui concerne le modèle éprouvé d’ÉSD, une grande partie de cela concerne notre structure de gouvernance, qui comprend seulement 40 employés de secrétariat à temps plein, notre groupe de pilotage de haut niveau au niveau des ministres et des PDG, et notre Comité Exécutif au niveau des Directeurs. Nous avons investi beaucoup de temps dans la communication et le dialogue au fil des années pour rapprocher les discours et les approches humanitaires et de développement, en construisant un esprit de confiance partagé et un engagement collectif à relier les points pour plus de rapidité, de résultats et de durabilité. Il s’agit de personnes travaillant ensemble avec la même clarté de priorités, la même vision à long terme et la même énergie positive. Cela supprime les obstacles bureaucratiques redondants qui ont tendance à surgir en cas de manque de clarté dans la communication et de niveaux d’énergie différents.

Nous continuons de réviser notre Manuel Opérationnel pour nous assurer qu’il est adapté à son objectif. Cela fait une énorme différence lorsque nous plaçons les enfants, leurs enseignants et l’éducation au centre de notre vision – en laissant cette vision déterminer notre façon de fonctionner. Avec une énergie positive combinée à une feuille de route et une stratégie claires, de la confiance et du professionnalisme, je crois que tout est possible. La structure de gouvernance d’ÉSD est la preuve que les organisations opérant dans des environnements complexes et dynamiques peuvent très bien fonctionner en investissant dans une communication ouverte, en créant des ponts et en adoptant un esprit d’entreprise.

Revenons à la question de savoir pourquoi le secteur privé et les particuliers fortunés devraient investir dans ÉSD et dans notre mission auprès de plus de 226 millions de filles, de garçons et d’enseignants touchés par la crise en Afrique subsaharienne, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Ukraine ou les réfugiés fuyant vers l’Europe, permettez-moi de faire référence aux ressources qui existent réellement parmi les milliardaires du monde. La Fondation Gates a récemment déclaré sur X/Twitter que « à l’échelle mondiale, la valeur nette des 2 640 milliardaires du monde s’élève à au moins 12 200 milliards de dollars américains. Si chaque milliardaire de la planète faisait don de 0,5 % de sa richesse, cela débloquerait 61 milliards de dollars… »

Outre les raisons socio-économiques, de paix et de stabilité déjà évoquées, je pense qu’il s’agit désormais d’un choix d’approche et d’attitude que le secteur privé et les particuliers fortunés peuvent adopter ; soit pour contribuer à faire une réelle différence pour plus de 226 millions d’enfants et d’adolescents touchés par la crise et en tirer un sens profond, soit simplement rester les bras croisés, ne rien faire. Deux de mes trois frères et sœurs sont des entrepreneurs du secteur privé, et ils ne sont pas moins préoccupés que moi par l’éducation des enfants touchés par la crise et de l’humanité dans son ensemble. C’est juste que j’y consacre plus de temps, car c’est mon métier à plein temps.

Nous ne devons pas sous-estimer la bonne volonté et l’altruisme du secteur privé et des particuliers fortunés. Il ne s’agit pas uniquement d’ouvrir les marchés. Il s’agit également d’être un être humain ou une entreprise concernée qui se soucie du monde, des enfants et des générations futures – et qui est prête à utiliser son capital financier et ses connaissances stratégiques pour contribuer à des solutions. Je suis convaincue qu’on peut être à la fois un entrepreneur rentable et un humaniste percutant.

ÉSD : Éducation Sans Délai est devenue opérationnelle en 2017. En seulement 6 ans, vous avez mobilisé des milliards, changé la vie de millions de personnes et intensifié vos opérations à travers le monde. Quel est votre secret du succès pour ÉSD ?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive d’ÉSD : Permettez-moi d’abord de dire : c’est ÉSD et la communauté ÉSD dans son ensemble – les gouvernements, les donateurs stratégiques des secteurs public et privé, les agences des Nations Unies et les partenaires de la société civile, ainsi que les communautés locales – qui, ensemble, ont changé la vie de millions d’enfants touchés par la crise.

