MONDE: Des communautés locales très affectées par la disparition des espèces

PYEONGCHANG, République de Corée, 17 oct (IPS) – Le Poulet des montagnes n'est pas un oiseau, comme son nom l'indique, mais une grenouille. Kimisha Thomas, originaire de la République dominicaine, une île des Caraïbes, se souvient d'une époque où elle pouvait trouver ces amphibiens ou 'crapauds' comme les habitants les appellent “juste à l'arrière-cour”.

Aussi appelées la Grenouille géante des fossés, ces créatures forment une partie essentielle de l'identité nationale de la Dominique, avec les habitants qui les consomment à des occasions spéciales comme le Jour de l'indépendance. Aujourd'hui, la chasse du poulet des montagnes est interdite, puisque les grenouilles se battent pour leur survie. En fait, les scientifiques estiment que leur nombre a diminué jusqu'à seulement 8.000.

Les habitants ont commencé à remarquer que les grenouilles se comportaient de façon anormale il y a une décennie, montrant des signes de léthargie ainsi que des écorchures sur la peau. “Puis elles ont commencé à mourir”, a expliqué Thomas, un responsable au ministère de l'Environnement de la Dominique.

“Les gens ont également commencé à avoir peur, craignant que la consommation de crapauds les rendrait malades”, ajoute-t-elle. En fait, cette crainte n'était pas loin de la vérité; des recherches préliminaires ont montré que la chytridiomycose, une maladie infectieuse qui affecte les amphibiens, était responsable de cette vague de décès.

Outre le poulet des montagnes, il y a eu une forte baisse de la population du perroquet Sisserou, qui se trouve uniquement en République dominicaine, principalement dans les forêts tropicales montagneuses du pays. Thomas dit que la destruction à grande échelle de l'habitat de cet oiseau est responsable de sa disparition progressive sur l'île.

La Dominique n'est pas la seule à être aux prises avec une telle perte rapide des espèces. Selon la Liste rouge des espèces menacées, l'un des inventaires les plus complets sur l'état de conservation de diverses créatures, on estime que quelque 2.599 des 71.576 espèces étudiées récemment sont en danger.

Compilée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la Liste rouge vise à augmenter le nombre d'espèces évaluées à 160.000 d'ici à 2020. Mais même avec l’inclusion de seulement la moitié des espèces biologiques du monde dans l'indice, les prévisions sont sombres.

Alors que la disparition ou la menace d'extinction de milliers d'espèces pose d'énormes défis dans tous les domaines, les communautés tribales et indigènes sont généralement les premières à ressentir les effets, et supporteront probablement le poids économique et culturel de ces pertes.

Comme le souligne Thomas, “Le crapaud était notre plat national. Le perroquet Sisserou [également appelé l’Amazone impériale] se trouve en plein milieu de notre drapeau national. Leur perte signifie la perte de notre identité culturelle même”.

Un refrain similaire peut être entendu au sein de la communauté Parsi de l'Inde, dont la culture exige que le défunt soit placé dans les hautes structures, appelées 'tours du silence', qu'ils peuvent être consommés par les oiseaux de proie: cerfs-volants, vautours et corbeaux. Ces rites funéraires uniques font partie intégrante de la foi zoroastrienne, qui stipule que les corps soient retournés à la nature.

Mais au cours des deux dernières décennies, 99 pour cent des vautours de l'Inde ont disparu, faisant qu’il est incroyablement difficile pour la communauté Parsi de maintenir une tradition vieille de plusieurs siècles.

Augmentation du poids économique En plus du fait qu'elle affecte gravement les pratiques culturelles et spirituelles anciennes, la disparition de plusieurs espèces a également un impact économique sur les communautés autochtones selon Anil Kumar Singh, 65 ans, qui est né et a grandi dans le village de Chirakuti, dans les districts montagneux du nord de l'Inde.

Singh indique qu’en tant qu’enfant, il n'a jamais vu un médecin pour des affections mineures comme le rhume ou les maux de ventre.

“Nous utilisions Vishalyakarni [une herbe] pour les douleurs et les incisions. Nous buvions le jus des feuilles de Basak (adhatoda vasica) pour une toux et utilisions l'extrait des fleurs de lotus pour la dysenterie”, explique-t-il à IPS.

“Mais aujourd'hui, ces plantes ne poussent plus ici. Même quand nous essayons, elles meurent peu après et nous ne savons pas la raison. Nous sommes maintenant obligés d’acheter des médicaments en pharmacie pour tout”, affirme-t-il.

Parfois, le coût est beaucoup plus élevé. Des Etats du nord de l’Inde comme Haryana et Uttar Pradesh ont connu une explosion de la population de chiens errants, donnant lieu à des risques pour la santé parmi les habitants.

