Q&R: Assurer la sécurité alimentaire pour tous

ROME, Italie, 27 jan (IPS) –

En tant qu’ambassadrice de la République du Soudan en Italie et représentante permanente de la République du Soudan au niveau des Organisations des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome, Amira Daoud Hassan Gornass, débute son rôle de présidente du Comité de la sécurité Alimentaire (CSA). Elle partage sa vision pour l’avenir de la sécurité Alimentaire.

ROME, Italie, 27 jan (IPS) – Venant d'un pays en développement où, dans notre génération, nous avons connu les effets dévastateurs de l'insécurité alimentaire et la complexité de ses causes profondes, je prends à cœur l'objectif d'assurer qu’au cours de mon mandat, le CSA fera une 'vraie' différence dans la vie des gens. L'atteinte des résultats est quelque chose que nous devons à chaque personne sous-alimentée qui, aujourd'hui, en 2016, se couche le ventre vide. Il y a encore un nombre inacceptable de 793 millions de personnes dans cette condition dans le monde entier! Assurer la sécurité alimentaire pour tous est aussi quelque chose que nous devons à nos enfants.

Aujourd'hui, dans notre monde interconnecté du 21ème siècle, la persistance de la faim et de la malnutrition est à la fois inacceptable et complexe à aborder. Les causes profondes sont nombreuses, elles sont liées entre elles, et ne seront abordées avec succès si tous les acteurs impliqués, les gouvernements, la société civile, le secteur privé, les organisations des nations Unies et la communauté du développement international en général, y compris les organisations de recherche, se réunissent et s'accordent sur la politique et les actions qui sont nécessaires. C’est pourquoi le CSA, en tant que plateforme la plus inclusive pour que tous les acteurs travaillent ensemble sur les politiques mondiales en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, a été appelé à jouer un rôle majeur dans deux domaines cruciaux: la mise en œuvre de l'Agenda 2030 pour le développement durable, ainsi que les recommandations de la deuxième Conférence internationale sur la nutrition.

L'examen et le suivi de la mise en œuvre de l'Agenda 2030, et particulièrement de son deuxième objectif, “Mettre un terme à la faim, atteindre la sécurité alimentaire et l’amélioration de la nutrition et promouvoir l'agriculture durable”, ainsi que des mesures pour éradiquer la malnutrition sous toutes ses formes, nécessiteront des plateformes capables d'assurer l'inclusivité, des interfaces science-politique efficaces, et une approche qui rompt lève les obstacles.

Grâce à des rapports de qualité de son Groupe d'experts de haut niveau, et à la participation des différents acteurs autour de la table, le CSA négocie des instruments de politique qui sont basés sur des faits et des preuves, et jouissent d’une grande légitimité et d’une appropriation. Nous ne pouvons plus prétendre que nous manquons de compréhension ou de connaissance des conséquences de nos actions, et aujourd'hui, nous devons tous être tenus responsables de nos actions et de nos choix.

La responsabilité est une autre priorité que je me suis fixée pour le CSA dans le prochain exercice biennal. La réalité change rapidement, et le CSA doit être prêt à évoluer pour rester inclusif, transparent, efficace et fiable. Le CSA doit poursuivre son auto-questionnement constructif, et voir si ses procédures sont efficaces, qu’il est plus inclusif comme il se doit, si les rapports scientifiques appuient les négociations politiques autant qu’ils le pouvaient, et ainsi de suite. Cette année, nous envisageons de mener une évaluation indépendante du CSA, et nous attendons impatiemment les résultats, afin de continuer à évoluer et à nous améliorer.

Ces nouvelles priorités représentent un tournant majeur pour le CSA, et impliqueront sans doute des défis, ainsi que des opportunités pour prouver qu'un modèle participatif inclusif comme le CSA constitue l'avenir pour un développement durable. J’attends avec impatience cet exercice biennal, et de parvenir à un impact durable ensemble avec tous les acteurs du CSA! Voici quelques extraits d’une interview exclusive accordée à IPS par l'ambassadrice Gornass.

IPS: S'il vous plaît, décrivez certains des défis les plus difficiles auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui en essayant d'atteindre Faim Zéro.

