SENEGAL: Opposition croissante au mariage des enfants

DAKAR, 13 mars (IPS) – Quand Abdoulaye Ba entendait son imam local à Dakar, au Sénégal, se prononcer contre le mariage des enfants, il trouvait que cette idée n'était pas très acceptable pour lui. En tant que chef de sa famille, il avait l'intention de marier ses trois filles adolescentes.

Ba a déclaré à IPS qu'il avait eu de “grands projets” pour ses filles âgées de 12, 14 et 17 ans. Mais aujourd’hui, il réalise que cela pourrait ne pas être la bonne chose pour ses enfants.

Il discute de la question avec son imam, Ibrahima Niasse, de temps en temps, a-t-il dit. “Je pense que plus nous parlons et il développe ses arguments, plus je commence à comprendre que quelles que soient les raisons que nous avons pour pousser nos enfants à se marier à un âge précoce, elles ne sont rien d'autre qu'un mythe”.

Le mariage avant l'âge de 18 ans est une pratique courante au Sénégal, avec 16 pour cent des jeunes femmes qui se marient et accouchent avant d'atteindre l’âge de 15 ans, selon un récent rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal.

Un rapport intitulé “Evaluation 2010 des genres par l’USAID-Sénégal”, publié en avril 2012, indique que le pays est 27ème sur 68 nations sondées en termes de jeunes filles qui se marient avant l'âge de 18 ans.

Mais Niasse a décidé de se prononcer contre cette pratique. “J'avais l'habitude de résister au changement, mais aujourd’hui je suis convaincu que cette pratique est mauvaise en fait et n'a rien à voir avec l'islam”, a souligné Niasse à IPS. “Mon approche est facile et très amicale; elle commence comme une visite familiale et une simple causerie, et plus tard, nous commençons à en débattre”.

L'imam fait partie d’un nombre croissant de personnes dans cette nation d’Afrique de l’ouest appelant à l'abandon du mariage précoce, selon 'Tostan International', une organisation non gouvernementale (ONG) de défense des droits humains travaillant dans le pays.

Prié de dire comment son message a été reçu, Niasse a déclaré: “Jusqu'ici, assez bien. Inshallah, un jour ils (les gens) changeront (leurs mentalités au sujet du mariage des enfants)”.

Actuellement, environ 427 communautés dans le sud du Sénégal ont abandonné la pratique, selon 'Tostan International'. Mais davantage de gens comme Niasse sont nécessaires pour propager le message.

“Parce que les imams sont déjà des leaders respectés dans leurs communautés, et sont recherchés pour des conseils, ils sont déjà bien placés pour provoquer des changements positifs dans leur communauté”, a expliqué à IPS, Amy Fairbairn, une porte-parole de l'ONG.

“Nous constatons que lorsque les femmes, les hommes, les enfants, les leaders communautaires et religieux s’imprègnent des droits humains et des droits de tous les membres de leurs communautés, ils mènent leur propre changement social”.

En plus d'être une violation des droits humains, le mariage des enfants constitue une grave menace pour la vie, la santé et les perspectives d'avenir des jeunes filles, selon le rapport 2012 intitulé “Se marier trop jeune – Mettre fin au mariage des enfants”, publié par le Fonds des Nations Unies pour la population.

Leela* est un cas d’espèce. A seulement 18 ans, elle est mariée depuis deux ans déjà et a un enfant âgé d'un an. Incapable d'aller à l'école et forcée dans un mariage précoce par sa famille, elle se sent piégée.

“Je n'aime pas ce soi-disant mariage. Mais je n'ai pas le choix, puisque mes parents m'ont forcée à épouser cet homme plus âgé, qui se trouve être le fils de ma tante. Je n'ai aucune éducation formelle et donc aucun avenir”, a-t-elle déclaré à IPS. “Je me sens emprisonnée”, a-t-elle ajouté.

Elle a dit que son mari lui interdisait d'être amie des filles de son âge dans leur zone, lui racontant que les femmes célibataires de la ville sont des “prostituées et des démons qui peuvent facilement empoisonner son esprit”.

Mais ce n’est pas tout le monde qui est convaincu que le mariage précoce est mauvais. Aissatou Diakhaté, 62 ans, avait 15 ans quand elle avait épousé son cousin.

“Pourquoi y a-t-il tant d’histoires autour du soi-disant mariage des enfants? C'est notre tradition et notre culture – quelque chose que nous avons hérité de nos ancêtres et que nous ne faisons que pratiquer”, a affirmé Diakhaté à IPS.

“De nos jours, les filles portent des mini-jupes et courent après les garçons, et par la suite, une fille dira à sa mère qu'elle est enceinte ou infectée par une certaine maladie odieuse. C’est mieux de la donner en mariage à quelqu’un de plus âgé qui prendra soin d'elle et la guidera sur la voie de la religion avant qu'elle n’humilie ses parents, et n’apporte le déshonneur sur la famille. Est-ce un péché? Nous avons besoin d'être laissés tranquilles”, a-t-elle dit.

*Le nom a été modifié pour protéger l’identité de l’enfant.