NICARAGUA: Les gens de Mayagna et leur forêt tropicale pourraient disparaître

MANAGUA, Nicaragua, 30 juin (IPS) – Plus de 30.000 membres de la communauté indigène Mayagna risquent de disparaître, avec la forêt tropicale qui les abrite au Nicaragua, si l'Etat ne parvient pas à prendre des mesures immédiates pour freiner la destruction de la Réserve de biosphère de Bosawas.

C'est la réserve de forêt la plus grande en Amérique centrale et la troisième plus grande au monde.

Arisio Genaro, président de la nation de Mayagna, a parcouru plus de 300 kilomètres depuis sa communauté à la périphérie de la réserve en mai pour venir protester à Managua pour dire que la zone où vit son peuple depuis des siècles est en train d’être envahie et détruite par des colons venus des régions côtières et centrales du Pacifique du pays.

Au début de juin, Genaro est retourné à la capitale pour participer à plusieurs activités académiques visant à sensibiliser parmi les étudiants de Managua sur l'environnement et à protester à qui l'entendrait que leur territoire ancestral est en train d’être détruit par des agriculteurs déterminés à étendre la frontière agricole en envahissant la zone protégée, qui couvre 21.000 km².

Le chef de Mayagna a déclaré à Tierramérica qu'en 1987 le noyau de ce qui est maintenant la réserve de biosphère avait une superficie totale de 1.170.210 hectares de forêt vierge et une population estimée à moins de 7.000 personnes indigènes.

En 1997, quand elle a été déclarée Site du patrimoine mondial et Réserve de la biosphère par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), la réserve couvrait plus de deux millions d'hectares de forêt tropicale, y compris la zone tampon.

En 2010, lorsque la population indigène vivant dans la réserve était d’environ 25.000 habitants, la jungle avait été réduite à 832.237 hectares, selon les chiffres cités par Genaro. La présence de colons non indigènes dans les frontières de la réserve avait grimpé, passant d'environ 5.000 personnes en 1990 à plus de 40.000 en 2013.

“Ils brûlent tout, pour planter des cultures. Ils abattent les forêts pour y élever du bétail, ils abattent les grands arbres pour vendre le bois, ils tirent sur les animaux et assèchent les lits des rivières pour y tracer des voies”, a expliqué Genaro à Tierramérica.

Antonia Gámez, un chef de Mayagna de 66 ans, a également fait le voyage depuis sa communauté pour s'exprimer dans les villes situées le long de la côte du Pacifique sur la situation à laquelle son peuple est confronté à Bosawas, dont le nom vient des premières syllabes des principales caractéristiques géographiques qui délimitent la réserve: le fleuve Bocay, la montagne Salaya, et le fleuve Waspuk.

“Toutes nos familles vivaient de ce que la nature offrait; la forêt est notre habitation et notre père, elle nous a donné de la nourriture, de l'eau et un abri”, a-t-elle indiqué à Tierramérica dans sa langue maternelle, avec l'aide d'un interprète. “Aujourd’hui, les plus jeunes sont à la recherche de travail sur les nouvelles fermes créées où était une fois la forêt, et les plus vieux d'entre nous n'ont nulle part où aller, parce que tout est en train de disparaître”.

Gámez a déclaré que dans la forêt, ses gens plantaient des céréales et produisaient et récoltaient des fruits, et faisaient la chasse de ce dont ils avaient besoin pour la nourriture avec des arcs et des flèches. Elle a ajouté qu'il y avait des crabes et des poissons en abondance dans les fleuves et des sangliers, tapirs et des cerfs dans les forêts.

“Aujourd’hui ces animaux ont disparu. A chaque coup de fusil ou avec chaque montagne débrayée, ils meurent ou se déplacent plus profondément dans la jungle. Il ne reste pas beaucoup pour la chasse”, a-t-elle déploré lors de sa visite à Managua.

Une partie de la réserve est également habitée par les Miskitos, le plus grand groupe indigène dans ce pays d'Amérique centrale, où selon la loi les peuples indigènes ont le droit de posséder et d’exploiter collectivement les terres sur lesquelles ils vivent.

Les plaintes déposées par les populations indigènes ont été corroborées par Tierramérica dans des conversations avec des universitaires et des activistes indépendants ainsi que des responsables gouvernementaux.

L'anthropologue Esther Melba McLean au Centre de la côte atlantique de recherche et de développement à l'Université indienne et des Caraïbes de Bluefields a mené des études qui mettent en garde que si l'invasion de la forêt par des étrangers et sa destruction ne sont pas arrêtées, les gens de Mayagna ainsi que la flore et la faune de Bosawas pourraient disparaître dans deux décennies.

“La destruction de la forêt signifierait plus que la fin d'un groupe ethnique; elle signifierait la fin du site où se trouve 10 pour cent de la biodiversité mondiale” a-t-elle souligné à Tierramérica.

La réserve abrite des espèces endémiques comme la salamandre Nototriton saslaya et la harpie huppée, qui sont énumérées comme menacés par des organisations locales de défense de l’environnement qui soulignent qu'il existe encore de nombreuses espèces qui n'ont pas encore été documentées.

Selon écologiste Jaime Incer, un conseiller pour les affaires environnementales à la présidence, si la destruction du territoire indigène continue, “dans moins de 25 ans, la jungle aura complètement disparu”.

Une étude publiée en 2012 par l'Agence allemande de coopération au développement (GIZ), l'Union nationale des producteurs agricoles et d’éleveurs de bétail du Nicaragua (UNAG), l'Union européenne et l'organisation internationale de développement, Oxfam, a prévenu qu'il faudrait 24 ans pour perdre la forêt à Bosawas et 13 ans pour perdre la zone tampon autour de la réserve, au rythme actuel de la déforestation.

Incer a dit à Tierramérica qu’en réponse aux plaintes de la communauté indigène et le soutien dont elle a bénéficié auprès des écologistes, l'administration du président Daniel Ortega, qui est au pouvoir depuis 2007, a commencé à prendre des mesures contre la destruction de la forêt. “Mais elles ont été insuffisantes”, a-t-il reconnu.

Ortega a ordonné la création d'un bataillon militaire de plus de 700 hommes pour surveiller les forêts et les réserves naturelles du pays. Le gouvernement a également créé un comité des autorités nationales visant à coordonner les actions et à appliquer une approche de tolérance zéro l’égard des personnes et des organisations accusées de détruire l'environnement.