EUROPE: L’opération 'Frontex Plus' diversement appréciée par des organisations

ATHENES, Grèce, 16 sep (IPS) – 'Mare Nostrum' – la plus grande opération d’immigration de recherche et de sauvetage jamais menée dans la mer Méditerranée – est devenue une question de stratégie de la corde raide entre les groupes de défense des droits humains et les lobbies anti-migrants.

A un niveau politique plus élevé, elle a produit une négociation difficile entre l'Italie et l'Europe, la première demandant une solution européenne au contrôle de l'immigration dans la Méditerranée.

'Mare Nostrum' a été lancée en octobre 2013 par l'Italie à la suite d'un naufrage au sud de l'île de Lampedusa – la partie la plus méridionale de l'Italie située à 176 kilomètres au large des côtes de la Sicile – qui a coûté la vie à 368 migrants, la plupart des réfugiés en provenance de Syrie et des pays africains.

L'opération de recherche et de sauvetage est une opération navale militaire soutenue par la Force aérienne et la Garde côtière italiennes ainsi que par des volontaires civils et le personnel médical. Elle a opéré dans une vaste zone de la Méditerranée centrale.

Entre octobre 2013 et août 2014, 'Mare Nostrum' a sauvé plus de 115.000 personnes, la plupart des réfugiés, et les a transférées sur le territoire italien. On estime à environ 2.000 le nombre de personnes ayant perdu la vie en Méditerranée au cours de la même période.

Des activistes des droits humains ont fait l'éloge de l'opération pour le fait qu’elle sauve des réfugiés alors que ceux qui sont contre l’ont accusée de produire un facteur d'attraction pour les migrants et de leur fournir une navette illicite vers l'Europe, rendant plus facile le travail des trafiquants.

La Commission européenne a maintenant décidé d’encadrer l'initiative 'Mare Nostrum', bien qu’elle n'ait pas l'intention de la remplacer. Après une réunion tenue le 27 août, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström, et le ministre italien de l'Intérieur, Angelino Alfano, ont annoncé une nouvelle opération de Frontex pour soutenir l’opération 'Mare Nostrum' d'Italie dans la Méditerranée.

L'un des principaux rôles de Frontex – l'agence de l'Union européenne (UE) pour la sécurité des frontières extérieures qui a commencé à opérer en mai 2005 – est de protéger les frontières extérieures de l'Europe contre l'immigration clandestine et la traite d’êtres humains.

Annonçant la nouvelle opération, qui a été provisoirement baptisée 'Frontex Plus', la commissaire Malmström a demandé aux Etats membres européens de traduire “la solidarité orale en action concrète” en apportant des ressources et des moyens.

Ska Keller, membre des Verts au Parlement européen, a dit à IPS que la nouvelle opération est “le résultat de la pression exercée par l'Italie sur Bruxelles, mais pas ce que demande l'Italie. Il est vrai que l’Italie sauve beaucoup de gens, mais cela n'est pas sa principale préoccupation, elle ne sera nécessairement pas heureuse de poursuivre 'Mare Nostrum'”.

Les organisations humanitaires en Italie n’ont pas tardé à critiquer 'Frontex Plus', affirmant que sa description est encore vague et que son objectif principal n'est pas le sauvetage des migrants et des réfugiés, mais l'amélioration de la surveillance des frontières et la dissuasion.

Silvia Canciani, chargée des relations avec la presse de l'Association pour les études juridiques sur l'immigration (ASGI), a déclaré à IPS que son association est “extrêmement préoccupée” parce que la seule certitude au sujet de la nouvelle opération “est que les navires patrouilleront uniquement dans les eaux européennes, à environ deux kilomètres de la côte”, ce qui signifie qu'ils ne s'aventureront plus dans les eaux internationales, comme 'Mare Nostrum', qui opérait à plus de 270 km de la côte italienne.

Elle a ajouté qu'on ne sait pas encore si les autorités italiennes envisagent de reporter, de modifier ou de continuer avec 'Mare Nostrum' comme elle est, mais un retrait de l'opération pourrait avoir une conséquence directe sur les vies qui sont perdues dans la Méditerranée.

D'autres voix critiques soulignent la façon dont les conservateurs de l'UE voient une opportunité dans les négociations qui vont suivre concernant la nouvelle opération pour capitaliser sur la question du retour des nouveaux migrants vers des pays tiers sûrs ou vers leur pays d'embarquement.

Dans un blog commentant l'annonce de 'Frontex Plus', le professeur de droit italien, Fulvio Vassalo Paleologo, un chroniqueur bien connu en matière de questions d'immigration dans la région, a fait observer que dans leur annonce conjointe “le mot 'sauvetage' a disparu du vocabulaire d’Alfano et de Malmström”. Il a également noté qu'aucun d'entre eux n’avaient fait une seule remarque sur les conditions auxquelles les migrants sont confrontés dans les pays de transit.

