SANTIAGO, 2 fév (IPS) – Pour Isadora Riquelme, 14 ans, et des milliers d'autres adolescents chiliens, la chance d'obtenir la formation universitaire qu'ils veulent dépendra des réformes que Michelle Bachelet a promises d'opérer lorsqu’elle prendra fonction à nouveau en tant que présidente du pays en mars.
L'éducation sera également le baromètre de la relation que Bachelet a avec la base sociale du pays. Les experts et ceux qui ont un rôle dans l'éducation affirment que ce ne sera pas suffisant d’établir la gratuité de l'enseignement supérieur; les divisions profondes dans le système, depuis la maternelle, doivent être corrigées.
Les étudiants ont déjà prévu pour le 22 mars, 11 jours après que Bachelet aura prêté serment pour son deuxième mandat de quatre ans, une marche exigeant une réforme, indiquant la pression intense qu'ils mettront sur la présidente socialiste dès le début.
Riquelme commencera le collège à la fin de février 2014. Elle veut faire des études de langues ou de la musique à l'université et pense que l'éducation devrait être gratuite pour tous les étudiants, mais elle doute que cet objectif soit atteint et qu'elle en profite.
“Je ne pense pas que [les autorités] seront en mesure de réaliser cela”, a-t-elle déclaré à IPS.
“Normalement, les universités seraient complètement gratuites, et ainsi nous aurions ensuite un accès plus facile aux études. Actuellement, il y a beaucoup d'enfants qui ne vont pas l'école parce qu'ils n'ont pas d'argent”, a-t-elle indiqué. Pour sa part, affirme-t-elle, elle espère “obtenir une bourse”.
Selon le système actuel, ses parents, tous deux des professionnels, mais aucun d'entre eux n’a d’emploi stable, devraient payer au moins 1.200 dollars par mois pour les frais d’université de leur fille.
Des manifestations pour l'éducation au Chili ont commencé en 2006, au début du premier mandat de Bachelet (2006-2010). Cela était appelé la “Révolution des pingouins” à cause des uniformes noirs et blancs des élèves du secondaire qui exigeaient un meilleur enseignement primaire et secondaire et une recentralisation du système des écoles publiques.
Cinq ans plus tard, les étudiants ont exigé un enseignement supérieur public de qualité, gratuit, dans un mouvement de grande envergure qui a fait descendre près d'un million de personnes dans les rues.
Cette manifestation a montré le vrai visage de ce pays de 17 millions d'habitants où l'économie s’est accrue au taux annuel de six pour cent au cours des dernières années, mais qui est en même temps l'une des nations les plus inégalitaires au monde.
Près de trois millions de Chiliens sont obligés de vivre avec moins de deux dollars par jour, et un million d’autres ont un revenu de moins d'un dollar par jour. En revanche, les plus riches, qui constituent un pour cent de la population, amassent près de 30,5 pour cent des recettes totales du pays, selon des chiffres provenant de 'Fundación Sol', un groupe de réflexion.
En 1981, la dictature militaire de feu Augusto Pinochet (1973-1990) a réduit l'enseignement public et a transféré le contrôle des écoles aux municipalités. Cette année-là, 78 pour cent des inscriptions étaient dans les écoles publiques, et le reste dans le secteur privé.
En 1990, au retour de la démocratie, les inscriptions dans les écoles municipales sont descendues à 57,8 pour cent, et en 2012 elles étaient de 38 pour cent. La cause était la détérioration rapide de la qualité de l'enseignement public, qui a conduit à la mise en place d'un système mixte, avec des contributions des municipalités et des parents, créant ce qu'on appelle 'les écoles privées subventionnées'.
Le besoin urgent de réduire l'énorme inégalité promue par le système d'enseignement de la dictature et la pression des étudiants ont amené Bachelet à définir la réforme de l'éducation comme un principe fondamental dans son programme de gouvernement, afin de mettre fin à un avantage excessif, d’améliorer la qualité, de stopper la ségrégation sociale dans les écoles et de faire des progrès substantiels vers la gratuité de l'enseignement pour tout le monde.
Le coût estimé de cette réforme sera entre 3,9 et 5,2 milliards de dollars, l'équivalent de 1,5 à deux pour cent du produit intérieur brut, et son objectif est d'avancer progressivement vers la gratuité de l'enseignement supérieur pour tout le monde sur six ans.
Bachelet a promis que d'ici à la fin de son mandat de quatre ans, les 70 pour cent des étudiants chiliens les plus pauvres auraient un accès gratuit à l'enseignement supérieur.
Eduardo García Huidobro, qui a présidé le Comité consultatif présidentiel pour la qualité de l'éducation, qui a rendu son rapport final en 2006, a déclaré à IPS que le nouveau gouvernement sera confronté à “deux besoins pressants”.
“Il y a les besoins 'politico-politiques', et le domaine de l'éducation peut devenir ingérable s’il n'est pas résolu rapidement, et les 'besoins politico-techniques', qui peuvent être moins grands, mais sont d'une importance considérable”, a-t-il souligné.
García Huidobro, un enseignant à l'Université Alberto Hurtado, a déclaré que parmi les questions essentiellement politiques figure la gratuité de l'enseignement supérieur, “qui est importante en raison de son effet démocratisant, mais c’est également un point clé pour la crédibilité du nouveau gouvernement parmi les mouvements sociaux”.
Parmi les questions “politico-techniques”, “la plus importante, c’est la profession d'enseignant, parce que parler de l'amélioration de la qualité de l'enseignement n'est pas crédible sans une amélioration considérable des salaires et des conditions de travail des enseignants”.
Selon García Huidobro, ces besoins sont suivis par “la démunicipalisation” et la régulation des écoles privées subventionnées, afin que les apprenants aient les mêmes chances, qu'ils vivent dans une municipalité ou quartier pauvre, ou riche.
Au Chili, il existe 25 universités traditionnelles, à la fois publiques et privées, qui appartiennent au Conseil des recteurs des universités chiliennes (CRUCH), ainsi que 31 autres établissements d'enseignement supérieur privés.
Pour fréquenter une université du CRUCH, les étudiants doivent passer un test de sélection sur les connaissances acquises à l'école secondaire.
“C'est là où l'essence de la ségrégation au Chili refait surface. A quoi sert une université gratuite si vous ne pouvez pas y entrer?”, a demandé Mauricio Weibel, journaliste et expert en éducation.
Weibel, qui est le directeur de la 'Escuela Latinoamericana de Estudios de Postgrado' (Ecole des études de troisième cycle d’Amérique latine) à l'Université ARCIS, a déclaré que le plus grand défi, c’est l'amélioration de la qualité de l'enseignement primaire et secondaire, où commence l'inégalité.
“Aujourd'hui, au Chili il existe des écoles pauvres pour les pauvres et des écoles riches pour les riches. Et la différence entre elles n'est pas seulement l'infrastructure, mais, au-delà de tout, la qualité des enseignants et de l'enseignement donné”, a-t-il indiqué.