ÉSD s’Entretient avec la Ministre Norvégienne du Développement International Anne Beathe Tvinnereim

ÉSD: L’Alliance internationale pour les personnes handicapées (IDA), le gouvernement norvégien et le gouvernement ghanéen ont accueilli le deuxième Sommet Mondial sur le Handicap en février. Lors de ce sommet, vous avez appelé les partenaires à s’engager pour que les enfants handicapés puissent accéder à leurs droits humains inhérents, y compris le droit à l’éducation. Comment pouvons-nous transformer la prestation de l’éducation dans les situations d’urgence afin de garantir qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : Les États membres de l’ONU se sont engagés à ne laisser personne de côté dans leur mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable. S’assurer que personne n’est laissé de côté signifie également l’inclusion des personnes handicapées. Nous devons nous assurer que les enfants handicapés ont accès à une éducation de qualité et garantir leur participation sûre et significative. Pour cela, il faut au minimum 1) des données ventilées par handicap, 2) la lutte contre la stigmatisation et la discrimination, et 3) la participation significative des personnes handicapées aux processus décisionnels. En ce qui concerne l’éducation dans les situations de crise et d’urgence, il est essentiel de renforcer les capacités des enseignants, de veiller à la conception universelle des environnements et du matériel d’apprentissage, d’établir des liens entre les services d’éducation et d’autres services de soutien tels que la santé et la protection, et de s’assurer que l’éducation offre un espace sûr. Le succès de ce travail dépend d’une collaboration étroite entre les États, les organisations multilatérales, les organisations de la société civile, les organisations de personnes handicapées et un large éventail de partenaires.

ÉSD : La Norvège est un donateur de premier plan et un partenaire stratégique clé de l’organisation Education Cannot Wait (Éducation Sans Délai (ÉSD)). Pourquoi est-il important pour notre monde d’investir dans l’éducation en situation d’urgence et de crise prolongée ? Et pourquoi est-ce important pour le peuple norvégien ? Quel message avez-vous pour les autres donateurs potentiels, y compris le secteur privé, qui envisagent d’investir dans l’éducation par le biais de l’initiative ÉSD ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : L’éducation est essentielle pour mener une vie saine et productive. Nous devons nous assurer que tous les enfants reçoivent une éducation de qualité, y compris les enfants touchés par les situations de crise et de conflit. Garantir le droit à une éducation de qualité est un principe de base du système de protection sociale en Norvège, et nous aimerions contribuer à garantir ce droit humain fondamental ailleurs. Nous n’atteindrons pas l’ODD4 si nous ne veillons pas à ce que les enfants touchés par la crise climatique puissent poursuivre leur éducation. Je suis préoccupée par la situation de crise à laquelle sont confrontés des millions d’enfants en Ukraine, et je suis heureuse que l’initiative ÉSD ait récemment lancé un programme de soutien aux enfants du pays.

La Norvège est heureuse d’être co-organisatrice de la conférence de reconstitution des ressources de l’organisation Éducation Sans Délai. Je demande instamment à tous les donateurs et au secteur privé de se rallier et de contribuer à la conférence de reconstitution des ressources.

ÉSD : COVID-19, les conflits brutaux et autres situations d’urgence poussent la santé mentale et le bien-être des enfants à leurs limites, car ils vivent le traumatisme indicible de la guerre, des déplacements, de la violence sexiste et d’autres violations graves. Comment le soutien psychosocial et les services de santé mentale peuvent-ils être appliqués pour protéger les enfants et accélérer notre travail pour atteindre les Objectifs de Développement Durable ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : Dans les situations d’urgence, l’éducation est certainement un facteur important pour la protection mentale et physique des enfants et des jeunes. L’éducation peut offrir aux apprenants une protection par le biais d’un environnement sûr et stable au milieu de la crise, et contribuer à restaurer un sentiment de normalité, de dignité et d’espoir en fournissant des activités routinières et structurées qui aident à développer les compétences sociales et émotionnelles des enfants. S’assurer que l’éducation est incluse dans la réponse humanitaire et que les écoles sont protégées des attaques est une priorité pour la Norvège depuis de nombreuses années. C’est pourquoi la Déclaration sur la sécurité dans les écoles est si importante. Nous encourageons tous les États à approuver et à mettre en œuvre la Déclaration sur la sécurité dans les écoles. À ce jour, 114 pays ont approuvé la déclaration. La Norvège appelle également à la mise en œuvre de la Résolution 2601 (2021) du Conseil de Sécurité.

Il est important de veiller à ce que les services de santé mentale et le soutien psychosocial soient inclus dans les soins de santé primaires, en particulier pendant et après une crise humanitaire. La santé mentale est l’un des domaines les plus négligés de la santé. Les enseignants doivent recevoir une formation sur la meilleure façon de soutenir leurs élèves et veiller à ce que ces derniers bénéficient d’un soutien psychosocial et de services de santé mentale. En outre, il est important de se rappeler que les enseignants peuvent eux-mêmes être affectés par la situation d’urgence et être traumatisés et qu’ils peuvent donc également avoir besoin d’un soutien adéquat pour gérer la situation.

