L’Innovation Agricole Réussie Atténue l’Impact de la Crise Climatique en Afrique

Martin Kropff, Directeur Général, CIMMYT et Nteranya Sanginga, Directeur Général, IITA

 
IBADAN et MEXICO CITY, 17 février 2021 (IPS) – 17 février – Les petits agriculteurs africains n’ont d’autre choix que de s’adapter au changement climatique: 2020 a été la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée, tandis que les sécheresses prolongées et les inondations explosives menacent directement les moyens de subsistance de millions de personnes. D’ici les années 2030, l’absence de précipitations et la hausse des températures pourraient rendre 40 pour cent de la superficie cultivée en maïs de l’Afrique impropre aux variétés vulnérables au climat cultivées par les agriculteurs, tandis que le maïs reste l’aliment de base préféré et abordable pour des millions d’Africains qui survivent avec moins de quelques dollars de revenu par jour.

Les agriculteurs à travers le continent comprennent que la crise climatique affecte leurs récoltes et leur «pain quotidien». En Afrique subsaharienne, un nombre croissant de personnes souffrent de sous-alimentation chronique, avec plus de 21 pour cent de la population souffrant d’une grave insécurité alimentaire.

La bataille mondiale contre le changement climatique et tous ses impacts interconnectés nécessite une approche multisectorielle pour formuler des réponses globales. Pour les agriculteurs d’Afrique subsaharienne, en particulier les petits exploitants, cela implique la production de variétés de cultures améliorées qui sont non seulement à haut rendement, mais également tolérantes à la sécheresse et à la chaleur, résistantes aux maladies et aux insectes ravageurs, et peuvent contribuer à minimiser le risque d’une agriculture sous conditions pluviales.

Le GCRAI (Groupe Consultatif pour La Recherche Agricole Internationale), un partenariat mondial impliquant de nombreuses organisations engagées dans la transformation des systèmes alimentaires, est à la pointe de l’innovation technologique et du déploiement depuis de nombreuses décennies. Le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) et l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) sont les deux centres de recherche du GCRAI qui entreprennent des travaux de recherche et de développement novateurs sur le maïs dans les environnements exposés au stress en Afrique. Le développement réussi de variétés de maïs améliorées et adaptables au climat pour l’Afrique subsaharienne a été mené par ces deux centres du GCRAI qui ont mis en œuvre des projets conjoints tels que le maïs résistant à la sécheresse pour l’Afrique (DTMA) et le maïs tolérant au stress pour l’Afrique (STMA) en partenariat avec un ensemble de partenaires nationaux et privés dans les principaux pays producteurs de maïs d’Afrique orientale, australe et occidentale. Dans le cadre de l’initiative DTMA décennale, environ 160 variétés de maïs abordables et évolutives ont été commercialisées.

On estime que les variétés de maïs à haut rendement et tolérantes au stress, utilisant le matériel génétique (germoplasme) de maïs CIMMYT / IITA commercialisée après 2007 (année du démarrage du projet DTMA), seraient cultivées sur 5 millions d’hectares en 2020 en Afrique subsaharienne. L’adoption de variétés de maïs tolérantes à la sécheresse (DT) a aidé a levé des millions de personnes au-dessus du seuil de pauvreté à travers le continent. Par exemple, dans le sud du Zimbabwe, sujet à la sécheresse, les agriculteurs utilisant des variétés DT pendant les années sèches ont pu récolter jusqu’à 600 kilogrammes de maïs de plus par hectare – assez pour neuf mois pour une famille moyenne de six personnes – que les agriculteurs qui ont semé des variétés conventionnelles.

Une petite exploitante agricole du nord de l’Ouganda avec du maïs DT dans sa ferme. Crédit: CIMMYT

Le projet STMA qui a suivi DTMA a également fonctionné en Afrique subsaharienne, où 176 millions de personnes dépendent du maïs pour leur alimentation et leur bien-être économique. Le projet, qui s’est terminé en 2020, et suivi d’un nouveau projet appelé Accelerating Genetic Gains for Maize and Wheat Improvement (AGG) (Accélération des gains génétiques pour l’amélioration du maïs et du blé), a développé de nouvelles variétés de maïs qui peuvent être cultivées avec succès en cas de sécheresse, de fertilité sous-optimale du sol, de stress thermique et de maladies et de ravageurs. En 2020, on estimait que les variétés de maïs tolérantes au stress liées au GCRAI étaient cultivées sur plus de 5 millions d’hectares, bénéficiant à plus de 8,6 millions de petits exploitants agricoles dans 13 pays d’Afrique subsaharienne.

Au Kenya, les agriculteurs utilisant les nouvelles variétés de maïs récoltent 20 à 30 pour cent de plus de céréales que les agriculteurs sans semences résistantes à la sécheresse. Prasanna Boddupalli, directeur du programme mondial sur le maïs du CIMMYT et du programme de recherche du GCRAI sur le maïs, affirme que cela a un effet en cascade sur les moyens de subsistance – en améliorant l’apport nutritionnel de la communauté, en aidant les enfants à retourner à l’école et en réduisant la pauvreté.