Je ne pense pas que ce soit un secret : un leadership et des partenariats de qualité constituent une part majeure de la croissance rapide d’ÉSD. En particulier, le mérite revient à notre Envoyé Spécial des Nations Unies pour l’Éducation Mondiale et Président du groupe de pilotage de haut niveau de l’ÉSD , le Très Honorable Gordon Brown, que je respecte énormément, et au soutien fort et indéfectible apporté à la mission de l’ÉSD par le Secrétaire Général de l’ONU, le Vice-Secrétaire Général de l’ONU, ainsi que tous les membres du Groupe Directeur de Haut-niveau et les Présidents et membres du Comité Exécutif, y compris les donateurs, les agences des Nations Unies, la société civile, les États membres de l’ONU, les communautés, les fondations et le secteur privé.

Ce soutien continu, ces partenariats étroits et cet engagement ferme ont créé l’espace et la confiance extraordinaires nécessaires à la création d’un fonds mondial innovant et axé sur les résultats pour l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées au sein du système des Nations Unies. Il convient également de remercier l’UNICEF et la Directrice Générale Catherine Russell, pour avoir accueilli chaleureusement l’ÉSD. ÉSD et notre structure de gouvernance sont indépendantes dans tous les travaux de fond, tout en étant soutenues administrativement par l’UNICEF au niveau du secrétariat et souvent par les bureaux extérieurs de l’UNICEF.

L’autre « secret » important est de réunir une équipe hautement qualifiée, professionnelle et créative au sein du secrétariat de l’ÉSD. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les ressources humaines constituent l’aspect le plus important pour bâtir une organisation efficace. Les collaborateurs que vous recrutez, leurs compétences et qualifications uniques, ainsi que leurs personnalités compatibles et complémentaires, leur potentiel et leur esprit d’équipe sont des facteurs cruciaux. Nous ne recevons aucun financement de base et travaillons exclusivement avec des financements extrabudgétaires, de sorte que chacun se sente propriétaire de la mobilisation des ressources.

Chez ÉSD, nous encourageons la pensée innovante et la prise d’initiative. C’est notre culture. Nous n’hésitons pas à débattre et à discuter pour trouver ensemble des solutions. Notre personnel représente toute la diversité des Nations Unies, et nous permettons à chacun d’être qui il est afin qu’il puisse donner le meilleur d’il-même, tout en se respectant mutuellement. Cependant, nous ne recherchons pas la conformité. Le grand philosophe britannique Bertrand Russell a écrit plusieurs livres perspicaces sur l’autorité, les organisations et le pouvoir ; ce sont d’excellentes lectures pour tout leader ou manager. En fin de compte, nous sommes tous déterminés à réduire la bureaucratie redondante et à accroître la responsabilité envers ceux que nous servons – car les problèmes anormaux nécessitent des solutions extraordinaires.

ÉSD : Félicitations ! Votre livre «The Case for Humanity: An Extraordinary Session » (‘’Les Arguments en Faveur de l’Humanité : Une Session Extraordinaire » est un éternel best-seller à l’ONU depuis des années. Quels sont les trois livres qui vous ont le plus influencée personnellement et/ou professionnellement, et pourquoi les recommanderiez-vous à d’autres ?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive d’ÉSD : Merci. Bien que j’en sois l’auteur, j’en lis encore parfois des passages pour me rappeler de m’accrocher fermement à ma croyance de toujours en une seule humanité et de ne pas me décourager dans un monde de tant de divisions, de chaos et de souffrance. The Case for Humanity est un livre semi-fictif qui s’appuie sur les paroles authentiques et la sagesse de plus d’une centaine des plus grands êtres humains de tous les temps dans les domaines des arts, de la politique et du service de l’humanité – tous réunis au Conseil de sécurité de l’ONU. En faisant des recherches et en écrivant ce livre, j’ai clairement compris à quel point il est vrai que « les grands gens pensent de la même manière » et comment leurs pensées, leurs écrits et leurs actions étaient pleinement conformes à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Quant aux livres qui m’ont influencé, ceux qui m’attirent le plus sont les livres écrits par des auteurs dont la vie a été un exemple et qui m’aident à comprendre l’humanité. Rien ne m’influence ou ne m’inspire davantage.

