ASIE: Des pays confrontés aux tempêtes, sans mur de mangroves

ATHENES, Grèce, 20 oct (IPS) – Comme la tempête cyclonique Hudhud a traversé l'Etat de l'Andhra Pradesh, qui abrite deux millions de personnes, à une vitesse de plus de 190 kilomètres par heure le 12 octobre, elle a détruit l'infrastructure électrique et téléphonique, endommagé l’aéroport.

Elle a également ravagé des milliers de maisons au toit de chaume, ainsi que des champs de riz, des plantations de bananes et des cultures de canne à sucre dans tout l'Etat.

C’est la saison des typhons ici en Asie. Au Japon, pas encore remis de l'impact du typhon Phanfone, le typhon Vongfong a amené une autre série de pluies torrentielles et de vents vicieux qui se sont poursuivis jusqu'au 13 octobre, rajoutant ainsi à la longue liste de dégâts que les pays de cette partie du monde calculent maintenant.

En Inde, seule, le gouvernement a promis 163 millions de dollars en cas de catastrophe, mais les autorités disent même que cette coquette somme peut ne pas être suffisante pour remettre l'Etat sur ses pieds. Et pour les familles des 24 personnes décédées dans l'Andhra Pradesh et dans l'Etat d’Odissa, aucune somme d'argent ne peut compenser leur perte.

La calamité en cours rappelle les souvenirs du typhon Haiyan, meurtrier, qui a fait 6.000 morts aux Philippines il y a presque exactement un an.

Bien que ces tempêtes tropicales ne puissent pas être stoppées dans leur élan, il existe un système de défense naturelle contre leurs impacts plus sauvages: les mangroves. Et les experts craignent que leur valeur inestimable ne soit tristement sous-estimée partout dans le monde comme ayant un effet tragique.

Pour ceux qui se sont réunis du 6 au 17 octobre à Pyeongchang, en Corée du Sud, pour la 12ème Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 12), cette question a été un sujet de discussion, puisque les délégués ont évalué les progrès réalisés sur le Plan stratégique pour la biodiversité 2011- 2020, et ses 20 objectifs d'Aichi, approuvés lors d'une réunion à Nagoya, au Japon, il y a trois ans.

L'un des objectifs acceptés par la communauté internationale était d'améliorer et de restaurer la résilience des écosystèmes importants pour l'adaptation et l'atténuation du changement climatique. Sur ce front, selon les 'Global Biodiversity Outlook' 4 (Perspectives 4 de la biodiversité mondiale – GBO-4) récemment publiées, des efforts ont fait défaut, avec “les tendances […] qui vont dans la mauvaise direction”, et l'état des écosystèmes marins qui “est loin de leur potentiel à satisfaire les besoins humains à travers une grande variété de services, notamment la fourniture de nourriture, des loisirs, la protection du littoral et le stockage du carbone”.

Cela n'est nulle part plus visible que dans la préservation des forêts de mangroves, avec un seul hectare qui stocke jusqu'à 1.000 tonnes de carbone en moyenne, la quantité la plus élevée par unité de superficie de tout écosystème terrestre ou marin, selon le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE).

Leur capacité à stocker d'énormes stocks de CO2 fait des mangroves une composante essentielle des efforts nationaux et mondiaux de lutte contre les changements climatiques et de se protéger contre les catastrophes dues au climat. Toutefois, estiment les experts, ils ne bénéficient pas de l'attention et des soins qu'ils méritent.

Un écosystème complexe Les mangroves, un terme générique pour désigner les arbres et arbustes de hauteurs variées qui se développent dans les habitats salins de sédiments côtiers, se retrouvent dans 123 pays et couvrent 152.000 kilomètres carrés dans le monde entier.

Plus de 100 millions de personnes vivent dans un rayon de 10 km de grandes forêts de mangroves, bénéficiant d'une variété de biens et de services tels que la pêche et les produits forestiers, l'eau potable et la protection contre l'érosion et les phénomènes météorologiques extrêmes.

Les mangroves fournissent des services d’écosystème d'une valeur de 33.000 à 57.000 dollars par hectare par an, selon une étude du PNUE intitulée 'L'importance des mangroves: Un appel à l'action' récemment lancée lors de la 16ème Réunion mondiale des conventions des mers régionales et des plans d'actions (RSCAP) organisée à Athènes du 29 septembre au 1er octobre.