Amb. Gornass: Notre planète, quoique grande et abondante, a des limites physiques, et des ressources naturelles limitées, qui dans le monde peuplée et globalisé d'aujourd'hui, se font rares. Cela conduit à une concurrence dans la demande, entre autres, pour les terres, l'eau, les éléments nutritifs. Les sols sont épuisés. Cela a un impact sur la productivité agricole, et affecte davantage notre environnement. Les changements climatiques sont probablement les plus inquiétants de ces changements qui nous toucheront tous, sans exception. Les facteurs politiques et de gouvernance entrent aussi en jeu; dans le monde entier, des crises prolongées se multiplient. Ces conflits affectent la production alimentaire, depuis la plantation à la transformation, la distribution et le consommateur final en passant la récolte. La coordination et la cohérence des politiques est un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire et la nutrition à travers le monde. Par exemple, différents ministères au sein d'un gouvernement peuvent ne pas partager les mêmes points de vue ou peuvent avoir des approches différentes parfois concurrentes par rapport à un sujet, ce qui rend difficile la mise en œuvre des politiques telles que celles qui ciblent l'insécurité alimentaire, ou peuvent même mettre en péril leur impact. Les pays d'une même région devraient également améliorer la coordination de leurs politiques. Une meilleure communication est une chose que nous devons atteindre.

En termes généraux, il doit y avoir une reconnaissance par tous les acteurs de leur responsabilité partagée: chaque acteur a un intérêt, et des responsabilités, dans la réalisation de la sécurité alimentaire et l'amélioration de la nutrition dans le monde.

IPS: Dans quels domaines avons-nous réussi jusque-là et au’est-ce qui pourrait mieux fonctionner? Les ODD2 constituent-ils un objectif ambitieux ou pouvons-nous les atteindre vraiment d’ici à 2030? Amb. Gornass: Il y a des exemples de grandes avancées dans la lutte contre la faim. Globalement, les chiffres baissent et dans l'ensemble, des régions ont fait de bons progrès, certaines régions ayant atteint les deux objectifs internationaux pour 2015 en matière de la lutte contre la faim. Cependant, d'autres ont en fait reculé en raison de nouveaux facteurs tels que les crises politiques.

Les ODD2 peuvent être certainement atteints d'ici à 2030. Nous savons déjà comment produire assez pour nourrir la planète. Il est maintenant question de comprendre comment les systèmes alimentaires peuvent mieux fonctionner afin que nous ne perdions ou gaspillions plus d’aliments, qu'ils soient plus équitablement répartis, soient disponibles à un prix raisonnable qui permet aux producteurs d'aliments d’améliorer leurs moyens de subsistance et encourage les vocations, et qui soient à la fois nutritifs et adéquats. En conséquence les populations seront mieux loties et les pays seront en mesure de se développer. L'augmentation de la production des petits fermiers est essentielle pour atteindre cela. Ce sont ces gens qui feront la différence dans la nutrition et la qualité des aliments, en général.

IPS: Pouvez-vous nous donner quelques modèles de réussite spécifiques qui montrent la voie à suivre pour d'autres pays aussi? Amb. Gornass: Le Brésil est un excellent exemple. L’initiative 'Faim Zéro' de l'ancien président Lula est un programme du gouvernement brésilien introduit en 2003 par le président d'alors, Luiz Inácio Lula da Silva, avec l'objectif d'éradiquer la faim et l'extrême pauvreté en combinant un ensemble de politiques de protection sociale et des mesures de filet de sécurité, visant à accroître la productivité des petits agriculteurs.

L'Inde a également des modèles de réussite à partager! Par exemple, l'Inde a lancé une campagne médiatique sociale très réussie visant à sensibiliser toute la population – et ciblant les femmes en particulier – sur les symptômes et les conséquences de la malnutrition, ainsi que sur les avantages d'un régime alimentaire varié, particulièrement pour les nourrissons et les enfants de moins âge de cinq ans. La campagne a été lancée grâce à l'appui d'une société de téléphonie, qui a accordé aux gens qui ont regardé la vidéo des minutes supplémentaires téléphoniques. Du fait de cette campagne, la malnutrition a juté, passant de 51 pour cent à 37 pour cent! IPS: L’atteinte de la sécurité alimentaire pourrait résoudre beaucoup de choses, y compris par exemple la diminution des problèmes de santé qui, au niveau national, grèvent l'économie d'un pays, sans parler de la souffrance personnelle due à l'insécurité alimentaire et à la malnutrition. Pensez-vous que les dirigeants du monde comprennent l'importance de la sécurité alimentaire? Amb. Gornass: Ils comprennent! C’est le message qu'ils ont envoyé en septembre dernier [2015] en adoptant l'Agenda 2030 pour le développement durable: les enjeux de développement sont étroitement liés, et nous devons travailler sur ces questions simultanément, d'une manière globale et intégrée, rassemblant les pays en développement et les pays développés; les gouvernements et tous les autres acteurs.