Les deux personnalités pourraient être des indications que la Commission européenne envisage sérieusement de faire pression pour un contrôle des arrivées de populations en dehors des frontières européennes.

Un jour avant l'annonce de Malmström et d’Alfano, l'édition italienne du 'Huffington Post' a publié un article citant une source anonyme au sein du ministère de l’Intérieur d’Italie, qui était présente lors des négociations pour de nouvelles opérations à Bruxelles, comme ayant dit que “beaucoup de personnes à Bruxelles voir 'Mare Nostrum' comme un ferry informel pour les migrants”.

Les flux sans précédent auxquels l’Europe va faire face, compte tenu de la crise géopolitique au Moyen-Orient, entraîneront un changement de politique, qui se traduira par des efforts de “gérer les flux de réfugiés et des migrants dans les pays de transit avant qu'ils ne s’embarquent pour l'Italie”, a déclaré la source.

Pour cela, a-t-il poursuivi, “nous devons travailler afin de renégocier des accords de réadmission avec des pays comme la Tunisie, l'Egypte et le Maroc” et de stopper ensuite les futurs migrants reçus à bord et de ne pas les laisser continuer le chemin jusqu’en Italie, “sauf s'ils ont déjà entamé les procédures d'obtention du statut de réfugié et nous avons déjà procédé à des identifications avant qu'ils ne soient embarqués”.

Le scénario de la politique dans l'article du 'Huffington Post' a été vivement reflété dans un communiqué de presse du ministère de l'Intérieur d’Italie deux jours plus tard, après une rencontre entre le ministre Alfano et son homologue français, Bernard Cazeneuve pour discuter de “l'immigration clandestine en Méditerranée centrale”.

La réunion a eu lieu notamment un jour seulement après l'annonce de 'Frontex Plus' dans laquelle la France devrait être l'un des partenaires les plus actifs.

Dans le communiqué de presse du ministère, le terme 'sauvetage' est encore absent et la définition de l'objectif de 'Frontex Plus' est “d'assurer le contrôle et la surveillance des frontières maritimes extérieures de l'Union européenne… selon les règles de Frontex”.

Du communiqué de presse, il apparaît également que les deux ministres italiens et français croient que la question de l'immigration doit être de plus en plus abordée “comme une question de politique étrangère” avec “plus d'accent mis sur le rôle de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité”, ce qui signifie le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), qui met en œuvre de la Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.

Les deux ministres ont également identifié deux objectifs politiques clé à défendre au sein de l'UE: “l'engagement de tous les Etats membres de l'Union européenne à une application stricte des règles d'identification des migrants clandestins prévues par la législation européenne et le renforcement de la coopération avec les pays d'origine et de transit dans le domaine de la surveillance des frontières, la coopération policière et l'aide au développement de ces pays”.

Le rôle clé de Frontex dans une nouvelle opération pourrait faciliter ces objectifs, étant donné que la réglementation “établissant des règles de surveillance des frontières maritimes extérieures dans le contexte de la coopération opérationnelle coordonnée par l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'UE (Frontex)” adoptées le 30 avril 2014, comprend des dispositions pour l'interception des navires qui entrent dans les eaux internationales et leur retour vers des pays tiers.

Beaucoup d’organisations favorables aux migrants, telles que Frontexit (une campagne menée par des associations, des chercheurs et des personnes provenant du nord et du sud de la Méditerranée à l'initiative du réseau Migreurop), la Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (CIRE), en Belgique, ainsi que le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, Amnesty International et la Commission internationale de juristes, ont indiqué des lacunes juridiques très controversées dans la réglementation qui pourraient compromettre les droits des personnes dans le besoin d'une protection internationale.

Dans une conférence de presse conjointe, la dernière organisation a déclaré que malgré certains aspects positifs, d'autres aspects ne satisfont pas aux exigences du droit international, notamment la loi sur les réfugiés, la loi sur les droits de l’Homme, le droit de la mer et le droit de l'UE.

Prié de faire un commentaire sur la nature de l'opération 'Frontex Plus', le bureau de Malmström a déclaré: “Pour le moment, nous n'avons rien à ajouter à la déclaration faite par le commissaire la semaine dernière [fin-août]. La Commission travaille sur la définition de la zone opérationnelle adéquate et les composants d'une opération conjointe plus grande qui peuvent être un complément utile aux efforts italiens”.

Il est donc clair que 'Frontex Plus' finira par jouer seulement un rôle simplement auxiliaire aux côtés de l'opération 'Mare Nostrum' de l'Italie, en particulier lorsque les coûts de l'opération sont pris en compte.

'Mare Nostrum' coûte à l’Italie plus de 9 millions d’euros par mois, alors que tout le budget actuel 2014 pour Frontex est de 89 millions d'euros, avec seulement 55 de cette somme allouée aux activités opérationnelles.

Edité par Phil Harris Traduit en français par Roland Kocouvi