Un livre qui m’a profondément influencé est «Man’s Search for Meaning » (‘’L’Homme à la Recherche de Sens’’) de Viktor Frankl, un survivant de l’Holocauste. L’ensemble de son œuvre, de ses recherches et de son manuscrit lui ont été confisqués lorsqu’il a été envoyé à Auschwitz, une expérience qu’il décrit dans la première partie du livre. Sans son manuscrit et sans rien d’autre dans sa vie – et malgré l’insondable cruauté du camp de concentration – il a finalement décidé de choisir sa réponse à cette horrible expérience et a appliqué ses propres recherches et théories, la Logo thérapie, qu’il décrit dans la deuxième partie du livre. Il avait une force extraordinaire pour canaliser une souffrance et une douleur indescriptibles vers une toute nouvelle école de psychiatrie : la Logo thérapie.

Il décrit également le jour de la libération et comment il a fait preuve de prudence pour ne pas marcher sur les fleurs ou les récoltes dans les champs en raison de son profond respect pour toute forme de vie. C’est une lecture très puissante, tout comme ses mots de conclusion : « Soyons donc vigilants – vigilants dans un double sens : depuis Auschwitz, nous savons de quoi l’homme est capable. Et depuis Hiroshima, nous savons quels sont les enjeux.» Comprendre sa réponse à un niveau plus profond pourrait résoudre de nombreux problèmes dans le monde. Son témoignage déchirant, sa prose majestueuse et ses profondes idées ont eu un impact immense sur ma propre vie et mon travail.

J’ai été si profondément émue par ce livre et son universalité que j’en ai offert un exemplaire chacun à ma fille et à mon fils lorsqu’ils étaient adolescents. Plus de dix ans plus tard, ils citent encore Viktor Frankl lorsque nous discutons de l’état du monde, de la condition humaine ou lorsqu’ils envisagent des choix dans leur propre vie quotidienne. Pour cela, je suis reconnaissante.

« Beethoven and the Spiritual Path » (‘’Beethoven et le chemin spirituel’’) de David Tame est un autre livre qui m’a influencée tant personnellement que professionnellement. Ma mère était une brillante pianiste et nous encourageait dès notre plus jeune âge à écouter et à apprécier la musique classique. J’étais particulièrement fascinée par Beethoven. J’ai aimé et je suis toujours inspirée par son génie à transformer son feu inextinguible en les plus magnifiques symphonies ou les plus sublimes concertos pour piano. Souffrant d’une perte d’audition depuis l’enfance et, finalement, devenant complètement sourd et pourtant offrant une si belle musique au monde : Imaginez quel génie, quelle passion, quelle détermination ! À travers le livre, on peut également suivre son propre développement spirituel qui se manifeste progressivement dans ses compositions – avec l’Ode à la joie, de sa dernière Symphonie n°9 – qui constitue le grand final de sa vie sur terre. J’ai donc choisi ce livre pour mieux le comprendre en tant qu’être humain et je l’ai lu plus d’une fois. Il avait une âme profonde et grandiose qui était connectée à quelque chose de plus grand que lui et c’est pourquoi sa musique est véritablement immortelle.

