ÉSD s’entretient avec l’envoyée spéciale du Royaume-Uni pour l’éducation des filles, Helen Grant

9 déc. 2021 – Helen Grant s’est engagée activement en politique en 2006 et a été élue députée de la circonscription de Maidstone & The Weald dans le Kent lors des élections générales de 2010.

Helen a été Sous-secrétaire d’État Parlementaire pour le Sport et la Société Civile d’octobre 2013 à mars 2015. Elle a été Sous-secrétaire d’État Parlementaire, Ministre des Tribunaux et des Victimes et Sous-secrétaire d’État Parlementaire pour les Femmes et l’Égalité de septembre 2012 à octobre 2013.

En janvier 2021, Mme Grant a été nommée Envoyée Spéciale du Premier Ministre pour l’Éducation des Filles. Elle dirige les efforts du Royaume-Uni au niveau international pour garantir que toutes les filles reçoivent 12 ans d’éducation de qualité. L’un de ses objectifs est de mener une campagne mondiale pour améliorer l’apprentissage et scolariser 40 millions de filles supplémentaires dans le monde d’ici 2025. Helen est également l’Envoyée Commerciale du Premier Ministre au Nigeria.

ÉSD : Pourquoi le Royaume-Uni place-t-il l’éducation des filles en tête de son programme de développement international et quelle place occupe l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées ?

Helen Grant : La réalisation de l’Objectif de Développement Durable 4 – concrétiser le droit à une éducation de qualité pour tous d’ici 2030 – est une priorité majeure pour le gouvernement britannique. Nous nous sommes particulièrement concentrés sur l’éducation des filles, non seulement parce que les filles sont plus susceptibles que les garçons de ne pas recevoir d’éducation, mais aussi parce qu’il s’agit d’un investissement particulièrement puissant qui peut créer des sociétés plus saines, augmenter le PIB par habitant et réduire la violence. Le Royaume-Uni a profité de sa présidence du G7 pour demander aux dirigeants du G7 et à d’autres partenaires de s’engager à atteindre des objectifs ambitieux : 40 millions de filles supplémentaires à l’école et 20 millions de plus à savoir lire à la fin de l’école primaire, d’ici 2026. Nous avons également publié notre Plan d’Action pour l’Éducation des Filles, qui définit notre feuille de route pour atteindre ces objectifs.

Toutefois, nous ne parviendrons pas à assurer l’éducation pour tous sans atteindre les enfants touchés par une crise. Nous savons que les enfants des pays fragiles et touchés par un conflit ont deux fois plus de risques de ne pas être scolarisés que ceux des pays non touchés par un conflit [1]. Cette situation est particulièrement grave pour les filles ; les tendances actuelles montrent également que les filles sont particulièrement touchées et qu’elles n’atteindront pas 100 % d’achèvement du premier cycle du secondaire dans les pays touchés par une crise avant au moins 2063 [2].

C’est pourquoi l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées est une priorité pour le Royaume-Uni. C’est également la raison pour laquelle je suis fière que le Royaume-Uni soit un membre fondateur et le plus grand donateur actuel de l’organisation Éducation Sans Délai.

ÉSD : La crise climatique est une crise de l’éducation, en particulier pour les filles. Grâce au leadership du Royaume-Uni dans les négociations climatiques de novembre (COP26), de nouveaux efforts sont déployés pour rassembler les acteurs et relier les points entre l’éducation, le changement climatique et l’aide humanitaire. Pourquoi est-il si important de relier les points pour atteindre les objectifs des ODD et de l’Accord de Paris, en particulier entre l’éducation des filles et l’action climatique ?

Helen Grant : Dans le monde, au moins 200 millions d’adolescentes vivent actuellement en première ligne de la crise climatique, car elles appartiennent aux ménages les plus pauvres dans les zones les plus pauvres et sont donc les plus vulnérables aux impacts négatifs. Nous savons également que les phénomènes météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents et plus graves, perturbant l’éducation de près de 40 millions d’enfants par an. Comme les chocs climatiques deviennent plus fréquents et plus graves, perturbant l’éducation de millions d’enfants, nous aurons besoin d’une réponse d’urgence efficace et dotée de toutes les ressources nécessaires pour assurer la protection et permettre aux enfants de continuer à apprendre.

Il est très important de relier tous ces points, car l’éducation des filles peut faire une énorme différence dans la lutte contre le changement climatique et son impact. Lorsque les filles vont à l’école, elles et leurs familles peuvent mieux faire face aux phénomènes météorologiques violents. L’éducation permet également aux filles et aux femmes de participer davantage aux décisions et au leadership en matière de résilience, d’adaptation et d’atténuation du climat.

C’est pourquoi le Royaume-Uni s’est engagé à agir et, lors de la COP26, nous avons lancé une vaste consultation pour orienter les travaux futurs du Royaume-Uni sur ces questions essentielles. Nous voulons écouter et apprendre de toutes les personnes concernées, des jeunes touchés par cette crise ainsi que des enseignants et des organisations de la société civile. En tant qu’Envoyée Spéciale du Premier ministre Britannique pour l’Éducation des Filles, je m’engage personnellement à mettre en évidence les liens entre le changement climatique et l’éducation des filles et je continuerai à le faire en 2022 et au-delà.

ÉSD : En janvier 2021, vous avez été nommée Envoyée Spéciale du Premier ministre Britannique pour l’Éducation des Filles. Vous dirigez les efforts du Royaume-Uni au niveau international pour garantir que toutes les filles reçoivent une éducation de qualité pendant 12 ans. Pour le Royaume-Uni, et pour vous-même personnellement, pourquoi est-il crucial d’investir dans l’éducation des filles dès maintenant dans les situations d’urgence et les crises prolongées ? Que peut-on faire pour accélérer les efforts en vue d’une éducation équitable et inclusive d’ici 2030 ?

Helen Grant : Je suis très honorée d’être l’Envoyée Spéciale du Premier ministre pour l’Éducation des Filles. Dans ce rôle, je défends au niveau mondial le message selon lequel offrir à chaque fille de la planète 12 ans d’éducation de qualité est l’un des meilleurs moyens de s’attaquer à de nombreux problèmes auxquels le monde est confronté aujourd’hui, comme la pauvreté, le changement climatique et les inégalités.

Il est crucial d’investir dans l’éducation des filles dans les pays en crise ; seulement 27% des filles réfugiées sont inscrites dans des écoles secondaires et 20 millions de filles risquent d’abandonner l’école l’année prochaine en raison des conflits et des crises [3]. Les filles non scolarisées sont davantage exposées à la violence, aux abus sexuels, au mariage précoce et forcé et à la traite des êtres humains. Tout cela crée un risque très réel d’une génération perdue de filles.

L’ampleur du défi, en particulier dans les situations d’urgence et de crise, signifie qu’un effort mondial coordonné et concerté est nécessaire. Plus précisément, nous avons besoin d’un financement prévisible pour des fonds tels qu’ÉSD, qui permette une planification et une action à long terme pour garantir que les filles dans les conflits et les crises reçoivent une éducation de qualité. Nous avons également besoin d’interventions durables et de qualité, ce qui signifie qu’il faut garantir un ensemble complet de mesures de soutien qui ne se limite pas à la simple fourniture de manuels scolaires, mais qui se focalise sur l’apprentissage, la protection et le bien-être des enfants et du personnel scolaire.

ÉSD : On estime que 4,2 millions d’enfants ne sont pas scolarisés en Afghanistan, dont 2,2 millions de filles. Quels sont les projets du Royaume-Uni pour l’éducation des filles en Afghanistan ?

Helen Grant : L’éducation a été au cœur des progrès du développement de l’Afghanistan au cours des 20 dernières années, contribuant à transformer le rôle des femmes dans la société et à faire reculer la pauvreté. Nous devons veiller à ce que les systèmes éducatifs afghans soient opérationnels le plus rapidement possible. Il s’agit notamment d’ouvrir des établissements secondaires et d’autres espaces d’éducation pour les filles afin qu’elles puissent continuer à accéder à 12 ans d’éducation de qualité ; et de veiller à ce que les écoles soient protégées en tant que lieux sûrs. Il est également impératif que les enseignantes puissent travailler en toute sécurité et sans obstacles.

Le Royaume-Uni travaille avec des partenaires internationaux pour aider à coordonner la réponse en matière d’éducation en Afghanistan. Je suis fière qu’ÉSD ait pu mettre en place rapidement une première réponse d’urgence pour l’Afghanistan afin de soutenir les enfants déplacés à l’intérieur du pays, ce qui permettra à 38 000 enfants de bénéficier d’un apprentissage temporaire.

ÉSD : En tant que membre du Parlement britannique, mère de deux enfants et avocate, comment l’éducation peut-elle garantir d’autres droits humains fondamentaux pour les enfants et les adolescents, en particulier pour les filles, qui font partie de ceux qui sont les plus laissés pour compte et les plus vulnérables dans les situations d’urgence et les crises prolongées ?

Helen Grant : Investir dans l’éducation des filles change la donne. L’enfant d’une mère qui sait lire a 50 % plus de chances de vivre au-delà de l’âge de 5 ans, deux fois plus de chances d’aller à l’école et 50 % plus de chances d’être vacciné. Les filles instruites sont plus à même de choisir si, quand et combien d’enfants elles auront. L’éducation offre également des possibilités d’emploi aux filles, ce qui contribue à les sortir, elles et leurs familles, de l’extrême pauvreté. L’éducation des filles est donc essentielle pour les femmes et les filles, mais aussi pour relever le niveau de la société, augmenter les revenus et développer les économies et les nations.

Ces avantages sont tout aussi importants, sinon plus, pour les filles dans les situations d’urgence et les crises prolongées. Une éducation de qualité peut également apporter aux filles et aux garçons les connaissances pratiques et la protection physique et psychologique dont ils ont tant besoin. Enfin, les faits nous montrent que l’éducation des filles peut également réduire la probabilité de conflit et augmenter la résilience aux catastrophes climatiques – l’éducation est donc un pilier essentiel pour réduire le risque de crises futures.

ÉSD : Du point de vue de votre leadership, comment les investissements dans l’éducation peuvent-ils bénéficier à l’économie mondiale, améliorer la paix et la sécurité et nous aider à mieux nous relever des menaces de crise du triple C que sont les conflits, le changement climatique et le COVID-19 ?

Helen Grant : Même avant la pandémie de COVID-19, le monde était confronté à une crise de l’apprentissage. Tragiquement, la pandémie est maintenant devenue le plus grand perturbateur de l’éducation dans l’histoire moderne, affectant 1,6 milliard d’enfants et de jeunes au plus fort de la pandémie. Sans soutien correctif, 72 millions d’enfants supplémentaires pourraient prendre du retard. Les enfants vivant dans des pays en situation d’urgence ou de crise prolongée sont particulièrement exposés ; non seulement ils sont plus susceptibles de ne pas être déjà scolarisés, mais ils sont également plus vulnérables aux menaces telles que l’insécurité alimentaire, les chocs du changement climatique et la violence qui, nous le savons, peuvent perturber davantage l’éducation.

Il est essentiel que tous les enfants reçoivent une éducation de qualité si nous voulons éviter de réduire à néant les progrès réalisés au niveau mondial au cours des deux dernières décennies. L’éducation des enfants est également essentielle pour briser le cycle des conflits qui existe dans de nombreux pays du monde, chaque année d’éducation réduisant le risque de conflit d’environ 20 %. Enfin, elle peut également contribuer à renforcer la résilience future des enfants face aux chocs du changement climatique. En tant que telle, l’éducation n’aide pas seulement les enfants d’aujourd’hui, elle protège aussi les enfants de demain en favorisant des sociétés plus pacifiques et plus résistantes.

L’absence de la scolarisation a des conséquences à long terme non seulement sur les perspectives de vie de chaque enfant, mais aussi sur celles des nations. Nous devons rouvrir les écoles dès que possible afin de lutter contre la crise mondiale de l’apprentissage et de protéger l’avenir des enfants.

ÉSD : Nos lecteurs aimeraient vous connaître un peu mieux sur le plan personnel et la lecture est un élément clé de l’éducation. Pourriez-vous nous faire part de deux ou trois livres qui vous ont le plus influencée personnellement et/ou professionnellement, et nous dire pourquoi vous en recommanderiez la lecture à d’autres personnes ?

Helen Grant : Il n’y a qu’un seul livre que je voudrais mentionner, c’est Purple Hibiscus de Chimamanda Ngosi Adichie.

C’est un roman qui se déroule dans le pays de naissance de mon père, le Nigeria. Et avec une mère anglaise, je suis extrêmement fière de mon héritage britannique et de mon héritage nigérian. J’adore visiter l’Afrique.

Le livre traite de la violence domestique, de l’oppression religieuse et du passage à l’âge adulte dans un pays en pleine mutation. Avant d’entrer en politique, j’ai été avocat spécialisé dans le droit de la famille pendant 23 ans, notamment dans le domaine de la violence domestique et de la maltraitance des enfants. L’auteur a abordé ces questions avec beaucoup de subtilité et de sensibilité. En plus de la souffrance physique, il montre très clairement comment la violence et les abus détruisent la confiance et l’estime de soi des victimes, brisent les familles et ruinent les vies.

Je recommande ce livre à d’autres personnes et je le relirai moi-même, c’est certain.

[1] Rapport GEM, document d’orientation 21, juin 2015, p.2.
[2] INEE Mind the Gap Report – 2021. (en anglais)
[3] INEE Mind the Gap Report – 2021 (en anglais)