L’Esclavage des Temps Modernes classé la plus grande industrie du crime dans le monde

NATIONS-UNIES, le 25 février 2019 (IPS) – Après une étude exhaustive de l’esclavage des temps modernes, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), basée à Genève, a conclu que plus de 40 millions de personnes étaient victimes d’esclavage, dont 25 millions en travaux forcés et 15 millions en mariages forcés – dont au moins 71% sont des femmes et des filles.

Les chiffres actuels seraient encore plus élevés par rapport publiés dans l’étude phare de 2017 intitulée «Estimations mondiales de l’esclavage moderne», le fruit d’une collaboration avec la Walk Free Foundation, en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Le réseau Safe Haven, basé à Chicago, a décrit la traite des êtres humains comme «la plus grande industrie internationale de crime – dépassant celle des drogues illicites et du trafic des armes».

Les Etats-Unis avaient proscrit l’importation des esclaves africains par une loi du Congrès en 1807. Mais il a fallu encore 58 années pour qu’il y ait une interdiction complète de l’esclavage en 1865 après la fin de la Guerre Civile.

Aux Etats-Unis, l’esclavage des temps modernes et la discrimination raciale sont les deux faces d’une même pièce de monnaie – et le racisme a refait surface sous la bannière de la suprématie des blancs sous l’administration démagogique actuelle Trump.

Pourtant, malgré des événements historiques marquants, l’esclavage règne toujours sous différents oripeaux: – y compris la traite des êtres humains, les enfants soldats, le mariage forcé et précoce des enfants, la servitude domestique et le travail d’immigrés, tant dans les pays du Sud (lire: pays en développement) que dans les pays du Nord. (Lire: pays industrialisés de l’Occident).

Le 23 février, le journal The New York Times a publié en première page l’histoire du propriétaire milliardaire d’une équipe célèbre américaine de football qui a été inculpé sur deux chefs d’accusation de sollicitation de sexe dans le cadre d’une vaste enquête sur la prostitution et le trafic présumé des êtres humains dans l’état américain de Floride.

Conclusion, l’esclavage moderne reste très actif – et florissant – à la fois dans les pays les plus pauvres que dans les pays les plus riches.

Karolin Seitz, responsable programme sur la responsabilité des sociétés, des affaires et des droits de l’homme chez Global Policy Forum basé à Bonn, a déclaré à IPS que l’esclavage moderne persistait encore tant dans les pays du Sud que dans les pays du Nord.

Que ce soit dans les plantations d’orangers en Italie ou dans le secteur du bâtiment au Qatar, les travailleurs migrants, en particulier, courent le risque d’être contraints aux travaux forcés profiteurs.

L’Esclavage des temps modernes. Crédit: images de l’ONU

Elle a affirmé que l’expérience a démontré que les engagements bénévoles des entreprises multinationales ne suffisaient pas

Certains pays, comme le Royaume-Uni avec sa loi anti-esclavage, l’Australie avec sa loi sur l’esclavage moderne ou la France avec sa loi de vigilance, en sont venus à la conclusion que seules des règles contraignantes sont appropriées, a ajouté Seitz.

Comme le montre le récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la santé des réfugiés et des migrants dans la Région européenne, les travailleurs migrants sont plus susceptibles de travailler de longues heures, dans des emplois à haut risque, sans mesures de sécurité nécessaires et d’éviter de se plaindre des conditions dangereuses.

Les personnes concernées par la traite ou le travail forcé, a déclaré Seitz, ne sont souvent pas reconnues par les autorités et n’ont donc pas accès à la justice. Ces personnes peuvent rarement faire valoir leurs prétentions en matière de paiement et d’indemnisation.

Pour éliminer les avantages concurrentiels fondés sur l’esclavage moderne, le trafic des êtres humains et la pollution de l’environnement, la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme doit aller au-delà des frontières nationales, a déclaré Seitz.

Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), a déclaré à IPS que l’inégalité et l’esclavage moderne vont de pair pour des millions de personnes.

«L’esclavage moderne est omniprésent, depuis le système de la kafala en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis, des fermes d’élevage au Paraguay aux pêcheries en Thaïlande et aux Philippines et à l’agriculture en Italie », a-t-elle noté.

«Les chaînes d’approvisionnement en vêtements, en aliments et en services consommés dans le monde entier sont basées sur le travail forcé, les travailleurs migrants et les peuples autochtones étant particulièrement exposés à l’exploitation», a déclaré Burrow, ancien président du Conseil australien des syndicats (ACTU) (2000-2010).

Elle a dit qu’il était possible de mettre fin à l’esclavage moderne.

«C’est une question de volonté politique de parvenir à des changements dans la législation et à la liberté d’association, qui seront motivés par le scandale et les campagnes menées par les travailleurs, les consommateurs et les syndicats. Les gouvernements doivent contrer la pression exercée par les entreprises, les gens l’exigent.

Dima Dabbous, directrice du bureau Moyen-Orient/Afrique du Nord d’Egalité Now (MENA), a déclaré à IPS que l’OIT estime à 1,6 million le nombre de femmes migrantes vivant au Moyen-Orient qui vivent sous le parrainage de la kafala.

Basés dans les États du Golfe, en Jordanie et au Liban, ces travailleurs sont particulièrement vulnérables car ils sont installés dans des résidences privées occupant des emplois domestiques tels que femme de ménage, agent d’entretien ou nounou, et ne sont pas couverts par la réglementation locale du travail.