«Long Walk to Freedom » (‘’Un long chemin vers la liberté’’) de Nelson Mandela est un classique et un autre trésor universel, comme les deux livres ci-dessus. C’est un témoignage du genre de personnalité dont le monde a si désespérément besoin en ce moment. Le long et minutieux voyage de Mandela est fascinant, inspirant, libérateur et constitue un brillant exemple à suivre pour nous tous. D’abord conseiller du chef local de sa région pendant le régime de l’apartheid, sa décision d’étudier le droit et de jouer un rôle actif dans la résistance à l’apartheid lui a valu de devenir le leader de l’ANC. Et après 26 ans de prison, il a été élu président d’une Afrique du Sud libre. C’est un exemple extraordinaire de la force de l’esprit humain et du véritable leadership.

Naturellement, Mandela a laissé derrière lui un héritage immortel qui perdure aujourd’hui et continue d’inspirer des milliards de personnes dans le monde. Son engagement sans compromis en faveur de la justice et les sacrifices qu’il a personnellement consentis nous ont aidés à définir le sens d’un véritable leadership. Le leadership n’est pas simplement un titre ou une nomination. Il faut le mériter. Cela se gagne grâce au sacrifice, au dépassement de la peur et à la liberté intérieure de défendre ce qui est juste pour l’humanité.

En tant qu’avocate des droits de l’homme de formation, je suis certaine que ce qui est juste pour l’humanité est mieux défini dans le Droit International des Droits de l’Homme et dans le Droit International connexe. Pourtant, il n’est pas nécessaire d’être avocat pour comprendre cela. Le principe de la « Règle d’Or », que l’on retrouve dans toutes les grandes religions du monde, suffirait : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent ». La Règle d’Or est également le principe qui sous-tend le Droit International des Droits de l’homme et le Droit International connexe. En l’appliquant de manière égale et sans discrimination fondée sur la race, la religion, le groupe ethnique, le sexe ou l’opinion politique, nous pouvons établir un ordre mondial fondé sur l’État de droit, plutôt que sur « le règne de la force ».

Les mots souvent cités de Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde » ont bien sûr une pertinence professionnelle immédiate. Une autre citation importante de Mandela : « Que vos choix reflètent vos espoirs et non vos craintes » mérite d’être mentionnée. Parce que nous devons faire des choix chaque jour pour vivre d’espoir : l’espoir de la justice, l’espoir des droits de l’homme pour tous et l’espoir de l’humanité. Il peut être très malsain et destructeur de conseiller nos peurs. Je ne pense pas que tout ce que Mandela a écrit ou dit soit fondé sur la peur, par opportunisme ou simplement pour plaire à qui que ce soit. Il a dit ce que sa conscience lui dictait, il a vécu selon ses paroles et il a fait une véritable différence pour l’humanité. Cela a fait de lui à la fois une légende vivante et une icône universelle dont nous devons tous garder vivant le souvenir.

« Markings » (‘’Marquages’’) de Dag Hammarskjold est également l’un de mes livres préférés. Il s’agit de son journal avec des passages en grande partie de son mandat de secrétaire général de l’ONU. Il était très profond, authentique et honnête avec lui-même. Il avait une vision et une conviction intérieure. Ce qui ressort, c’est son engagement à servir à tout prix. Un homme de sacrifices, de service et d’« éthique de marche ». En tant que l’un de mes nombreux modèles lorsque j’ai rejoint l’ONU, j’ai au moins trois exemplaires de « Markings » répandus chez moi et j’ai probablement lu le livre dix fois. Lui aussi est immortel, capturant des vérités universelles en paroles et en esprit.

Je crois que Dag Hammarskjold a été capable de saisir ce qui est universellement vrai pour nous tous, quelle que soit la forme que cela prend, en déclarant : « À moins qu’il n’y ait une renaissance spirituelle, le monde ne connaîtra pas de paix. » Sa déclaration est liée à l’axiome grec ancien : « Connais-toi toi-même » et aux paroles bien connues du Mahatma Gandhi : « Vous devez être le changement que vous souhaitez voir ».

