ZIMBABWE: Des milliers de familles déplacées de force dans le bassin de Chivi

MASVINGO, Zimbabwe, 3 juil (IPS) – Pendant que les villageois sont assis autour du feu vacillant dans une nuit noire éclairée seulement par une lune floue, ils se parlent, racontant comment tout a commencé.

Ils se relaient, parlant parfois les uns au-dessus des autres afin de faire entendre leurs propres expériences. Lorsqu’un vieil homme prend la parole, tout le monde écoute. “C'était la première fois que je montais sur un hélicoptère”, se souvient John Moyo*.

“Les soldats sont venus, tenant fermement des armes à feu, obligeant tout le monde à se déplacer. J'ai tenté de résister, car ma maison n'était pas affectée, mais ils n’ont pas voulu en entendre quoi que ce soit”.

C’est ainsi qu'a commencé le long voyage pénible et déroutant pour Moyo, 70 ans, et près de 18.000 autres personnes qui vivaient dans le rayon de 50 kilomètres du bassin de Chivi, dans la province de Masvingo, au Zimbabwe.

Lorsque de fortes pluies se sont abattues sur la région au début de janvier, le mur du barrage de Tokwe-Mukosi de 1,8 milliard de mètres cubes a cédé.

S’en ont suivi les inondations, détruisant les maisons et le bétail. Le gouvernement, avec l'aide d'organisations non gouvernementales, s'est lancé dans une mission de sauvetage. Et même les maisons épargnées dans les zones à haute altitude ont été évacuées par les soldats.

Selon Moyo, dont la maison n'a pas été touchée, c’était l'occasion pour le gouvernement, qui essayait depuis un moment, d’installer ailleurs les personnes vivant près du bassin de Chivi.

“Ils ont toujours dit qu'ils voulaient installer un système d'irrigation et une réserve dans la zone qui couvrait nos maisons ancestrales”, déclare-t-il à IPS.

Pour Itai Mazanhi*, 33 ans, père de trois enfants, le gouvernement avait la meilleure excuse pour les déplacer de la terre qu'il avait connue depuis sa naissance.

“Les tombes de mes ancêtres se trouvent à cet endroit”, indique-t-il à IPS. Mazanhi est originaire du village de Gororo.

Après avoir été logées temporairement dans les zones sûres voisines de Gunikuni et de Ngundu, dans la province de Masvingo, les plus de 18.000 personnes, soit 3.000 familles, ont été transférées à Nuanetsi Ranch dans la zone de Chingwizi, dans le district de Mwenezi, à environ 150 kilomètres de leurs anciennes maisons.

Chingwizi est un terrain aride près de Triangle Estates, une entreprise d'irrigation de plantation de canne à sucre appartenant au géant du sucre, Tongaat Hulett. La terre de la zone est remarquable pour le mopane et des baobabs géants qui sont synonymes de conditions chaudes et sèches.

Les fermiers et éleveurs du bassin de Chivi ont été contraints de s'adapter dans une zone qui n'a pas la fertilité naturelle de leurs anciennes terres, de l'eau et des pâturages adéquats pour leur bétail.

La route poussiéreuse qui mène au camp de Chingwizi est un voyage laborieux de 40 minutes jonchée de bosses brusques et de tranchées floues au bord de la route.

Du haut d'une fourmilière, un point de vue privilégié à l'entrée de cet établissement révèle une disposition ondulante de tentes et de structures de fortune en tôle de zinc qui s'étendent à perte de vue. La nuit, les feux brillent faiblement de loin, et une cacophonie de voix se mélange à la musique provenant de postes de radio solaires et à piles. C'est l'image d'un camp de secours aux réfugiés de guerre.

Une inquiétude pour les familles déplacées, c’est le fait qu'elles ont été installées dans une zone réservée pour un projet de biocarburants proposé. Le projet est prêt pour être dirigé par la société 'Zimbabwe Bio-Energy', un partenariat entre le Fonds de développement du Zimbabwe et des investisseurs privés. Le journal public 'Herald' a cité le directeur du projet, Charles Madonko, comme disant que les familles réinstallées pourraient devenir des producteurs de canne à sucre sur contrat pour le projet de l'éthanol.

