AFRIQUE: La Chine renforce son contrôle sur le continent

NAIROBI, 23 mai (IPS) – Janice Gacheri importe des sacs à main et des chaussures de la Chine qu’elle vend sur les sites des médias sociaux et par le bouche à oreille à des clientes à Nairobi et dans les villes voisines.

“Pour une affaire à temps partiel, les bénéfices sont encourageants. Je pense la poursuivre à plein temps et élargir la gamme de produits que je vends”, déclare Gacheri à IPS. L’Afrique est en effet une destination principale pour les produits chinois de consommation.

David Owiro, chargé de projet au groupe local de réflexion, l'Institut des affaires économiques (IEA), indique à IPS que “les prix [des Chinois] sont compétitifs et que leurs produits répondent aussi aux goûts et aux préférences de l'Africain par rapport aux produits venus de l'Occident”.

Cependant, les experts préviennent que des déséquilibres commerciaux importants existent au milieu de la présence croissante de la Chine sur le continent.

Selon le ministère du Commerce de la Chine, entre janvier et octobre 2013, les échanges bilatéraux entre la Chine et l'Afrique étaient de 172,83 milliards de dollars. Et ils devraient atteindre 200 milliards de dollars d'ici à la fin de cette année. Mais, affirme Owiro, les relations commerciales entre l'Afrique et l'Union européenne (UE) sont beaucoup plus favorables.

“Nous achetons plus auprès de la Chine qu'ils achètent chez nous. L'UE achète plus auprès de l'Afrique et en vrac, mais l'Afrique achète moins auprès de l'UE”, explique Owiro.

Les Perspectives économiques en Afrique, qui fournissent des données détaillées sur les économies africaines, révèlent que l'Afrique représente seulement cinq pour cent des échanges de la Chine dans le monde et seulement trois pour cent de l'investissement direct étranger.

Cela survient au milieu de la première visite du Premier ministre chinois, Li Keqiang, en Afrique depuis sa prise de fonction en 2013. Lors de ce voyage qui a duré du 4 au 11 mai, Li a participé au Forum économique mondial sur l'Afrique à Abuja, au Nigeria, et s'est rendu en Ethiopie, en Angola et au Kenya.

Au cours de sa visite au Kenya, Li et le gouvernement kényan ont signé 15 offres – notamment dans les domaines de la construction et de l'agriculture. Cela comprenait l’accord controversé sur le Chemin de fer à écartement standard où la Chine financera et construira une voie ferrée de 3,8 milliards de dollars depuis le port de Mombasa jusqu’à Nairobi dans la première phase du projet. Ce chemin de fer reliera finalement l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et le Soudan du Sud.

Selon les termes de l'accord, 'Exim Bank of China' fournira 90 pour cent du coût et le Kenya les 10 pour cent restants.

“Le projet est trop cher et n'a aucun sens économique. La période qu'il faudra au Kenya pour rembourser ce prêt à la Chine n'a pas été non plus précisée”, souligne Owiro.

Mais Alex Gakuru, président de l'Association des consommateurs des TIC du Kenya et membre du Groupe de travail à acteurs multiples du Comité de transition numérique du gouvernement, affirme que la Chine est en train de répondre à l'énorme déficit d'infrastructures qui a entravé les échanges à l’intérieur de l’Afrique.

Mais le Kenya est le seul sur la liste croissante de pays africains qui se tournent de plus en plus vers l'Orient.

Bien qu’Owiro dise que la Chine est attrayante pour l'Afrique parce qu’elle vient sans aucune condition, “l'intérêt de la Chine dans l’Afrique est principalement basé sur les richesses minières de l'Afrique”.

Il déclare que l'Angola est riche en diamants et la relation de longue date du pays avec la Chine est construite sur cette richesse naturelle, ajoutant que “Luanda, la capitale de l'Angola, abrite près de trois millions de Chinois”.

“Le Nigeria est riche en pétrole et l’Afrique de l'est est en train de découvrir du pétrole et du gaz”, explique-t-il.

En 2013, le Kenya a découvert le niobium, un métal rare dont les gisements sont estimés à 62,4 milliards de dollars.

“Mais la découverte de ces minéraux à travers l'Afrique pourrait également faire pencher la balance en faveur de l'Afrique dans la mesure où les relations bilatérales entre la Chine et l’Afrique évoluent. La Chine est intéressée par ces minéraux et elle aura à les importer d'Afrique”, déclare Owiro.

Selon l'IEA, le secteur de l'énergie du Kenya pourrait contribuer pour environ 40 pour cent du produit intérieur brut (PIB) une fois la commercialisation commence, générant des recettes énormes pour le pays.

Mais Gakuru dit que l'Afrique est en position d’obtenir plus de dividendes financiers de son interaction avec la Chine.

“Ce n'est pas par hasard que l'accord de paix difficile à obtenir au Soudan du Sud ait été négocié au cours de cette visite. L'Afrique est en position d’obtenir des dividendes en matière de paix à partir de ce genre d'approche régionale”, dit-il.

Gakuru déclare aussi que l'Afrique pourrait bénéficier du transfert de technologies à partir de la Chine.

Mais, indique Owiro, la Chine ne transfère pas actuellement aucune connaissance technologique “toutes les constructions financées par la Chine en Afrique se font par les Chinois eux-mêmes”.

“Ce n'est qu’après un tollé lors de la construction de l’autoroute Nairobi-Thika que les Chinois ont recruté quelques Kényans pour faire quelques travaux manuels”, souligne-t-il.

Ken Ogwang, un promoteur immobilier basé à Nairobi et expert en Economie, affirme qu'il y a environ 2.500 entreprises chinoises en Afrique, mais que le continent obtient toujours un accord brut.

“Des études ont montré que les entreprises chinoises en Afrique créent des sous-économies très minimes. Là où les entreprises chinoises construisent des routes, vous vous attendez à ce que les populations locales commencent à gagner en nourrissant les constructeurs, en les logeant etc.”, dit-il à IPS.

Mais, comme l’explique Owiro, cela ne se produit pas.

“Les Chinois construisent leurs propres campus, et y amènent ce dont ils ont besoin. Mais, comme le rôle de la Chine dans l'économie mondiale continue de changer, l'Afrique peut bénéficier de ce changement”, estime Owiro.

Il dit que la Chine était la destination pour l'externalisation de la fabrication et le montage mais les Chinois s’impliquent désormais dans des emplois plus techniques et plus rémunérateurs. “Les emplois moins techniques vont désormais vers les pays en développement voisins comme le Vietnam et même l'Inde”.

Il dit que l'Afrique doit disposer de politiques économiques qui “lui permettent de puiser dans ces emplois. Comme la Chine, l'Afrique a une main-d'œuvre abondante et bon marché. L'Ethiopie a déjà commencé à puiser dans ces emplois”.