Question-Réponse : Attirer l’Attention sur la Crise dans le Secteur de l’Education en RDC

GOMA, RD Congo, le 27 avril 2021 (IPS) – Yasmine Sherif, Directrice de l’organisation Éducation Sans Délai (ECW), lors de sa visite d’un site de réfugiés en République Démocratique du Congo (RDC) du 20 au 23 avril, a tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité pour les enfants et les jeunes réfugiés de la République Centrafricaine d’accéder à une éducation de qualité.

Au cours de sa mission sur le terrain en RDC, Mme Sherif a annoncé l’octroi d’une subvention d’urgence d’Éducation Sans Délai de 2 millions de dollars pour l’éducation, qui permettra aux enfants et aux jeunes réfugiés de la RCA et des communautés d’accueil de la RDC d’avoir accès à une éducation de qualité le long de la région frontalière entre la RDC et la RCA.

Mme Sherif, accompagnée du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, Filippo Grandi, a visité un site de réfugiés dans le village de Modale, en RDC, situé à 30 km de Yakoma, en RDC, près de la frontière avec la RCA. Selon les estimations des autorités locales, plus de 90 000 personnes ont fui la RCA vers la RDC depuis décembre, lorsque l’élection présidentielle en RCA a déclenché de nouvelles violences. Le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, a déjà enregistré 51 890 réfugiés à ce jour.

En décembre, l’ECW a annoncé une subvention catalytique de 22,2 millions de dollars pour fournir une éducation à plus de 220 000 enfants en RDC. “Dans les deux à trois années à venir, nous avons besoin de plus de financement de 60 à 70 millions de dollars et nous lançons un appel urgent aux donateurs pour un financement supplémentaire de 45,3 millions de dollars”, a déclaré Sherif à IPS dans une interview téléphonique depuis Kinshasa, la capitale de la RDC.

La RDC est l’un des plus de 30 pays où l’ECW soutient des projets dédiés à l’éducation dans les urgences et les crises prolongées. L’ECW est le fonds mondial des Nations unies pour l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées, et a été créé lors du Sommet Humanitaire Mondial en 2016.

La RCA, voisine septentrionale de la RDC, n’a jamais retrouvé totalement la paix depuis 2013, lorsque le groupe rebelle Seleka a renversé le président de l’époque, François Bozizé. Une grande partie des réfugiés qui ont fui la RCA par les forêts pour se rendre en RDC vivent le long des berges des rivières dans des zones frontalières difficiles d’accès et parmi des communautés d’accueil aux ressources extrêmement limitées.

La RDC et la RCA toutes les deux font partie des pays les moins développés du monde, selon le classement du Programme des Nations Unies pour le Développement. La RCA se trouve à l’avant-dernière position, à 188, tandis que la RDC est classée à 175.

Des extraits de l’interview suivent. L’interview a été modifiée pour des raisons de clarté et de longueur.

Des enfants jouent dans un camp pour personnes déplacées à Bunia, dans la province de l’Ituri, à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). La RDC est aux prises avec des problèmes d’insécurité et de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) dans certaines régions du pays, tandis que des réfugiés fuyant la violence en République Centrafricaine se sont réfugiés dans le pays. Crédit : Passy Mubalama/IPS

Inter Press Service (IPS) : En quoi consiste votre mission en RDC ?

Yasmine Sherif (YS) : Je veux attirer l’attention internationale sur plusieurs crises oubliées en RDC. Nous avons une crise dans le secteur de l’éducation. Il y a beaucoup d’insécurité et de personnes déplacées à l’intérieur du pays dans certaines parties du pays, comme dans la province du Nord-Kivu. Et nous avons, dans le nord, les réfugiés qui arrivent de la République Centrafricaine. Malgré cela, il doit y avoir un système éducatif qui fonctionne dans ce vaste pays.

IPS : Vous reveniez juste d’une visite dans un camp près de la frontière de la RCA où le HCR reloge les réfugiés qui vivent dans des zones reculées. Maintenant, ECW a lancé une subvention de 2 millions de dollars pour l’éducation. A quoi exactement cet argent est-il consacré ?

YS : Les 2 millions de dollars sont un financement de démarrage initial, un coup de pouce seulement. Nous appelons les autres donateurs à se joindre à nous pour atteindre 7 millions de dollars. Soixante pour cent des réfugiés de la RCA sont des écoliers. Soixante-dix pour cent d’entre eux n’ont pas été scolarisés en RCA en raison des crises qui y sévissent. Avec nos partenaires sur le terrain, le HCR, le gouvernement de la RDC et les organisations locales, nous construisons des écoles et des infrastructures, formons des enseignants, offrons une aide mentale et psychologique et un environnement sûr pour les enfants réfugiés et ceux des communautés locales. Hier, j’ai parlé aux enfants des réfugiés et des communautés qui fréquentent l’école ensemble. Ils ont tous envie d’apprendre. Ils ont des rêves et veulent devenir policiers, médecins et avocats à l’avenir. Les enfants réfugiés, en particulier, font preuve de beaucoup d’empathie pour les autres – ils veulent aider parce qu’ils ont eux-mêmes vu des choses horribles. Certains enfants sont traumatisés, mais ils sont toujours très résilients si nous leur donnons les outils comme une éducation de qualité.

IPS : Comment les populations locales vous ont-elles accueillie ? Dans certaines parties de la RDC comme le Nord Kivu, les gens sont frustrés avec l’ONU et les organisations humanitaires parce qu’ils ne voient pas leurs conditions de vie s’améliorer bien que les humanitaires soient là depuis plus de 20 ans. Il y a deux semaines, il y a même eu de violentes manifestations contre la mission de maintien de la paix de l’ONU “Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo” (MONUSCO), que les gens veulent quitter.

YS : Les gens de la région frontalière avec la RCA nous ont réservé un accueil très chaleureux. Si certains Congolais sont frustrés, c’est parce qu’ils ne reçoivent pas les services dont ils ont cruellement besoin. Et cela parce que la MONUSCO, les humanitaires et en particulier le secteur de l’éducation, n’ont tout simplement pas assez de budget pour le faire. La RDC est un grand pays avec une énorme population. La logistique, les déplacements et la capacité d’avoir un impact exigent beaucoup d’argent. Au lieu d’augmenter les fonds, certains donateurs les ont réduits parce qu’ils luttent chez eux contre la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19. Mais, surtout en temps de crise, nous devons faire preuve d’humanité en aidant les personnes qui ont tellement moins. Plus nous donnons, plus il y aura de retours. L’éducation est cruciale. Avec une éducation inclusive de qualité, vous aurez aussi l’égalité des sexes, l’accès à la justice et moins de pauvreté. Et comment voudrait-on arrêter de s’attaquer au changement climatique sans éducation ?

IPS : Y a-t-il quelque chose d’autre que vous aimeriez ajouter ?

YS : Absolument. Je lance un appel urgent vers les donateurs publics stratégiques, ainsi que vers le secteur privé, les entreprises et les fondations : Aidez ces personnes qui ont tout perdu et qui souffrent depuis des décennies. Même s’il s’agit d’une pandémie mondiale, c’est en donnant que nous sommes humains.

Un enfant avec un bidon d’eau attaché à son dos vit dans un camp pour personnes déplacées à Bunia, dans la province de l’Ituri, à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Beaucoup de ceux qui vivent ici ont fui les atrocités commises par des groupes armés contre des civils. Crédit : Passy Mubalama/IPS