CAMEROUN: La récurrence de l’épidémie de choléra souligne des écarts de développement

DUMAI, Cameroun, 19 août (IPS) – Sous un soleil de plomb, avec des températures atteignant plus de 40 degrés Celsius, la famille de Lara Adama est obligée de creuser pour trouver de l'eau provenant du lit d'un fleuve asséché à Dumai, dans le nord du Cameroun.

C'est l'un des fleuves qui se jetaient d’habitude dans le lac Tchad en rétrécissement, mais il n'y a pas beaucoup d'eau ici.

Il y a eu neuf mois de sécheresse dans la région et Adama déclare à IPS que sa famille “creuse le sable dans le lit de ce fleuve afin de trouver de l'eau”.

“Nous dépendons de cette eau pour tout dans la maison”, explique Adama, une habitante du village de Mokolo, dans région de l'Extrême-Nord du Cameroun.

Une épidémie de choléra a été déclarée dans le village d’Adama. Mais elle et d'autres membres de la communauté n'ont pas d’autres choix que d’obtenir leur eau à partir de ce fleuve.

Le seul puits artésien dans ce village d'environ 1.500 habitants est hors d'usage à cause de problèmes techniques.

“Chaque famille vient ici chercher de l'eau potable. Nos animaux aussi dépendent de cette source d'eau pour survivre. Lorsque nous arrivons après que les animaux ont déjà pollué un trou, nous en creusons simplement un autre pour éviter tout problème de santé”, indique-t-elle.

Cette région est menacée par des pénuries d'eau extrêmes et la variabilité climatique. Les sols stériles constituent environ 25 à 30 pour cent de la superficie de cette région. Le lac Tchad se rétrécit rapidement tandis que le lac Fianga s’est complètement asséché en décembre 1984.

Gregor Binkert, directeur national de la Banque mondiale au Cameroun, déclare à IPS qu’une crise liée à l'eau est très fréquente dans le nord et qu’il y a un besoin accru de protection contre les inondations et la sécheresse, qui touchent des gens plus régulièrement.

“Le nord du Cameroun est caractérisé par des niveaux élevés de pauvreté, et il est également très vulnérable aux catastrophes naturelles et aux chocs climatiques, y compris les sécheresses et les inondations”, explique Binkert.

Des sécheresses prolongées dans la région de l'Extrême-Nord ont provoqué une forte augmentation des cas de choléra. L'épidémie est surtout concentrée dans la région du Mayo-Tsanaga puisque tous ses six districts de santé ont des cas de cette maladie infectieuse. L'épidémie actuelle a déjà fait plus de 200 morts sur les 1.500 cas de choléra signalés dans la zone depuis juin.

Selon le ministre de la Santé publique du Cameroun, André Mama Fouda, “un mauvais assainissement et un accès limité à une bonne eau potable sont les principales causes de la récurrence de l’épidémie dans l’Extrême-Nord. La majorité des personnes infectées par la maladie sont les enfants de moins de cinq ans et les femmes”.

Depuis 2010, trois épidémies de choléra ont été déclarées dans la région de l’Extrême-Nord: • En 2010, une épidémie de choléra s’est propagée sur huit des 10 régions du Cameroun, entraînant 657 décès – dont 87 pour cent provenaient de la région de l'Extrême-Nord.

• En 2011, 17.121 cas suspects de choléra, y compris 636 décès, ont été enregistrés au Cameroun. Encore une fois, la majorité de ceux qui sont morts étaient dans l'Extrême-Nord.

• Le dernier cas de choléra dans l'Extrême-Nord a été enregistré le 26 avril, lorsqu’une famille nigériane a traversé la frontière pour venir au Cameroun afin de recevoir un traitement. Le Nigeria voisin a signalé 24.683 cas de choléra depuis janvier et la première semaine de juillet.

Mauvaises pratiques d’hygiène “Le choléra dans cette région est non seulement un problème de pénurie d'eau, il est également aggravé par les mauvaises pratiques d'hygiène qui sont profondément enracinées dans la culture des populations. L'eau est rare et [est] considérée comme un produit de base très précieux, mais sa manipulation est antihygiénique”, explique à IPS, Félicité Tchibindat, la représentante nationale du Fonds des Nations Unies pour l'enfance 5UNICEF) au Cameroun.

Les pratiques culturelles sont toujours primitives dans la plupart des villages et zones urbaines.

Les nordistes ont une culture où les gens partagent publiquement les jarres d'eau, à partir desquelles tout le monde boit.

“Ces pratiques et bien d'autres les rendent vulnérables aux maladies d’origine hydrique. [C'est la] raison pour laquelle le choléra peut se propager facilement à d'autres communautés. Les épidémies de choléra constituent une conséquence de pratiques inadéquates d’approvisionnement en eau, d'assainissement, de sécurité alimentaire et d'hygiène”, souligne Tchibindat.

