Les experts dénoncent l’exclusion des agriculteurs locaux africains dans les efforts pour la sécurité alimentaire

NAIROBI, 7 juil. 2018 (IPS) – Joshua Kiragu se souvient de ces années passées où seulement un de ses deux hectares de terre produisait au moins 40 sacs de maïs. C’était il y a 10 ans. Aujourd’hui, Kiragu peut à peine racler pour tirer 20 sacs du petit bout de terre qui lui reste- lequel mesure à peine un hectare.

Kiragu, originaire de la région de la Vallée du Rift, au Kenya, dit à IPS que des années de conditions météorologiques extrêmes et drastiques continuent de faire sentir leurs effets sur son activité du maïs jadis florissante. Son affaire, dit-il, s’est presque effondrée.

Mais la situation de Kiragu n’est pas unique. Les effets de la dégradation des terres et de la désertification sont quelques-uns des principaux défis auxquels sont confrontés les petits agriculteurs aujourd’hui.

«Les pressions démographiques ont conduit à une subdivision extrême des terres dans leur répartition, les fermes se rétrécissent et cela affecte la bonne gestion des terres – de plus petites terres signifient que les agriculteurs surexploitent leurs plantations chaque année», explique Allan Moshi, expert en politique foncière en Afrique subsaharienne.

Les statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) montrent que la majorité des agriculteurs africains exploitent actuellement moins d’un hectare de terre. « C’est le cas de la Zambie où près de la moitié des exploitations agricoles s’étalent sur moins d’un hectare de terre, avec au moins 75% des petits exploitants exploitant moins de deux hectares », explique Moshi à IPS.

Alors que les petits agriculteurs contribuent à la dégradation des terres par une gestion médiocre des terres, des experts comme Moshi craignent que les agriculteurs locaux restent à la périphérie des efforts déployés pour faire face à l’impact de la désertification.

“Leur exclusion continuera à limiter le succès que nous pouvons atteindre avec des interventions en cours”, ajoute-t-il.

Moshi dit que la situation est désastreuse car les petits agriculteurs à travers l’Afrique contribuent au moins à 75 pour cent des produits issus de l’agriculture, selon la FAO. En Zambie, par exemple, plus de 600 000 exploitations d’une superficie moyenne de moins d’un hectare produisent environ 300 000 tonnes de maïs. Bien que la production de ces petites exploitations réponde aux besoins alimentaires des 17 millions d’habitants du pays, celles-ci ne disposent pas de systèmes d’irrigation modernisés, ce qui rend leurs cultures vulnérables aux changements climatiques extrêmes lorsque ces derniers se produisent.

Il ajoute que pour relever les défis du déclin de la fertilité des sols et pour restaurer les terres, les agriculteurs doivent « adopter un système semencier plus résilient, de meilleures pratiques et technologies agricoles ».

Reckson Matengarufu, expert en agroforesterie et en sécurité alimentaire au Zimbabwe, indique qu’au cours de la dernière décennie, la Zambie a rejoint une liste sans cesse croissante de pays caractérisés par un déficit pluviométrique, une pénurie d’eau, des températures inhabituellement élevées et une diminution des terres agricoles.

Les autres pays sont constitués du Burkina Faso, du Tchad, de la Gambie, du Ghana, du Mali, du Nigéria, du Rwanda, du Sénégal et du Zimbabwe.

“Ce sont aussi des pays qui ont signé et ratifié la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) qui vise à lutter contre la désertification et contre les effets de la sécheresse et les menaces sur la sécurité alimentaire dues à des températures inhabituellement élevées “, explique Moshi.

Mais Matengarufu souligne la nécessité pour les pays de renforcer les capacités et la compréhension des petits agriculteurs sur les efforts de transformation.

«Il est nécessaire d’introduire l’agroforesterie, par laquelle les agriculteurs intègrent arbres, cultures et bétail sur la même parcelle de terrain, dans des discussions sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle», dit-il.

Selon l’UNCCD, au Zimbabwe seulement, plus de la moitié des terres agricoles sont affectées par la dégradation des sols. Et au Burkina Faso, environ 470 000 des 12 millions d’hectares de terres agricoles sont sous la menace d’une grave dégradation des terres.

Des experts comme Mary Abukutsa-Onyango, professeur d’horticulture à l’Université d’agriculture et de technologie Jomo Kenyatta, au Kenya, s’inquiètent du fait que la désertification réduit rapidement la quantité de terres disponibles pour l’agriculture.

Les experts en agroforesterie encouragent de plus en plus les agriculteurs à prendre à leur compte les efforts d’intégration “afin qu’ils puissent tirer profit de la récolte de nombreuses cultures et pas seulement de la plantation de maïs sur la même parcelle chaque année”, explique Matengarufu.

Abukutsa-Onyango ajoute que le mauvais système semencier en Afrique a fait qu’il est difficile pour les agriculteurs de protéger leurs terres d’une dégradation supplémentaire.

La recherche montre que pour améliorer la production en Afrique subsaharienne, il est nécessaire de revoir le système semencier et de faire passer l’âge moyen des graines cultivées de 15 à 20 ans à moins de 10 ans.

«Les fermes perdent rapidement leur capacité de production parce qu’elles conservent les semences des récoltes précédentes, empruntent à leurs voisins ou achètent des semences non certifiées sur leurs marchés locaux. Ces graines ne peuvent pas supporter les défis sérieux auxquels fait face le secteur agricole “, dit Abukutsa-Onyango.

Dans des pays comme le Kenya, le Malawi et le Zimbabwe, les agriculteurs reçoivent au moins 90% de leurs semences du secteur informel. Les recherches menées par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) montrent qu’en moyenne, seulement 20% des agriculteurs en Afrique utilisent des semences de variétés améliorées.

«Pour que les pays africains parviennent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, les agriculteurs doivent avoir accès à des variétés à haut rendement qui sont conçues pour s’adapter et prospérer malgré les températures élevées et le temps erratique que nous vivons», dit Abukutsa-Onyango.

Dans ce contexte, l’AGRA dénonce le fait qu’il existe encore très peu de sociétés semencières privées locales en Afrique.

AGRA continue à pousser pour la mise en place de plus de ces entreprises. L’alliance a contribué à la hausse des entreprises semencières locales à travers l’Afrique subsaharienne, à l’exclusion de l’Afrique du Sud, passant du chiffre marginal de 10 entreprises de ce type en 2007 à au moins 10 fois plus d’ici 2018.

Les experts soulignent qu’en moyenne, l’utilisation de semences améliorées et de bonnes pratiques agricoles permettront aux agriculteurs de produire plus du double de ce qu’ils produisent actuellement.

Moshi affirme néanmoins que la lutte contre les effets de la sécheresse et de la désertification est loin d’être gagnée.

Il dénonce l’exclusion des communautés locales et le manque général de sensibilisation, en particulier parmi les agriculteurs, sur le lien entre la mauvaise gestion des terres et la dégradation des sols.

“Nous avons également parmi les parties prenantes et les experts, des opinions divisées sur les stratégies efficaces de lutte contre la désertification, des contraintes financières et, dans de nombreux pays, un manque de bonne volonté politique”, conclut-il.