En guise d'explication, Neha Sinha, chargé de plaidoyer et des politiques de la Société indienne de l’histoire naturelle de Mumbai (BNHS), une organisation caritative pour la conservation basée à Mumbai, déclare à IPS que le phénomène des chiens de plus en plus sauvages peut être attribué à la pratique des fermiers indiens consistant à laisser à l'air libre les animaux morts pour qu’ils soient consommés par les oiseaux de proie.

En l'absence de vautours pour manger ces bêtes, les chiens commencent maintenant à s’approcher des carcasses, devenant de plus en plus vicieux et recourant à des attaques sur l'homme. La BNHS élève actuellement des vautours en captivité afin d'empêcher leur extinction totale, mais il est peu probable que ces oiseaux atteignent leur nombre d'il y a 20 ans.

En attendant, selon une étude menée par l’organisation 'Birdlife International', la population des chiens errants en Inde a augmenté de 5,5 millions en raison de la disparition des vautours.

Le rapport indique qu'il y a eu “environ 38,5 millions de morsures de chiens supplémentaires et plus de 47.300 décès supplémentaires dus à la rage, [qui] peuvent avoir coûté à l'économie indienne 34 milliards de dollars supplémentaires”.

Des vides juridiques et de connaissances La quasi-extinction des vautours en Inde est attribuée au diclofénac, un calmant qui est souvent donné aux vaches et aux buffles auquel les vautours sont allergiques. Des campagnes intenses contre l'utilisation de ce médicament a conduit à une interdiction du gouvernement en 2004, mais l’application de cette loi a été mauvaise, et le diclofénac est encore largement utilisé, selon Singh de la BNHS.

“Les agriculteurs savent que [ce médicament] est interdit, mais ils continuent de l'utiliser parce que la loi n'est pas appliquée”, a-t-elle souligné.

Dans plusieurs autres cas, les communautés sont laissées confuses quant aux raisons de la disparition des espèces, faisant qu’il est de plus en plus difficile de décider d’une solution. Par exemple, même après une décennie passée à voir leurs créatures uniques disparaître, la Dominique ne sait toujours pas ce qui a amené le fongus de la chytridiomycose sur leur sol, ou comment y faire face.

Ce manque de connaissances est un double coup dur pour les communautés autochtones, dont la vie et les moyens de subsistance dépendent fortement des espèces avec lesquelles elles vivent côte à côte depuis des millénaires.

Lucy Mulenekei, directeur exécutif de 'Indigenous Information Network' (Réseau des informations sur les populations indigènes – IIN), déclare à IPS, en marge de la 12ème réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 12) organisée à Pyeongchang, en Corée du Sud, que la diminution de la population du bétail au Kenya a affecté les Maasaï, une tribu pastorale qui a toujours dépendu de leurs troupeaux pour leur subsistance.

Maintenant forcée de vivre de la terre, cette tribu chancèle.

“Les Maasaï ne savent pas le type d'outils agricoles dont ils ont besoin, ou comment les utiliser. Ils ne savent pas quelles semences utiliser et comment y accéder. Il y a un écart énorme en matière de connaissances et de technologie”, explique Mulenekei, qui est elle-même Maasaï.

En réponse à cette crise croissante, les gouvernements et les agences de l’ONU soutiennent les initiatives visant à régler le problème à sa racine.

Carlos Potiara Castro, un conseiller technique au ministère de l'Environnement du Brésil, dirige un de ces projets dans l'archipel du Bailique, à 160 km de la municipalité de Macapa dans le nord du Brésil, où les communautés locales de pêcheurs apprennent à conserver la biodiversité. Déjà, les membres de la communauté ont appris les propriétés de 154 plantes médicinales.

Le coût annuel du projet est d'environ 50.000 dollars, mais Potiara affirme que beaucoup plus de financement sera nécessaire afin d'intensifier le travail et de reproduire ces efforts à travers le pays.

Cela pourrait être bientôt possible dans le cadre d'une nouvelle initiative lancée par le gouvernement allemand avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), qui offre des 12,3 millions d’euros sur une période de cinq ans aux communautés autochtones dans plus de 130 pays afin de les aider à conserver les aires protégées.

Yoko Watanabe, un spécialiste principal de la biodiversité dans l'équipe des ressources naturelles du secrétariat du FEM, déclare à IPS que ces subventions couvriront également le coût des formations, afin transmettre les compétences nécessaires aux communautés autochtones qui sont reconnues comme “indispensables à la conservation de la biodiversité”.

Edité par Kanya D’Almeida Traduit en français par Roland Kocouvi