La défécation en plein air est aussi fréquente dans la région. Selon l’Atlas mondial des helminthiases, 50 à 75 pour cent de la population rurale dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun défèque en plein air, contre 25 à 50 pour cent des gens dans les zones urbaines.

L’accès à une bonne eau potable et à l’assainissement est également très limité. Deux personnes sur trois n'ont pas accès à un assainissement et une l'hygiène adéquats. Alors qu’environ 40 pour cent de la population a accès une bonne eau potable, ce chiffre est beaucoup plus faible dans les zones rurales. Dans les régions rurales du Cameroun, seulement environ 18 pour cent de la population a accès à des sources d'eau potable améliorées, qui se trouvent en moyenne à plus de 30 minutes.

Des problèmes de développement Le programme 'Eau, assainissement et hygiène' (WASH) est vital pour le développement, cependant, la région de l'Extrême-Nord a certaines des infrastructures les plus limitées dans tout le pays, en plus des problèmes de sécurité puisque la région est sans cesse prise à la gorge par le groupe extrémiste Boko Haram du Nigeria.

La pauvreté est élevée dans la région, indique Tchibindat de l'UNICEF. Et le problème de la sécurité dans les pays voisins n’a pas aidé le Cameroun à fournir un accès adéquat aux services médicaux dans la région.

Selon l'UNICEF, les principaux défis abondent au Cameroun. Il y a une faible capacité de coordination pour le programme WASH à tous les niveaux, et un faible leadership institutionnel des questions d'assainissement. La décentralisation du secteur WASH signifie qu'il n'y a pas un soutien adéquat avec la répartition inéquitable des ressources humaines dans les régions.

“Le gouvernement et plusieurs partenaires au développement ont fourni des puits artésiens aux communautés et la région compte plus de 1.000 puits artésiens aujourd'hui”, déclare Parfait Ndeme du ministère des Mines, de l'Eau et de l'Energie.

Mais environ 30 pour cent des puits artésiens ne sont pas fonctionnels et ont besoin d’être réparés, selon l'UNICEF.

Ndeme explique que “le coût de la fourniture d'eau potable dans la région sahélienne pourrait être trois fois plus élevé que dans le sud. La distance est un facteur important qui influence le coût et le climat aride de la région fait qu’il est difficile d'avoir de l'eau souterraine tout au long de l'année”.

Un puits artésien dans la région du nord coûte au moins huit millions de francs CFA (environ 16.300 dollars), contre deux millions de francs (environ 4.000 dollars) dans d'autres régions.

Les problèmes de soins de santé sont saillants.

“L'Extrême-Nord a un accès limité au développement qui a aussi une influence directe sur la qualité des soins de santé”, explique Tchibindat.

L'indisponibilité des infrastructures et de l'équipement de base dans les centres de santé fait qu’il est difficile d'exercer dans les zones rurales isolées. Par conséquent, la plupart des centres de santé des zones rurales ont un taux élevé de désertion du personnel à cause du faible niveau de développement rural, ajoute-t-elle.

Une grande partie des agents de santé du Cameroun, environ 59,75 pour cent, est concentrée dans les régions les plus riches, notamment les régions du Centre, du Littoral et de l'Ouest, desservant environ 42,14 pour cent des 21 millions d'habitants du Cameroun.

Selon l’Organisation mondiale de la santé: • 30,9 pour cent des centres de santé au Cameroun ne disposent pas d'un laboratoire d'analyses médicales.

• 83 pour cent des centres de santé ne disposent pas de salle pour la petite chirurgie. • 45,7 pour cent des centres de santé n'ont pas accès à l'électricité. • 70 pour cent des centres de santé ne disposent pas d'eau du robinet “A cause du manque d'équipement dans les hôpitaux, le traitement ne peut que commencer après quelques heures, augmentant la probabilité de la propagation [de la maladie]”, indique à IPS, Peter Tambe, un spécialiste de la santé basé à Maroua, la capitale de la région de l'Extrême-Nord.

“Les annonces de nouveaux cas de choléra sont nombreuses dans les villages isolés et les efforts actuels du gouvernement et des partenaires au développement ne sont pas suffisants pour traiter et surveiller également la prévalence”, précise Tambe.

Depuis la découverte du choléra dans la région, le gouvernement, l'UNICEF et d'autres partenaires ont doublé leurs services à l’endroit de ces localités afin de renforcer les installations sanitaires et de fournir à la population une aide en matière d'hygiène de base, des comprimés de purification de l'eau et un traitement gratuit pour les malades, indépendamment de leur nationalité, le long de la frontière avec le Tchad et le Nigeria.

“Malgré les problèmes d'insécurité auxquels cette région est confrontée, le gouvernement et ses partenaires se sont engagés dans des échanges d'informations avec le Niger, le Tchad et le Nigeria pour éviter d'autres cas transfrontaliers”, indique le ministre de la Santé publique du Cameroun à IPS.

Edité par Nalisha Adams Traduit en français par Roland Kocouvi L’auteur peut être contacté à l’adresse e-mail nformonde@gmail.com