CAMEROUN-CHINE: Un mariage aux perspectives incertaines

YAOUNDE, 20 jan (IPS) – Le gouvernement camerounais se tourne davantage vers la Chine comme partenaire privilégié dans ses efforts de développement. Mais, des voix opposées estiment que les effets à long terme des relations économiques de la Chine avec le Cameroun pourraient être désastreux pour l'industrie nationale.

“Nous invitons les entreprises chinoises à venir nombreuses investir au Cameroun dans tous les secteurs, en particulier les hydrocarbures, l'exploitation minière et l'extraction de bois”. Cette invitation a été faite par le président Paul Biya en janvier 2007 lorsque le président chinois Hu Jintao effectuait la toute première visite d’un président chinois au Cameroun. Le président chinois avait déclaré à cette occasion que les relations de la Chine avec le Cameroun et l'Afrique ont été construites sur “une amitié sincère, l'égalité, l'avantage réciproque et une “coopération gagnant-gagnant”. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont bondi à plus de 170 millions de dollars US en 2000, contre seulement 85 millions de dollars en 1999. Et selon le dirigeant chinois, en 2006, le commerce bilatéral avait grimpé à 340 millions de dollars. Les chiffres de l'Institut national des statistiques indiquent qu’avant 1999, les exportations du Cameroun vers la Chine étaient presque insignifiantes, mais ont grimpé de plus de 170 pour cent pour atteindre 123 millions de dollars en 2000. Cela représentait sept pour cent des exportations totales du Cameroun, contre à peine 2,5 pour cent en 1999. De la même façon, les importations totales du Cameroun de la Chine ont augmenté de 110 pour cent entre 1999 et 2005. En 2005, les marchandises importées de Chine – essentiellement les céréales, les produits manufacturés, les machines, les moyens de transport et des équipements – ont coûté au Cameroun 144 millions de dollars, contre seulement 39 millions de dollars en 1999. Le gouvernement affirme que la Chine est un bon partenaire pour la coopération, non seulement en raison de l’approche “gagnant-gagnant” tant vantée, mais aussi parce que la Chine, contrairement à l'Occident, n’impose pas de conditionnalités. Deuxièmement, les Chinois demandent très peu d’argent pour les contrats, par rapport aux entreprises occidentales. Par exemple, 'China Road And Bridge Corporation' a gagné un appel d’offres pour construire une route de 13 kilomètres à Douala, la capitale économique du Cameroun, pour 18 millions de dollars, battant des soumissionnaires rivaux qui demandaient 30 millions de dollars. Et le projet a été achevé avec succès un mois d'avance sur le délai prévu. Des réactions mitigées parmi les pauvres Pendant ce temps, beaucoup de Camerounais ordinaires voient les produits chinois bon marché comme une alternative valable. “Avec seulement 2.000 francs CFA (environ quatre dollars), je peux acheter une paire de chaussures. Les Chinois aident des gens comme nous”, déclare Christian Njah, un agent de sécurité à Yaoundé, la capitale, qui gagne un salaire mensuel d'environ 50.000 FCFA (100 dollars). Des chiffres officiels indiquent que 40 pour cent des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Mais ce n’est pas tout le monde dans cette nation d’Afrique centrale qui est content de la présence chinoise. Dans la région Nord-Ouest du Cameroun, de petits commerçants ont exprimé leur mécontentement. “Nous ne sommes pas contre les investissements chinois au Cameroun, mais s’ils viennent pour rivaliser avec nous dans la torréfaction et la vente d'articles simples comme le maïs, le plantain et le barbecue au bord des voies, alors il y a un gros, gros problème”, se plaint Elisabeth Neh, une vendeuse de maïs grillé à Bamenda. C'est un sentiment qui est répandu dans toute la communauté des petits commerçants au Cameroun, dont certains ont fini par vendre les mêmes produits chinois bon marché. Fondo Sikod, un professeur d'économie à l'Université de Yaoundé II à Soa, affirme que “les produits chinois fournissent aux Camerounais plus pauvres un accès moins coûteux à plus de biens et services. C’est bon pour le bien-être de la population”. “Mais ceci est mauvais sur le long terme parce qu’il détruit les capacités de fabrication et la concurrence locales. En outre, il y a peu ou pas de transfert technologique parce que les Chinois amènent souvent avec eux leur propre main-d’œuvre, avec les Camerounais confinés aux postes périphériques comme chauffeurs et balayeurs. “Ce n'est pas bon du tout, et c'est pourquoi les Chinois continuent de faire des travaux d'entretien au Centre des congrès de Yaoundé, construit par les Chinois en 1982”, a-t-il indiqué. La menace concurrentielle est mieux illustrée dans un rapport soumis au Consortium sur la recherche économique en Afrique en 2008 par Sunday Aninpah Khan et Francis Menjo Baye, tous deux professeurs à l'Université de Yaoundé II. “Une comparaison des prix des piles fabriquées au Cameroun et de celles fabriquées en Chine peut mieux illustrer cette menace concurrentielle. Au Cameroun, un pack de quatre piles AA (Hellesens) fabriquées au Cameroun coûte 67 centimes de dollar, tandis que celles importées de Chine (Royal) se vendent à seulement 22 cents – presque 67 pour cent moins, en dépit des frais supplémentaires, tels que les droits de douane, l’assurance, le transport, etc.” Le faible coût des produits chinois est en train d'avoir un impact important sur les exportations du Cameroun vers la sous-région d’Afrique centrale, avec les ventes de produits industriels ayant baissé de 42 pour cent entre 2003 et 2005, et les bénéfices ayant chuté de quatre millions de dollars à seulement 1,3 million de dollars. “Les entreprises camerounaises perdent non seulement le marché à l’intérieur, mais aussi dans leur arrière-cour”, indique le rapport. En outre, le Cameroun souffre d'un grand déséquilibre des échanges commerciaux dans ses relations avec la Chine. Selon le professeur Sikod, la Chine était responsable de 23,5 pour cent des 48 millions de dollars de déficit commercial total du Cameroun en 2004. Et la situation a empiré en 2005, avec la Chine responsable de 75 des 91 millions de dollars de déficit du pays. Le président Biya a reconnu cela lorsqu'il a dit à son homologue chinois en février 2007 que “nous souhaitons bénéficier des quotas d'exportation pour certains de nos produits comme le café, le coton, le cacao, la banane, pour ne citer que quelques-uns; afin de rééquilibrer autant que possible la balance commerciale entre nos deux pays”.