ÉSD : Vous avez précédemment occupé le poste de Secrétaire d’État au ministère norvégien en charge des autorités communales et du développement régional. Comment l’Agenda de localisation de l’Accord de Grande Négociation peut-il aider à améliorer la prestation de l’éducation dans les pires crises humanitaires du monde ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : L’une des priorités de notre gouvernement est d’améliorer la cohérence entre les efforts humanitaires et de développement et de contribuer à des solutions durables. A cet égard, le renforcement de la capacité locale et nationale à répondre aux crises humanitaires et prolongées est important et doit être considéré comme une priorité. Afin de protéger l’éducation dans les situations d’urgence, un principe important veut que les écoles ne soient pas utilisées à des fins militaires. Il est important que les personnes touchées par une crise puissent participer aux décisions et les influencer. En ce qui concerne le secteur de l’éducation, il s’agit notamment d’impliquer et d’écouter les points de vue des élèves, des parents ainsi que des enseignants et autres personnels de l’éducation. Le rôle des organisations nationales doit être reconnu. Ces organisations peuvent, par exemple, jouer un rôle important dans la défense du droit à l’éducation et s’assurer que les voix des populations affectées sont entendues. Ce sont elles qui connaissent le mieux la situation sur le terrain, et il est crucial de les impliquer dans tous les processus.

ÉSD : On estime que 64 millions de filles touchées par la crise sont privées de leur droit à une éducation continue, de qualité et inclusive. Une analyse récente indique que pas moins de 20 millions de filles pourraient ne jamais retourner à l’école à cause du COVID-19. Pourquoi devons-nous veiller à ce que chaque fille sur la planète ait accès à une éducation continue de qualité ? Comment pouvons-nous assurer la continuité de l’éducation, de la petite enfance à l’université ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : Tout d’abord, l’éducation est un droit – pour tous les enfants et les jeunes, indépendamment de leur sexe. Nous savons que les filles et les femmes qui ont été scolarisées vivent en meilleure santé, ont des revenus plus élevés et peuvent mieux s’occuper de leurs enfants. Les femmes instruites jouent également un rôle politique et économique plus important dans leur propre société. Il est donc primordial de veiller à ce que les filles reçoivent une éducation ; c’est précieux pour chacune d’entre elles, mais aussi pour la société. Je suis consternée par la situation actuelle en Afghanistan, où les filles, à partir d’un certain âge, se voient refuser la possibilité d’accéder à l’enseignement secondaire.

Les systèmes éducatifs, depuis la petite enfance jusqu’à l’université, doivent être inclusifs et offrir une éducation de bonne qualité qui transforme le genre. Dans de nombreux pays, les filles abandonnent l’école lorsqu’elles atteignent l’adolescence. Les filles ne sont pas toujours maîtresses de leur corps, et elles doivent apprendre l’égalité des sexes, les droits et la reproduction pour pouvoir faire valoir leurs droits. C’est pourquoi une éducation sexuelle complète est une priorité de la politique de développement de la Norvège. Il est également important d’éliminer les politiques et les pratiques qui poussent les filles hors de l’école, par exemple lorsqu’on empêche les filles d’aller à l’école lorsqu’elles sont enceintes ou après avoir accouché.

ÉSD : Dans le monde entier, nous voyons comment la crise climatique déclenche des conflits, des déplacements et perturbe les progrès vers les objectifs de développement durable. Comment pouvons-nous mieux relier le climat, l’éducation et le développement durable dans les régions les plus touchées, comme le Sahel, où son impact est particulièrement fort ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : Nous commençons seulement à appréhender l’impact du changement climatique. Les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus graves et fréquents. Le changement climatique et la dégradation de l’environnement ont un impact sur l’accès et la qualité de l’éducation de nombreuses manières. Par l’augmentation des migrations, par la pauvreté et la malnutrition, ainsi que par l’impact direct sur les infrastructures et les fournitures scolaires. Dans de nombreux contextes, les filles et les femmes sont touchées de manière disproportionnée par les crises et les déplacements. Nous devons accorder une attention particulière à la protection des filles et à leur éducation lorsque nous abordons l’impact de la crise climatique.

Le changement climatique n’affecte pas seulement l’éducation. La relation est également inverse, car l’éducation est essentielle à la prévention du changement climatique et à la préparation aux situations d’urgence. Une éducation de qualité permet aux enfants et à leurs familles de faire des choix éclairés et de faire partie de la solution au changement climatique. Il est positif que l’initiative “L’éducation sans attendre” ait, par exemple, apporté son soutien à des pays comme le Sud-Soudan, la Somalie et Haïti, qui ont tous été touchés par des catastrophes naturelles. Nous devons également nous concentrer sur les pays du Sahel, où l’impact du changement climatique est particulièrement fort. Je pense que l’éducation et le changement climatique doivent être placés plus haut dans l’agenda international.

ÉSD : Nos lecteurs aimeraient vous connaître un peu mieux sur le plan personnel et la lecture est un élément clé de l’éducation. Pourriez-vous nous faire part de deux ou trois livres qui vous ont le plus influencée personnellement et/ou professionnellement, et nous dire pourquoi vous en recommanderiez la lecture à d’autres personnes ?

Mme la Ministre Anne Beathe Tvinnereim : J’adore lire. L’un de mes livres préférés est Croissance du sol (en norvégien Markens Grøde). Pour moi, c’est un chant d’amour à la nature et j’aime vraiment passer du temps à l’extérieur quand je ne travaille pas. L’auteur, Knut Hamsun, a remporté le prix Nobel de littérature en 1920. Un autre favori est Ben Okri. J’aime tout ce qu’il écrit. Si je devais mettre en avant certains de ses écrits, je choisirais le poème intitulé “Un nouveau rêve de politique”. Non seulement parce qu’il nous met au défi en tant que politiciens, mais aussi parce que c’est un hommage à l’idéalisme.

À propos de la ministre Anne Beathe Tvinnereim

Anne Beathe Tvinnereim est la ministre norvégienne du développement international. La Ministre du développement international est responsable des efforts de développement international dans les pays hors OSCE, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Afghanistan. Elle est également responsable de la coopération au développement sous les auspices du système des Nations unies, de la Banque mondiale, des banques régionales de développement et d’autres fonds et programmes mondiaux. En outre, elle est ministre de la coopération nordique et responsable de Norad, Norec et Norfund. En savoir plus