Ils sont liés à un employeur et sont incapables de démissionner, de changer d’emploi ou de quitter le pays sans le consentement de leur parrain, qui est en mesure de menacer de l’expulser si son employé conteste les termes de son contrat, a-t-elle ajouté.

«Ce déséquilibre dans les relations de pouvoir a créé un système permettant aux employeurs d’exploiter les travailleurs domestiques immigrés avec un faible risque de séquelles».

En conséquence, les mauvais traitements, tels que la restriction des déplacements, la rétention de la rémunération et les abus physiques et sexuels, sont très répandus. Dans des cas extrêmes, des femmes ont été assassinées, a déclaré Dabbous, ancienne directrice de l’Institut d’études féminines du monde arabe.

Au Liban, a-t-elle déclaré, les pressions exercées par des ONG locales et internationales ont conduit à certaines améliorations du type de contrat de travail régissant le travail des femmes domestiques migrantes, telles que l’imposition d’une période de repos hebdomadaire, les employeurs à verser le salaire de manière régulière – et les aides domestiques maltraités peuvent se plaindre auprès des autorités.

Cependant, aucune de ces «améliorations» n’a fait de différence, car le nouveau contrat n’a pas été traduit dans les langues parlées par les aides domestiques et n’a pas été appliqué par le gouvernement libanais.

“Les femmes ont continué à se voir confisquer leur passeport par leurs employeurs, se voient toujours refuser un jour de congé par semaine et ont peu de possibilité de se plaindre ou de signaler les abus.”

Elle a déclaré que l’OIT et les autres ONG internationales (ONGI) devraient continuer leur plaidoyer contre le système de la kafala qui lie ces femmes migrantes comme des esclaves à leurs employeurs.

La communauté internationale devrait également soutenir les ONG locales qui œuvrent à l’abolition ou au remplacement du système de la kafala.

Ces ONG restent très peu nombreuses et sous-financées. «Le problème est aggravé par les attitudes racistes qui existent dans la région du Moyen-Orient à l’égard des travailleurs domestiques migrants, ce qui doit également être abordé», a déclaré Dabbous.

Seitz, du Global Policy Forum, a déclaré que, tout en faisant face à des lacunes et des difficultés dans leur mise en application, les lois imposent toutefois aux grandes entreprises de publier des déclarations décrivant le risque d’esclavage dans leurs chaînes d’approvisionnement et les mesures prises pour y remédier.

D’autres pays croient encore aux mesures volontaires. Le Plan d’action national allemand pour la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme n’engage aucune responsabilité, également en raison du lobbying massif des associations d’entreprises.

Afin de combler les lacunes et d’établir des normes communes et robustes au niveau mondial, les États devraient soutenir le processus en cours au Conseil des droits de l’homme des Nations unies visant à établir un traité international contraignant pour réglementer les entreprises transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’homme, a-t-elle déclaré.

Il devrait obliger les États à établir des obligations de diligence en matière de droits de l’homme pour leurs entreprises, à tenir celles-ci légalement responsables pour violation des obligations en matière de violation des droits de l’homme et à supprimer les obstacles à l’accès à la justice des victimes de violations des droits de l’homme commises par des sociétés transnationales, a déclaré Seitz.

Burrow, de la CSI, a déclaré que globalement, le travail est moins sûr, les contrats à court terme étant prédominants, et le travail informel et l’esclavage moderne se développent.

L’inégalité des revenus avec ceux qui peuvent accéder à un travail décent pousse les gens à travailler dans des conditions d’exploitation, et l’inégalité des relations entre employeur et travailleur vous empêche d’exercer vos droits.

«Là où les salaires sont bas et où il n’y a pas de travail décent, où il n’existe pas de syndicats pour représenter les travailleurs et défendre leurs droits, nous voyons les conditions qui conduisent à l’esclavage moderne», a-t-elle noté.

L’Alliance des mouvements sociaux, des ONG et des syndicats qui luttent contre les inégalités est profondément préoccupée par la montée des inégalités et par l’esclavage moderne.

«Un salaire minimum qui permet de vivre, un travail décent, le droit de former des syndicats et de négocier collectivement sont essentiels pour mettre fin à la crise de l’inégalité et à la fin de l’esclavage.»

Pour les travailleurs migrants, les frais de recrutement venant d’employeurs peu scrupuleux enferment les travailleurs dans des travaux forcés. Les travailleurs migrants, dont beaucoup sont vulnérables aux conditions de l’esclavage, peuvent évaluer les agences de recrutement et les entreprises avec la plate-forme de la CSI.

Elle a souligné que les rapporteurs spéciaux des Nations Unies peuvent aider à dénoncer le scandale de l’esclavage moderne. La condamnation conjointe par quatre rapporteurs spéciaux du régime des travailleurs migrants de la pêche en Irlande ajoute une pression supplémentaire aux poursuites judiciaires intentées par les syndicats.

Un changement durable devra suivre le droit. La diligence raisonnable et la transparence sont la clé pour mettre fin à l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement.

Lorsque les entreprises assument leurs responsabilités en matière de diligence raisonnable et rendent donc leurs chaînes d’approvisionnement transparentes, il est possible de mettre en place une procédure de réclamation facilitant le recours en cas de violation des droits au travail – du travail forcé au salaire inférieur au salaire minimum.

Elle a souligné que la nouvelle législation en matière de diligence requise est en cours d’adoption en France et que d’autres pays, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, se préparent à les suivre.

L’auteur peut être contacté à thalifdeen@ips.org