Ce plan a fait l'objet d'une attaque cinglante de l’organisation de défense des droits de l'Homme 'Human Rights Watch'. Dans un rapport publié en mai, l'organisation considérait cela comme un stratagème pour une main-d’œuvre bon marché.

“L'armée zimbabwéenne a déplacé 3.000 familles du bassin inondé du barrage de Tokwe-Mukorsi vers un camp sur une ferme de canne à sucre et un projet de l’éthanol appartenant conjointement au parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique [ZANU-PF] et Billy Rautenbach, un homme d'affaires et partisan du parti”, indiquait une partie du rapport.

Les plantations de canne à sucre seront irriguées par l'eau du barrage de Tokwe-Mukosi. Quand il sera achevé, ce barrage est en passe de devenir le plus grand barrage intérieure du Zimbabwe, avec une capacité d'irriguer plus de 25.000 hectares.

'Community Tolerance Reconciliation and Development' (COTRAD), une organisation non gouvernementale qui opère dans la province de Masvingo, voit le déplacement de 3.000 familles comme une régression brutale. L'organisation affirme que des gens ordinaires sont à la merci des entreprises privées et du gouvernement.

“Les gens se sentent comme des parias, ils ne se sentent plus comme Zimbabwéens”, souligne à IPS, Zivanai Muzorodzi, chargé de programmes de la COTRAD.

Muzorodzi, dont l'organisation suit la bagarre par rapport à la terre avant les inondations, dit que la terre qui entoure le bassin du barrage de Tokwe-Mukosi a été achetée par des particuliers, la plupart issus du parti au pouvoir, la ZANU-PF.

“Les villageois ne posséderont pas la terre ou les moyens de production. Seuls les gros bonnets de la ZANU-PF en bénéficieront”, affirme Muzorodzi.

L'ampleur des habitats a posé de graves problèmes pour le gouvernement du Zimbabwe à court d'argent. Des organisations humanitaires telles que 'Oxfam International' et 'Care International' ont apporté des services de base tels que l'eau potable à travers des camions-citernes et des toilettes de fortune.

“C'est totalement dangereux, c'est un désastre qui attend de se produire”, déclare à IPS, un cadre du ministère de la Gouvernance locale du Zimbabwe en poste dans le camp, qui requis l’anonymat. “Les latrines que vous voyez ici ont seulement un mètre de profondeur. Une épidémie d'une maladie contagieuse se propagerait rapidement”.

Spiwe Chando*, une mère de quatre enfants, ressent des craintes similaires. Cette femme de 23 ans parle pendant qu’elle trie ses affaires éparpillées sous une petite tente bleue dans laquelle une personne adulte ne peut pas dormir entièrement tendue. “Je crains pour mon enfant parce qu’une autre famille a perdu un enfant à cause de la diarrhée la semaine dernière [il y a environ trois semaines]. Cela peut arriver à n'importe qui”, déclare-t-elle à IPS, transpirant à cause de la chaleur à l'intérieur de la tente. “J'espère que nous quitterons cet endroit bientôt et obtiendrons des terres adéquates pour recommencer nos vies”.

Cette question a provoqué des tensions dans ce camp surpeuplé. Des réunions, des rumeurs et des conjectures circulent chaque jour. A travers le camp, les frustrations montent progressivement. En conséquence, une délégation ministérielle a reçu un accueil hostile lors d'une visite en mai. Les fermiers déplacés accusent le gouvernement de tromperie et du fait de revenir sur ses promesses d’attribution de terres et d'indemnisation.

Le gouvernement a promis d'allouer un hectare de terre par famille, dans une localité située à environ 17 km de ce camp de transit. Cela est très loin de ce que ces familles avaient dans le bassin de Chivi. Certaines d'entre elles, comme Mazanhi, possédaient environ 10 hectares. Cette terre était en mesure de produire assez de vivres pour leur subsistance et un excédent, qui était vendu pour financer l'éducation et les soins de santé de leurs enfants.

* Les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité