AFRIQUE DU SUD: Des eaux usées à l’eau potable pour une ville qui en manque

KWAZULU-NATAL, Afrique du Sud, 2 oct (IPS) – Dans quelques années, les habitants de la municipalité d'eThekwini, dans la ville portuaire de Durban, en Afrique du Sud, pourraient être en train de boire l’eau qui était autrefois chassée dans leurs toilettes.

Cela viendrait du fait que les autorités envisagent de recycler une partie des eaux usées de la municipalité et de les purifier aux normes de qualité potable.

“Nous vivons une pénurie d'eau cruciale, qui est accentuée par la demande en eau à eThekwini”, a déclaré à IPS, Speedy Moodliar, directeur principal de la planification de l'eau et de l'assainissement pour la municipalité.

Cette municipalité dépend du système du fleuve Umgeni pour l'eau. Mais la demande sur ce système, qui fournit de l'eau potable à environ cinq millions de personnes et alimente l'industrie dans les centres économiques de Durban et de Pietermaritzburg, une ville située à 66 kilomètres de la côte, a dépassé l'offre au cours des sept dernières années.

Pour accroître l'offre dans l'avenir, le gouvernement sud-africain a proposé la construction d'un barrage d'une capacité de 250 millions de mètres cubes sur le fleuve uMkhomazi, le troisième fleuve le plus grand dans le KwaZulu-Natal, et le transfert de l'eau au système d’Umgeni.

Mais ce projet sera opérationnel seulement d'ici à 2024 au plus tôt, a indiqué Moodliar. “Entre maintenant et le moment où [le projet] d’uMkhomazi deviendra effectif, le recyclage [des eaux usées] sera notre mesure d'atténuation”.

Dans des pays arides comme Israël, l'Egypte et l'Australie, les eaux usées traitées sont utilisées pour l'industrie, l'aménagement paysager et l'agriculture. Mais peu de pays, à travers le monde, les mettent directement dans leurs systèmes d’approvisionnement en eau potable.

Singapour utilise les eaux usées purifiées pour répondre à 30 pour cent de ses besoins en eau, bien que seulement un petit pourcentage aille à l'eau potable et que la grande partie soit utilisée par l'industrie. Les citoyens de Windhoek, la capitale de la Namibie, un pays aride voisin d'Afrique du Sud, au nord-ouest, boivent des eaux usées recyclées depuis plus de 40 ans.

En 2011, la municipalité de Beaufort West, qui englobe près de 50.000 personnes, a commencé à traiter ses eaux usées pour être utilisées comme de l’eau potable après une grave sécheresse, faisant d’elle la première en Afrique du Sud à le faire. Selon un rapport publié en 2012 par la Banque mondiale, intitulé “L'avenir de l'eau dans les villes africaines: Pourquoi gaspiller l'eau?”, peu de villes en Afrique ont des usines de traitement des eaux usées qui fonctionnent et “seulement une faible proportion des eaux usées est recueillie, et une fraction encore plus petite est traitée”.

La municipalité d’eThekwini envisage d'améliorer deux de ses usines de traitement des eaux usées existantes et peu performantes – les installations de traitement de KwaMashu et de Northern, a expliqué Moodliar.

Pour éliminer les contaminants et purifier l'eau jusqu’à une norme de qualité potable, un système à trois étapes, qui traite l'effluent à travers l'ultrafiltration et l'osmose inverse, ainsi que la désinfection par la lumière ultraviolette et le chlore, serait utilisé. L'eau traitée serait également stockée et testée avant d'être libérée.

L'eau purifiée sera mélangée avec de l'eau potable conventionnelle à un rapport de 30 pour cent d'eau recyclée pour 70 pour cent d’eau conventionnelle, a souligné Moodliar. Elle alimentera les régions du nord de la municipalité, y compris Umhlanga, 'Durban North', 'Reservoir Hills', et KwaMashu.

Le recyclage des eaux usées de cette façon ajoutera 116 méga-litres d'eau de robinet à l'approvisionnement journalier de la municipalité. C'est assez pour remplir un peu plus de 46 piscines olympiques. C’est à peu près 13 pour cent de la consommation quotidienne actuelle de la municipalité, et cela fournira environ sept ans de sécurité en eau.

Bien que la production d'eau potable à travers le recyclage des eaux usées coûte plus – environ 75 cents par kilolitre comparé aux 50 cents par kilolitre pour le traitement conventionnel – la municipalité voit cela comme “la meilleure solution”, a déclaré Moodliar.

La municipalité a vanté l'efficacité et la sécurité du système proposé, mais il y a eu une opposition au projet, y compris la présentation d'une pétition de 5.000 signatures au cours du processus de participation du public en 2012.

Des citoyens ont exprimé leurs inquiétudes quant à la sécurité à boire de l'eau recyclée. “Le recyclage de l'eau des toilettes en eau potable est une condamnation à mort pour le grand public en raison des répercussions sur la santé”, a écrit Jennifer Bohus dans un courriel adressé à 'Golder Associates', l’entreprise qui a produit le rapport d'évaluation de base pour la proposition de recyclage des eaux usées.

Toutefois, la municipalité soutient que l'eau sera bonne à boire.

“La technologie est tellement avancée que la qualité de l'eau retournée est élevée”, a indiqué à IPS, Graham Jewitt, directeur du Centre de recherche sur les ressources en eau à l'Université du KwaZulu-Natal, et président de la gestion des ressources en eau pour la société publique 'Umgeni Water'. “Beaucoup de villes dans le monde entier utilisent de l'eau recyclée”.

“Environ 14 pour cent de la consommation d'eau en Afrique du Sud constitue en réalité de l'eau qui est en train d’être recyclée, en grande partie de manière indirecte”, a expliqué à IPS, Niel van Wyk, ingénieur en chef au ministère des Affaires de l’Eau, responsable de la planification stratégique des ressources en eau dans le KwaZulu-Natal.

Les citoyens qui s'opposent à ce plan ont également estimé que cette municipalité, qui perd 36 pour cent de son eau chaque année, en grande partie à travers des fuites et des raccordements illégaux, devrait se concentrer sur la réparation des tuyaux qui fuient. D'autres ont proposé plutôt des investissements dans des usines de dessalement de l'eau de mer.

Le potentiel pour aspirer l'eau de mer à partir de l'océan Indien et la convertir en eau douce pour la région est actuellement en étude. Mais le procédé de dessalement de l'eau de mer, qui consiste à pomper l'eau de mer à une pression élevée à travers une membrane semi-perméable qui retient le sel, et permet à l'eau de passer, demeure coûteux.