Le défi est que, tandis que la sécurité alimentaire et une bonne nutrition donnent des avantages qui affectent beaucoup de secteurs, tels que la santé, la croissance économique comme vous l’avez mentionné, mais aussi l'environnement et le bien-être des populations, l’atteinte de cet objectif exige également que l’on bouge les choses simultanément à travers beaucoup de secteurs différents. Par exemple, “les politiques sensibles à la nutrition” devraient être incluses dans les plans de santé, les programmes de développement agricole, la gestion de l'eau, l'éducation, etc. C’est pourquoi la sécurité alimentaire et la nutrition ne seront atteintes que si tous les acteurs se rendent compte de cela et travaillent ensemble. Voilà aussi pourquoi l'Agenda 2030, et une nutrition améliorée, seront placés au centre du programme CSA des maintenant; les membres multipartites du CSA se réuniront cette année dans des Groupes de travail à composition illimitée pour examiner comment mettre en œuvre concrètement les décisions prises lors de la réunion plénière du comité en octobre 2015.

IPS: Le changement climatique n’est-il pas un énorme problème pour atteindre la sécurité alimentaire et zéro faim d'ici à 2030? Si nous ne maîtrisons pas les changements climatiques maintenant, comment pouvons-nous aller de l'avant sur la sécurité alimentaire? Quel rôle joue le CSA et ne pouvait-il pas jouer un rôle plus important? Amb. Gornass: En effet, oui, en particulier dans les pays en développement. Une augmentation de deux degrés aura un impact dramatique sur les rendements des cultures et leur contenu nutritionnel dans beaucoup de régions du monde et cela affectera également la variabilité climatique, qui à son tour a des effets néfastes sur les récoltes et la disponibilité des aliments.

Les changements climatiques peuvent également entraîner des flux importants de personnes déplacées, de “réfugiés climatiques”, qui a des implications importantes en matière de sécurité alimentaire. De petits changements dans une situation d'équilibre fragile pourraient avoir d'énormes répercussions politiques et humanitaires. Tous les pays doivent travailler ensemble pour s’adapter et atténuer les changements climatiques; nous devons travailler sur la fourniture de plus de financement et d'aide technique. Nous devons permettre aux agriculteurs de supporter ces changements. Nous devons trouver et adopter des méthodes de production agricole plus durables à l'échelle mondiale, et rapidement. Mais les solutions sont à portée de main, grâce au potentiel technologique et d'innovation énorme, ainsi qu’à la connaissance traditionnelle locale sur la façon de produire des aliments de bonne qualité en utilisant les ressources disponibles à leur plein potentiel et d'une manière durable.

Sur ce sujet, le CSA a commandé un rapport du Groupe d'experts de haut niveau sur le “Développement agricole durable, y compris le rôle de l'élevage”, qui sera lancé en juillet 2016. En 2012, le CSA a publié un rapport sur les “Changements climatiques et la sécurité alimentaire” qui était un changeur de jeu. Le rapport a introduit l'idée de “l’Agriculture intelligente face au climat”, avec des négociateurs sur le climat qui se rendent compte que l'agriculture doit être incluse dans toutes les négociations sur le climat – qu’elle faisait non seulement partie du problème, mais a aussi un énorme potentiel pour les solutions! Les recommandations en matière de politiques qui ont été négociées sur la base de ce rapport sont toujours d'actualité.

Dans la perspective de la COP 21, le CSA a ouvertement et activement plaidé pour qu’un rapport commun soit développé pour le développement durable dans les 15 prochaines années – entre les Objectifs de développement durable, le financement du développement, et une action rapide pour vérifier les changements climatiques – s’assurant que tous les acteurs assument pleinement leur responsabilité et contribuent à un monde meilleur.

Le CSA continuera d’utiliser son pouvoir de modèle, de travail, et de convocation pour appuyer les actions conjointes, s’assurant que la mise en œuvre de tous les Objectifs de développement durable qui relèvent de son mandat prenne en compte la nécessité d'une action sur le climat.

Le CSA est pleinement engagé à soutenir tous les acteurs dans la construction d'un monde où, en 2030, pas une seule personne ne sera laissée derrière.