Je crois que les moyens violents de résolution des conflits, le besoin de contrôle et de supériorité, ainsi que l’avidité, l’ego et la peur sont enracinés dans l’esprit et l’âme inconscients de l’homme, et se manifestent donc par une destruction à plus ou moins grande échelle – cette dernière causant d’immenses souffrances humaines autour du globe. Tout est connecté. L’appel de Hammarskjold à une « renaissance spirituelle » est un appel à faire un travail intérieur, à devenir conscient, afin que nous soyons en contact avec nous-mêmes à un niveau plus profond, mentalement, émotionnellement et spirituellement. Cela crée un sentiment de respect et de gratitude ; cela nous permet de distinguer le bien du mal sur la base des droits humains universels ; et, par conséquent, rassembler le courage de protéger et de promouvoir tout cela dans notre vie quotidienne – quels que soient notre rôle et notre fonction dans ce monde et notre objectif dans notre propre vie.

Cela m’amène à l’auteur final qui m’a le plus influencé. Comme j’aime la poésie et que j’écrivais davantage quand j’étais plus jeune, je lis continuellement des passages de Rumi. Jalaluddin Rumi était un érudit islamique, un expert en jurisprudence, un mystique soufi, un poète et un derviche dansant de la province de Balkh, dans l’actuel Afghanistan ; il est enterré à Konya, en Turquie. Il est l’un des poètes les plus lus au monde. La poésie et les pensées de Rumi touchent profondément quiconque lit, contemple et, surtout, ressent ses paroles et sa poésie.

Beaucoup de ses lecteurs conviendront qu’il pourrait être le guide humain le plus éclairé pour quiconque souhaite se transformer, et donc notre monde. Rumi a cherché et trouvé ce que nous recherchons tous – que nous en soyons conscients ou non. À travers ses écrits profonds, Rumi ouvre la porte et partage avec nous un aperçu.

ÉSD : Une dernière question : pourquoi avez-vous choisi de travailler pour les affaires internationales au niveau mondial et de vous focaliser sur les droits de l’homme et maintenant sur l’éducation en tant que droit humain fondamental ?

Yasmine Sherif, Directrice Exécutive d’ÉSD : J’ai grandi dans un foyer multiculturel. Un foyer de curiosité intellectuelle, de valeurs d’honnêteté et de vérité au pouvoir, et de liberté d’être émotionnellement authentique. J’ai eu la chance d’avoir une vision du monde globale et je me suis sentie comme un citoyen du monde dès mon plus jeune âge. Ma mère me disait toujours : « Concentre-toi sur le service aux autres et tout le reste suivra. » C’est ce qui m’a inspiré à étudier les droits de l’homme et le droit humanitaire international et à rejoindre l’ONU au milieu de la vingtaine. Travailler à l’international pour un monde meilleur est enrichissant à tous les niveaux et c’est un parcours que je recommande vivement.

Outre toute la littérature scientifique et les preuves sur la parentalité et l’éducation de la petite enfance, mon expérience personnelle renforce également ma conviction que le développement de la petite enfance est la base même de toute éducation ultérieure. Cela commence à la maison et pendant les premières années, avec la formation du cerveau, accompagné par des enseignants bien formés qui inspirent et nourrissent l’apprentissage pour la paix tout au long de l’adolescence. Les 18 premières années de la vie sont les années les plus formatrices et sont d’une importance cruciale pour chaque enfant et adolescent du monde. Ce sont ces années-là pendant lesquelles notre identité se façonne et que nos valeurs fondamentales se forment.

Ce sont des années cruciales qui deviennent le fondement de la vie de chacun. Bien sûr, il n’est jamais trop tard pour apprendre, changer et grandir, car la vie est un voyage d’apprentissage. Cependant, une bonne éducation de base au cours des 18 premières années contribue certainement à faire avancer et à faciliter ce voyage. C’est pourquoi une éducation inclusive et continue de qualité ne peut attendre aucun enfant, peu importe qui et où il se trouve.