Le rapport a constaté que les mangroves “sont en train d’être détruites à un rythme trois à cinq fois supérieur aux taux moyens de perte des forêts”. Les émissions résultant de telles pertes font environ un cinquième des émissions mondiales de carbone liées à la déforestation, ajoute le rapport, causant des pertes économiques comprises entre six et 42 milliards de dollars par an.

Outre l'activité humaine, les changements climatiques constituent une menace grave pour ces écosystèmes complexes, avec une prévision des pertes de forêts de mangroves comprise entre 10 et 20 pour cent d'ici à 2100, selon le PNUE.

La situation est particulièrement grave en Asie du sud, qui d’ici à 2050 pourrait perdre 35 pour cent des mangroves qui existaient en 2000. Dans la période allant de 2000 à 2050, les pertes de services de l'écosystème dues à la destruction des mangroves atteindront la moyenne de deux milliards de dollars par an.

Grâce à leur système racinaire complexe agissant comme une sorte de mur naturel contre les vagues de tempête, l’intrusion d'eau salée, les inondations et les typhons, les mangroves fonctionnent comme une mesure de protection pour les communautés vulnérables, et aussi un dispositif de protection contre les dégâts excessifs causés par les catastrophes naturelles.

En ce moment l'année dernière, par exemple, le cyclone Phailin – l’une des plus fortes tempêtes tropicales qui n’ont jamais touché l’Inde – a endommagé 364.000 maisons, affecté huit millions de personnes et en a tué 53.

En octobre 1999, le cyclone Odisha, dévastateur, a touché terre avec une vitesse du vent de 260 kilomètres par heure, et a fait pas moins de 8.500 morts, tout en détruisant deux millions de maisons et laissant derrière des dégâts de l’ordre de deux milliards de dollars selon les chiffres officiels.

Une étude de l'impact des mangroves menée à la suite de cette tempête, la plus forte jamais enregistrée dans l'océan Indien, a révélé que le village à avoir enregistré la moindre perte par ménage a été protégé par les mangroves.

Les scientifiques ont constaté que les mangroves peuvent réduire la hauteur et l'énergie des vagues de 13 à 66 pour cent, et les poussées de 50 cm par kilomètre, pendant qu’elles traversent les arbres et les racines exposées.

Importance des mangroves dans la régulation du réchauffement climatique S'exprimant à IPS en marge de la réunion de la RSCAP récemment terminée, Jacqueline Alder, directrice de la branche des eaux douces et des écosystèmes marins à la Division de mise en œuvre de la politique environnementale du PNUE, a expliqué que la récente analyse des coûts et bénéfices dans l'Etat insulaire de Fidji, au Pacifique du sud, a constaté un taux de réussite financière beaucoup plus élevé pour la plantation de mangroves que la construction d’une digue haute de six pieds.

Ayant travaillé dans des pays à forte couverture de mangroves – de l'Inde à la Papouasie-Nouvelle-Guinée en passant par les Philippines et l'Indonésie – Alder croit que “beaucoup de décideurs politiques ne sont pas conscients des nombreux avantages des mangroves. Ils comprennent mieux la valeur commerciale du bois provenant des forêts traditionnelles, et lui accordent donc plus d'importance”.

Avec des coûts élevés et de faibles taux de succès associés à la régénération, la protection des mangroves est loin des objectifs d'Aichi, estiment les experts.

“Régénérer un hectare de mangroves coûte jusqu’à 7.500 dollars et constitue une entreprise risquée”, a déclaré à IPS, Jagannath Chatterjee du Centre régional pour la coopération au développement (RCDC), une organisation qui travaille actuellement en étroite collaboration avec les communautés côtières pour régénérer les mangroves à Odisha, l'un des Etats les plus touchés par les cyclones en Inde.

Il a imputé la destruction des forêts de mangroves restantes à la “mafia du bois”, affirmant que des cultures de rente sont plantées sur des terres de mangroves.

Avec le réchauffement climatique qui augmente à un rythme alarmant, l'importance des mangroves dans la régulation du climat ne peut être ignorée plus longtemps.

Si tout le stock de carbone détenu par les mangroves devait être libéré dans l'atmosphère sous forme de CO2, les émissions qui en résulteraient seraient l'équivalent d’un voyage de 26 millions de km en voiture, 650 fois à travers le monde, selon les calculs de l'UNEP.

Edité par Kanya D’Almeida Traduit en français par Roland Kocouvi