LIBAN: Sécheresse et mauvaise utilisation derrière la pénurie d’eau

BEYROUTH, 31 juil (IPS) – En face de la mosquée Osman Ben Affan, dans une rue étroite au centre de Beyrouth, plusieurs camions-citernes sont en train d’être remplis avec de grandes quantités d'eau. La mosquée a son propre puits, qui lui permet de pomper l'eau directement à partir des aquifères qui traversent le sous-sol du Liban.

Une fois remplis, les camions commenceront à parcourir la ville pour approvisionner des centaines de maisons et de boutiques.

Dans une année normale, les camions d'eau n’apparaissent pas jusqu'en septembre, mais cette année, ils ont commencé à travailler avant même l’été à cause de la grande sécheresse qui affecte actuellement le Liban.

Cela vient en tête de la pression accrue sur l'approvisionnement actuel en eau du fait de la présence de plus d'un million de réfugiés syriens qui fuient la guerre, ce qui aggrave une situation qui peut entraîner l'insécurité alimentaire et des problèmes de santé publique.

Les pluies étaient rares l'hiver dernier. Alors que la moyenne annuelle au cours des dernières décennies était supérieure à 800 mm, cette année, elle était de l'ordre de 400 mm, faisant d’elle l'une des pires saisons des pluies au cours des 60 dernières années.

Le paradoxe est que le Liban ne devrait pas souffrir de pénurie d'eau. Les précipitations annuelles sont d'environ 8.600 millions de mètres cubes alors que la demande d'eau normale est comprise entre 1.473 et 1.530 millions de mètres cubes par an, selon le rapport sur l'Impact de la croissance démographique et du changement climatique sur la pénurie d'eau, les rendements agricoles et la sécurité alimentaire publié en avril par l’Institut Issam Fares (IFI) à l'Université américaine de Beyrouth.

Cependant, comme l’explique Nadim Farajalla, directeur de la recherche sur le changement climatique et l'environnement de l’IFI dans le Programme du monde arabe, l'incapacité du pays à stocker l'eau de manière efficace, la pollution de l'eau et son utilisation abusive à la fois à des fins agricoles et domestiques, ont mis une grande pression sur la ressource.

Selon Bruno Minjauw, représentant par intérim de l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dans le pays ainsi que chargé des stratégies de résilience, le Liban “a toujours été un pays très humide. Par conséquent, le système de production n'a jamais examiné autant le problème de l'eau”.

Se référant aux chiffres sur les précipitations, Minjauw affirme que “ce que nous voyons est certainement un problème de changement climatique. Au fil des ans, la sécheresse ou les saisons de pénurie sont devenues plus fréquentes”. A son avis, la sécheresse actuelle doit être considérée comme un avertissement: “Il est temps de gérer l'eau d’une meilleure façon”.

Cependant, poursuit-il, “la bonne nouvelle est que ce pays n'exploite pas son plein potentiel en termes de consommation durable de l'eau; donc il y a beaucoup de place pour l'amélioration”.

En attendant, l'eau est devenue un problème, la pénurie touchant durement le secteur agricole, qui représente 60 pour cent de l'eau consommée malgré un impact limité du secteur sur l'économie libanaise (l’agriculture a contribué pour 5,9% au produit intérieur brut du pays en 2011).

“Certaines municipalités limitent ce que les agriculteurs peuvent planter”, explique Gabriel Bayram, un conseiller en agriculture à KDS, un cabinet-conseil local en développement.

Minjauw croit qu'il existe un danger réel “en termes d'insécurité alimentaire parce que nous avons plus de gens [comme les réfugiés] qui viennent alors que la production baisse”. Néanmoins, il souligne que la crise actuelle a augmenté l'intérêt du gouvernement et des fermiers dans “l’augmentation de la quantité de terres en utilisant des systèmes améliorés d'irrigation, tels que le système d'irrigation goutte à goutte, qui consomment beaucoup moins d'eau”. L’irrigation goutte à goutte économise l'eau – et l’engrais – en permettant à l'eau de couler lentement à travers un réseau de tubes qui fournissent l'eau directement à la base de la plante.

La FAO travaille également à promouvoir les nouvelles technologies dans l'agriculture, dans le cadre d'un plan de 4 ans visant à améliorer la sécurité alimentaire et à stabiliser les moyens ruraux de subsistance au Liban.

Cheikh Oussama Chehab, chargé de la mosquée Osman Ben Affan, explique qu’il y a 20 ans, l'eau pourrait être trouvée à trois mètres sous la surface du sol. “Hier [27 juillet]”, a-t-il déclaré à IPS: “nous avons creusé 120 mètres et n'avons trouvé aucune goutte”.

Creuser des puits a longtemps été la principale alternative à l'insuffisance des approvisionnements publics en eau au Liban et, selon la Stratégie nationale pour le secteur de l'eau, il y a environ 42.000 puits à travers le pays, dont la moitié est illicite.

Toutefois, note Farajalla “cela a conduit à une baisse de la nappe phréatique et le long de la côte, la plupart des [aquifères] connaissent l'intrusion de l'eau de mer, contaminant ainsi ces aquifères pour les générations à venir. Plus nous épuisons nos réserves d'eau souterraine, moins nous pouvons dépendre d’elles dans la saison prochaine. Si l'année prochaine nous avons des précipitations en-dessous de la moyenne, les conditions d'eau seront bien pires qu'aujourd'hui”.

En outre, prévient-il, “la plupart de ces puits n'ont pas satisfait aux tests de qualité. Par conséquent, il y a aussi des risques que l'utilisation de l'eau pourrait déclencher des maladies parmi la population”.

La sécheresse exacerbe également les tensions entre les communautés hôtes et les réfugiés syriens.

La municipalité rurale de Barouk, par exemple, dont les sources et le fleuve fournissent de l'eau à de grandes régions du Liban, ne peut compter aujourd'hui que sur 30 pour cent de la quantité habituelle d'eau disponible. Toutefois, les besoins de consommation ont augmenté de près de 25 pour cent en raison de la présence de 2.000 réfugiés et l’adjoint au maire de Barouk, Dr Marwan Mahmoud, explique que cela a généré des plaintes contre les nouveaux arrivants.

Toutefois, Minjauw croit que “dans ce contexte inquiétant, il y a la possibilité d'atténuer le conflit et de le transformer en une situation gagnant-gagnant, utilisant à la fois les communautés hôtes et les réfugiés dans la construction de solutions à long terme pour la gestion et la conservation de l'eau ainsi que l'entretien et la gestion des forêts. Ceci serait bénéfique pour les agriculteurs libanais à long terme tout en améliorant les moyens de subsistance des personnes qui souffrent”.

Pour Farajalla, une partie du problème lié à l'eau est qu'”il y a un manque général de prise de conscience et de connaissances des décideurs” au Liban, et il affirme que c'est à la société civile de conduire le processus, faisant pression sur le gouvernement pour “plus de transparence et une meilleure gouvernance ainsi que la reddition de comptes” en matière de gestion de l'eau.

Il affirme que “le gouvernement a échoué avec cette sécheresse en ne la considérant pas tôt”. Jusque-là, un gouvernement en crise politique continue a promu peu de mesures inefficaces pour atténuer la sécheresse. L’une des idées les plus récentes était d’importer de l'eau à partir de la Turquie, avec des coûts prohibitifs.

“Bientôt, vous entendrez également parler des projets pour dessaler l'eau de mer”, déclare Farajalla. “Les deux idées sont stupides parce qu’au Liban, nous pouvons améliorer beaucoup de choses avant de recourir à ces mesures drastiques”.