Martin Kropff, Directeur Général, CIMMYT

Dans une interview accordée à Gates Notes, la fermière kényane Veronica Nduku, qui cultive le maïs du CIMMYT résistant à la sécheresse depuis 10 ans, a déclaré qu’elle récolte toujours même en l’absence de pluie.

En Zambie, une étude du CIMMYT et du Center for Development Research (Centre de Recherche de Développement) a montré que l’adoption de maïs résistant à la sécheresse peut augmenter les rendements de 38 pour cent et réduire les risques d’échec des récoltes de 36 pour cent, même si les trois quarts des agriculteurs de l’étude avait vécu la sécheresse pendant l’enquête.

Outre les variétés de maïs améliorées adaptées au climat, le CIMMYT et l’IITA ont développé des variétés de maïs bio-fortifiées avec de la provitamine A; la carence en vitamine A est très répandue dans les populations d’Afrique subsaharienne. Ces variétés de maïs bio-fortifiées, développées en partenariat avec HarvestPlus, sont en cours de déploiement dans des pays ciblés en Afrique subsaharienne en partenariat avec des programmes nationaux et des sociétés semencières partenaires.

Célébrant le 50e anniversaire de sa fondation cette année, le CGIAR a dévoilé sa feuille de route pour une nouvelle stratégie décennale lors du Sommet en ligne sur l’adaptation au climat 2021, organisé par les Pays-Bas en janvier.

La nouvelle stratégie de recherche durable place le changement climatique au cœur de sa mission, en mettant l’accent sur le réalignement des systèmes alimentaires dans le monde, en ciblant cinq domaines d’impact: nutrition, pauvreté, inclusivité, adaptation et atténuation du climat et santé environnementale.

Nteranya Sanginga, Directeur Général, IITA

Par la transformation du système alimentaire, des systèmes agroalimentaires résilients et des innovations génétiques, l’ambition du GCRAI est d’atteindre et d’aller au-delà des Objectifs de Développement Durable (ODD). Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a appelé à un effort mondial concerté pour réaligner radicalement les systèmes alimentaires afin d’atteindre les 17 ODD d’ici 2030.

Le GCRAI prévient que sans davantage d’interventions fondées sur la science pour aligner l’agriculture sur les objectifs climatiques, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde pourrait dépasser 840 millions d’ici 2030.

Pour réorienter ses efforts et investir dans la recherche agricole qui répond à la crise climatique, le GCRAI est en train de procéder à une réforme institutionnelle. Désormais nommée «One CGIAR», la reformulation dynamique des partenariats, des connaissances, des atouts et de la présence mondiale du GCRAI vise une plus grande intégration et un plus grand impact face aux défis interdépendants auxquels le monde d’aujourd’hui fait face.

Les innovations scientifiques dans les systèmes d’alimentation, de terre et d’eau seront déployées plus rapidement, à plus grande échelle et à un coût réduit, ayant un impact plus important là où elles sont le plus nécessaires.

Des progrès révolutionnaires à ce jour n’auraient pas été possibles sans le généreux financement de la Fondation Bill & Melinda Gates. Pourtant, Bill Gates, qui reconnaît le rôle essentiel du GCRAI pour «nourrir notre avenir», reconnaît également que les niveaux actuels d’investissement ne représentent même pas la moitié de ce qui est nécessaire.

Les investissements dans la sélection du maïs et les innovations des systèmes semenciers doivent se développer pour rester à la hauteur de la capacité de résister à la variabilité climatique en Afrique subsaharienne, la région du monde la plus sous-alimentée de façon chronique, et assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle à des millions de petits exploitants tributaires du maïs et aux ressources limitées et les consommateurs.

Au CIMMYT et à l’IITA, nous avons investi dans la sélection à long terme pour augmenter les gains génétiques en utilisant de nombreux nouveaux outils et technologies. Ces efforts doivent être encore intensifiés.

Un financement supplémentaire est également nécessaire pour atteindre les petits exploitants avec des semences de qualité des variétés de maïs résilientes au climat. Alors que 77 pour cent des ménages zambiens interrogés ont déclaré avoir connu la sécheresse en 2015, seuls 44 pour cent connaissaient le maïs résistant à la sécheresse.

Conscient que l’adoption de nouvelles technologies et pratiques peut être risquée pour les agriculteurs pauvres en ressources qui ne bénéficient pas de la protection des filets de sécurité sociale comme dans les pays riches, le CIMMYT encourage les agriculteurs, les entreprises semencières et les autres utilisateurs finaux à être impliqués dans le processus de développement.

Il ne suffit pas de réduire les émissions de carbone. Les agriculteurs africains doivent s’adapter rapidement à la hausse des températures, aux sécheresses prolongées et aux inondations violentes et dévastatrices. Avec des variétés de maïs à rendement plus élevé et tolérantes au stress, les petits agriculteurs ont la possibilité non seulement de lutter contre les variabilités climatiques, les maladies et les ravageurs, mais peuvent également diversifier efficacement leurs exploitations. Cela leur permettra à leur tour de mieux s’adapter aux changements climatiques et d’accéder à une alimentation équilibrée et abordable. À mesure que le changement climatique s’intensifie, les innovations agricoles devraient également s’intensifier. Il est temps d’adopter une approche «business inhabituelle».