AFRIQUE DE L'EST: La Tanzanie en marge du visa touristique unique

GOMA, RD Congo, 29 oct (IPS) – Les dirigeants des pays de la Communauté est-africaine (EAC) sont tombés d'accord sur la délivrance, à partir de 2014, d'un visa touristique unique dans le but de stimuler l'industrie du tourisme. Mais la Tanzanie reste réticente à cette vision d'intégration.

L'EAC regroupe le Burundi, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie. Devenu indépendant en juillet 2011, le Soudan du Sud a demandé, pour 2014, un statut d'observateur au sein de la communauté.

Mais pour l'instant, seuls le Kenya, l'Ouganda et le Rwanda font partie de l'accord signé le 2 août dernier à Kigali, la capitale rwandaise, pour délivrer, à partir de janvier 2014, un visa unique qui s'obtiendra depuis n'importe quel point d'entrée, déclare Peter Okota, un officier de l'immigration à Kampala, la capitale ougandaise.

“Le visa devra coûter [à tout touriste non citoyen de l'un des trois pays signataires de l’accord] 100 dollars pour un séjour inférieur ou égal à 90 jours. Et, c'est le pays d'entrée qui va collecter ces frais”, affirme-t-il à IPS. Chaque pays va encaisser 30 dollars des frais du visa, tandis que le solde de 10 dollars sera mis de côté pour les opérations techniques, explique Jacqueline Muhongayire, la ministre rwandaise de l'EAC.

“Il doit être clair que les deux pays [le Burundi et la Tanzanie] ne sont pas exclus. Ils peuvent décider de joindre notre accord à chaque fois qu'ils le trouveraient important pour eux”, a-t-elle déclaré, le 2 août à Kigali, devant la presse.

Actuellement, un touriste qui visite les cinq pays de l'EAC, doit débourser 250 à 300 dollars. Et seul le Kenya autorise la réadmission après l'obtention d'un visa initial lors de la visite d'un autre pays de l'EAC, alors que les autres ne le font pas.

Mais si l'application d'un visa unique bute, depuis 2006, sur les problèmes de sécurité et d'insuffisance d’infrastructures dans certains pays de l'EAC, le principal désaccord est focalisé sur les barèmes et la modalité de partage des revenus, souligne Okota.

Le Burundi, dont le ministre du Transport à pris part au sommet de Mombasa, au Kenya, trois semaines après la rencontre de Kigali, sur les avancées du visa unique, n'accepte pas encore ces dispositions.

“Il existe encore de petits problèmes sur le prix et le partage des recettes qui proviendraient du visa unique”, affirme à IPS, Denise Nijimbere, la directrice adjointe de l'Office national du tourisme burundais. Dans un communiqué publié le 27 septembre, le gouvernement burundais estime que la démarche des trois Etats signataires de l’accord “pousse l’opinion des Etats membres de l’EAC tenus à l’écart de l’initiative, dont le Burundi, à s’interroger sur la finalité de ces nouveaux projets non communautaires”. Le gouvernement du Burundi ajoute: “Tout en reconnaissant le principe de la géométrie variable prévu par le traité établissant la Communauté est-africaine, qui prévoit les cas où certains pays peuvent avancer plus rapidement dans des projets communautaires s’il s’avère nécessaire, le même traité prévoit également que les décisions sont prises par consensus de tous les Etats membres de la communauté, ce qui n’a pas été le cas”.

“Le visa unique facilitera les arrangements pour ceux qui veulent visiter les attractions touristiques de l'Afrique de l'est”, déclare à IPS, Diogène Musoni, professeur d'économie au 'Rwanda Tourism University College'. Il estime que le visa unique pourrait augmenter les recettes touristiques de l'EAC de 50 pour cent durant les cinq premières années de l’accord.

Mais la Tanzanie, plus impliquée dans la Communauté de développent de l'Afrique australe (SADC) que dans l'EAC, reste réticente à une “telle version d'intégration économique” par l'application d'un visa unique pour d'autres raisons, commente Musoni.

“La présence de la Tanzanie dans la nouvelle brigade de la MONUSCO [la Mission de l'ONU en RDC] contre le M23 [accusé d’être soutenu par le Rwanda et l’Ouganda] est pour quelque chose”, affirme à IPS, Godefroid Kä-Mana, président de 'Pole Insitute' de la région des Grands Lacs, basé à Goma, au Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Très actifs aux côtés de l'armée congolaise dans les combats qui ont contraint, en août dernier, les rebelles du M23 à abandonner une position stratégique à 15 kilomètres au nord de Goma, les casques bleus tanzaniens avaient perdu deux militaires blessés lors des affrontements.

Un troisième casque bleu tanzanien à été tué le 26 octobre, lors des combats qui opposent l'armée congolaise – appuyée par la brigade d'intervention de l’ONU – au M23 depuis le 25 octobre à Kibumba, Kiwanja, Rutshuru et Rumangabo. Quatre localités du Nord-Kivu que l'armée a reprises au M23.

“Perdre ses soldats pour sauver Goma ne peut qu'éloigner la Tanzanie de ceux qui font la guerre en RDC”, déclare à IPS, Thomas d'Aquin Mwiti, président de la société civile du Nord-Kivu.

Contactée fin-octobre au téléphone, la cellule de communication du ministère tanzanien du Tourisme n'a pas voulu répondre à ce que “les intellectuels rwandais qualifient de l'isolement de la Tanzanie”, affirme-t-elle à IPS. Mais elle a ajoute que la Tanzanie met un accent particulier sur l'EAC au même titre que sur la SADC.

Interrogé par la presse nationale le 18 septembre à Dar es Salaam, le ministre tanzanien chargé des Affaires de l’EAC, Samwel Sitta, avait répondu: “Nous ne serons pas contraints à accélérer l’intégration, car elle ne sera pas durable”. Sitta avait soupçonné le trois pays engagés dans le visa unique de vouloir isoler la Tanzanie. “Les domaines de coopération sur lesquels les trois pays travaillent ne sont pas différents de ceux dont nous avons discuté ensemble lors de la présidence de Mwai Kibaki [l’ancien président kényan] à l’époque”, affirme-t-il, ajoutant que “S’ils ont choisi tout d’un coup de nous isoler, tout ce que nous pouvons faire, c’est de les quitter et de leur souhaiter bon vent”. Pour le nouveau président kenyan, Uhuru Kenyatta, l'EAC ne peut attirer un grand nombre de touristes qu'en instaurant un visa touristique commun.

“L'objectif est de vendre les gorilles du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi ainsi que la faune sauvage du Kenya et de la Tanzanie comme un tout”, a déclaré Kenyatta, le 18 octobre Nairobi, lors d'une exposition qui présentait le Kenya comme une destination touristique, devant quelque 150 professionnels de l'industrie du tourisme de plus de 30 pays.

Le président Kenyatta dit espérer que l'EAC pourra adopter un visa touristique unique, qui inclura aussi la Tanzanie, d'ici à la fin 2014.