JAPON: La politique 'Womenomics' peut-elle arrêter la féminisation de la pauvreté?

TOKYO, 25 sep (IPS) – Marlyn Maeda, 54 ans, une femme journaliste indépendante célibataire vivant à Tokyo qui n’a jamais obtenu un emploi permanent, regarde maintenant son rêve de vieillir de façon indépendante partir en fumée.

“J’ai quatre emplois et je survis à peine”, a déclaré cette journaliste, qui a divulgué seulement son pseudonyme à IPS. Son revenu mensuel après avoir écrit des articles, travaillé dans un centre d’appels, vendu des produits cosmétiques cinq jours par semaine et après avoir travaillé une nuit dans un bar tourne autour de 1.600 dollars. Maeda appartient aux couches de pauvres en expansion au Japon, un pays qui a vu son taux de pauvreté passer la barre des 16 pour cent en 2013 du fait de plus de deux décennies de croissance lente qui a entraîné la baisse des salaires et la réduction des emplois permanents au sein de cette population de 127,3 millions d’habitants. Elle représente également une tendance alarmante: l’augmentation de la pauvreté chez les femmes, qui forment aujourd’hui la majorité des personnes pauvres et âgées au Japon, la troisième plus grande économie et la société vieillissante plus rapidement au monde.

En effet, Maeda indique qu’elle est maintenant payée à 50 dollars par article, faible par rapport à l’époque excitante des années 1980 et 1990 lorsqu’elle gagnait au moins trois fois ce montant. Le Japon définit le seuil de pauvreté comme ceux qui gagnent moins de 10.000 dollars par an. Les personnes âgées et ceux qui travaillent à temps partiel tombent dans cette catégorie, et le revenu durement gagné de Maeda, qui la place légèrement au-dessus du seuil officiel de pauvreté, l’oblige néanmoins à travailler, à peine capable de couvrir ses besoins fondamentaux.

“Lorsque le centre d’appels a réduit mes jours de travail à trois par semaine en juin, que le paiement pour les free-lances [a juté], j’ai vraiment commencé à m’inquiéter de l’avenir. Si je tombe malade et ne peux as travailler, je serai tout simplement obligée de vivre dans les rues”, a affirmé Maeda. Après avoir payé le loyer, les impôts et l’assurance-maladie, elle admet être tellement à court d’argent qu’elle en emprunte parfois à ses parents vieillissants afin de survivre. L’histoire de Maeda, qui fait l’écho de l’expérience de tant de femmes au Japon aujourd’hui, bat en brèche les efforts gouvernementaux visant à autonomiser les femmes et à améliorer leur participation économique.

En fait, un grand nombre de réformes introduites au début de l’année par le Premier ministre, Shinzo Abe, ont rencontré le scepticisme des experts et des défenseurs des questions de genre, qui sont découragés par la myriade de barrières sociales et économiques auxquelles les femmes sont confrontées. Baptisé 'Womenomics', en ligne avec les politiques de réformes économique d’Abe – basées sur des mesures anti-déflation et de croissance du produit intérieur brut (PIB) qui ont gagné le label 'Abenomics' au début de l’année 2013 – ce mouvement appelle à plusieurs changements qui ouvriront la voie aux femmes japonaises, longtemps victimes de discrimination sur le lieu de travail, de gagner de nouveaux termes incluant des salaires égaux comme leurs homologues hommes, un congé parental de longue durée et la promotion. Etant donné que 60 pour cent des femmes employées quittent leur emploi lorsqu’elles commencent une famille, Abe a promis d’aborder les barrières clé, notamment l’augmentation les heures de garderie pour les enfants de 20.000 et la hausse du nombre de programmes après l’école de 300.000 d’ici à 2020. L’autre objectif, c’est l’augmentation de la part des femmes cadres à 30 pour cent d’ici à la même période.

En écrivant sur le projet dans le 'Wall Street Journal' en septembre 2013, Abe a affirmé que ce plan de croissance du gouvernement pourrait entraîner une augmentation de deux pour cent de la productivité à moyen et à long terme, ce qui à son tour pourrait conduire à une augmentation moyenne de deux pour cent du PIB adapté à l'inflation sur une période de 10 ans.

“Nous avons fixé l'objectif d’accroître la participation des femmes au marché du travail de 68 pour cent à 73 pour cent d’ici à 2020”, a écrit Abe, ajoutant que “Les femmes japonaises gagnent, en moyenne, 30,2 pour cent de moins que les hommes (contre 20,1 pour cent aux Etats-Unis et seulement 0,2 pour cent aux Philippines). Nous devons combler cet écart d'égalité”.

