INDE: Des femmes éleveuses apportent un changement

KUTCH, Inde, 3 juil (IPS) – Lorsque Sangan Bhai, un homme humble dans la région de Kutch, dans l'Etat occidental du Gujarat, en Inde, a obtenu un poste de membre du comité exécutif de l'association locale des éleveurs de chameaux, il a pris une décision qui a surpris sa communauté: au lieu d'accepter ce poste prestigieux, il a donné plutôt le nom de sa femme.

Sa raison, a-t-il déclaré à IPS, était simple; contrairement à lui, sa femme peut lire et écrire, et possède autant d'expérience à élever des chameaux que n'importe qui dans la communauté.

Meera Bhen, la seule femme de la région à avoir été à l'école – quoique seulement jusqu'en classe de CM1 – était plus que disposée à relever le défi.

“Mon père était très enthousiaste de m’envoyer à l’école, mais il est mort alors que j'étais très jeune; j’étais donc obligée d’abandonner l'école”, a-t-elle indiqué à IPS. “Mais j'ai continué à pratiquer la lecture et l'écriture pendant que je grandissais”.

Sa persévérance a porté ses fruits; elle est aujourd'hui l'une des rares personnes dans la vaste région aride de Lakhpat qui savent lire, écrire et faire des calculs élémentaires, des compétences cruciales dans cette communauté d’éleveurs qui ont peu d'éducation formelle, mais leur connaissance des bovins est inégalée.

Maintenant, Meera Bhen entre dans l'histoire, non seulement au niveau local, mais aussi à l'échelle nationale, puisque son idée personnelle pour cette association d'éleveurs de 350 membres, dénommée 'Kutch Unt Uchherak Maldhari Sangathan (KUUMS), commence à porter ses fruits.

“Elle était la première à suggérer que nous commercialisions le lait des chamelles”, a expliqué à IPS, le président de KUMMS, Bhikha Bhai Rabari. “Nous avons donc contacté une société laitière avec l'idée, et dès que le projet décollera, nous recevrons le double du prix pour notre produit”.

Un litre de lait de chamelle se vend actuellement à entre 17 et 20 roupies indiens (moins de 0,30 dollar), faisant qu’il est presque impossible pour cette communauté tribale semi-nomade – qui aurait migré vers la région de Kutch à partir de la province de Baloutchistan, dans le sud-ouest du Pakistan, il y a plus d'un million d’années – pour subvenir financièrement à ses besoins.

Environ 37 pour cent des près de 300 éleveurs de la région gèrent des troupeaux de 31 à 60 chameaux, mais avec quelques marchés formels pour le lait, ils sont obligés de dépendre des rations alimentaires du gouvernement.

Les éleveurs, localement appelés maldharis, ont depuis longtemps exprimé le désir pour des revenus supplémentaires. Il y a des décennies, ils menaient une vie décente en offrant leurs chameaux pour le transport, ou en vendant les mâles pour un prix élevé. Cependant, avec l'avènement des systèmes de transport modernes et la pénétration des réseaux routiers dans les zones rurales de l'Inde, ils ont été de plus en plus marginalisés.

Ce sont ces problèmes que Meera Bhen espérait corriger quand elle a émis pour la première fois son idée à l'association.

Si l'initiative de marketing réussit, elle (l’association) représentera la toute première entreprise commerciale de lait de chamelle dans le pays. Le projet initial, soumis au gouvernement de l'Etat par l'Union pour la production de lait dans le district de Kutch en 2012, proposait la mise en place d'une unité de traitement d'une capacité de 2.000 à 2.5000 litres.

Selon les responsables, le but d'une telle entreprise était double: fournir un moyen de subsistance alternatif aux maldharis et promouvoir la consommation accrue de lait très nutritif, qui est plus faible en graisse que le lait de vache, et contient plus de substances nutritives.

Etant donné que le Gujarat est le berceau de l'énorme coopérative laitière Amul, qui a accepté en 2012 d’étiqueter et de vendre le lait de chamelle, le projet semblait presque infaillible.

En 2013, cependant, il a rencontré un obstacle juridique: selon les lois actuelles régissant la production laitière, le 'lait' est seulement définie comme celui qui provient de vaches, buffles, moutons et chèvres.

Des ONG et experts juridiques travaillent afin d’amender la loi pour y inclure les chamelles, mais jusqu'à ce qu'ils le fassent, le projet est à au point mort.

Peu de gens savent qu'une humble femme était derrière la proposition qui a fait les manchettes nationales. Mais dans cette région, parmi les éleveurs, Meera Bhen est juste l’une des nombreuses femmes qui jouissent d'un degré d'autonomie et de respect plus grand que leurs homologues dans ce pays de 1,2 milliard d’habitants.

Une bufflesse pour une fille bébé Alors que beaucoup de familles à travers l'Inde déplorent la naissance de filles, les éleveurs de Banni, dans la région de Kutch, font le contraire: ils donnent un buffle/une bufflesse à chaque enfant fille née d'un membre de leur communauté.

Razia Saleem est l’une de ces filles. Elève en classe de 5ème, son héritage s'élève déjà à environ 3.400 dollars – tout sous forme d'un troupeau de buffles.

“Tout cela lui appartient”, a indiqué à IPS, Saleem Nodae, le père de la fille, indiquant par un geste les bêtes en train de brouter des herbes. Ses trois autres filles 'possèdent' chacune leur part respective de son troupeau d'environ 80 animaux.

Jusqu'à ce qu'elles soient assez âgées pour s'occuper elles-mêmes des bêtes, les filles reçoivent une part des revenus mensuels générés à partir de la vente de lait de bufflesse, afin qu'elles puissent “acheter les choses qu'elles veulent”, a ajouté Saleem. Le reste va à l'alimentation et aux soins des animaux.

Pour leur part, les filles utilisent sagement leurs pensions. Razia a récemment dépensé ses économies de trois ans pour acheter un ordinateur de bureau. “C'est l'âge de la technologie”, a-t-elle indiqué à IPS. “Je veux en profiter”.

Actuellement, elle utilise l’appareil essentiellement pour pratiquer la saisie, et pour l'art numérique. “Je commencerai à utiliser l’Internet seulement lorsque j'en ai vraiment besoin”, a-t-elle ajouté.

Selon Saleem, donner une bufflesse à une fille au moment de sa naissance est un investissement qui vaut la peine d’être fait.

“Au moment de son mariage, elle aura cinq ou sept animaux à son compte. Elle peut emmener ces créatures dans sa belle-famille avec fierté”, a-t-il expliqué, ce qui lui permettra d'avoir un degré d’indépendance.

Quelques 10.000 éleveurs vivent à Banni, entretenant plus de 168.000 buffles. Les maldharis de la région sont plus indépendants économiquement que leurs homologues éleveurs de chameaux, en grande partie à cause de la demande constante et des marchés formels pour le lait de bufflesse.

Pourtant ces éleveurs nomades mènent une vie simple, se déplaçant avec leurs troupeaux sur les pâturages pendant une grande partie de l'année et résidant dans des logements modestes pendant la saison de la mousson.