Mais pour des experts comme Hiroko Inokuma, une chercheuse sur le genre focalisée sur les défis auxquels sont confrontées les mères qui travaillent, c'est un “défi de taille”, en particulier à la lumière de “l'insécurité croissante en matière d'emploi, qui entraîne déjà des chiffres sombres sur la pauvreté chez les femmes”.

En effet, les chiffres dressent un tableau sombre: une femme sur trois âgées de 20 à 64 ans, et vivant seules, vivent dans la pauvreté, selon l'Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale (NIPSSR), un grand groupe de réflexion basé à Tokyo.

Chez les femmes mariées, le taux de pauvreté est de 11 pour cent et englobe surtout les femmes âgées dont les maris sont morts. Près de 50 pour cent des femmes divorcées ont été également identifiées comme étant aux prises avec la pauvreté.

En outre, le taux de pauvreté était de 31,6 pour cent chez les femmes actives interrogées, contre 25,1 pour cent chez les hommes.

Les statistiques du ministère de Santé et de la Protection sociale indiquent que le Japon enregistre maintenant des niveaux record de pauvreté; l'année 2010 a vu le plus grand nombre de bénéficiaires d'aide sociale au cours des dernières décennies, avec 2,09 millions de personnes, soit 16 pour cent de la population, qui ont besoin d'aide du gouvernement.

Dans ce contexte, Akiko Suzuki, de l’organisation à but non lucratif 'Inclusive Net', qui assiste les sans-abri, a expliqué à IPS que les changements proposés et les objectifs fixés par Abe sont très illusoires.

“Après des années de travail avec des personnes à faible revenu, je lie l'augmentation du nombre de femmes aux prises avec la pauvreté à la hausse du nombre d’emplois à temps partiel ou contractuels qui remplacent les postes à plein temps dans les entreprises”, a-t-elle indiqué.

Le secteur des soins infirmiers, par exemple, emploie le plus grand nombre d'employés à temps partiel au Japon, dont 90,5 pour cent sont des femmes.

'Inclusive Net' signale que les femmes représentent actuellement 20 pour cent des 3.000 personnes en moyenne par mois qui recherchent activement un soutien pour leurs difficultés économiques, en hausse par rapport à moins de 10 pour cent il y a trois ans.

“Nous avons des femmes qui sont désespérées. Parce qu'elles n’ont pas des emplois sûrs, elles endurent de gros problèmes comme les violences conjugales ou de harcèlement en milieu de travail”, a expliqué Suzuki.

Le Japon compte 20 millions de travailleurs temporaires, représentant 40 pour cent de sa population active. Les femmes forment 63 pour cent des personnes qui sont dans des emplois qui paient moins de 38 pour cent du salaire d'un travailleur à plein temps.

Aya Abe, une chercheuse sur la pauvreté au NIPSSR, a déclaré à IPS que la pauvreté chez les femmes a toujours été un problème dans la société japonaise, où elles jouent traditionnellement les seconds rôles aux hommes.

“Depuis des décennies, les femmes arrivent à s’en sortir bien qu’elles gagnent moins, parce qu'elles avaient des maris qui gagnaient un revenu ou vivaient avec leurs parents. Elles vivaient également de façon simple. La récente tendance de la pauvreté peut être alors liée à la situation où moins de femmes se marient ou sont coincées dans des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel ou contractuels”, a-t-elle déclaré.

Un des points saillants des propositions d'autonomisation des femmes du Premier ministre, c’est le plan visant à supprimer un avantage fiscal sacré pour les maris qui protège aussi leurs épouses actives qui gagnent moins de 10.000 dollars par an.

Cette taxe a été introduite en 1961, lorsque le Japon était composé essentiellement de ménages à revenu unique dirigés par des soutiens de famille hommes dans le cadre du système d'emploi à vie.

Ses partisans disent que renoncer à l'avantage fiscal encouragera les femmes à travailler à plein temps tandis que d'autres estiment que cela pourrait augmenter la vulnérabilité des femmes en les privant d'un filet de sécurité sociale crucial.

Alors que le débat politique fait rage, des centaines de milliers de femmes japonaises ont du mal à s’en sortir ces jours sombres, sans aucun signe d'une lueur d'espoir. Selon des experts comme Suzuki, “Une population vieillissante et des emplois précaires signifient que la féminisation de la pauvreté est là pour rester”.

Edité par Kanya D’Almeida Traduit en français par Roland Kocouvi