ENTRETIEN DU FONDS ÉDUCATION SANS DÉLAI AVEC S.E. STANISLAS OUARO, MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE ET DE L’ALPHABÉTISATION DU BURKINA FASO

10 décembre 2020 (IPS) – Son Excellence M. Stanislas Ouaro est devenu Ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation du Burkina Faso en février 2018 après une longue carrière universitaire. Entre 2012 et 2018, M. Ouaro a été président de l’Université Ouaga II. Auparavant, l’éminent mathématicien a occupé plusieurs postes d’enseignement et d’administration à l’Université de Ouagadougou. M. Ouaro est largement connu public et a également été président du Réseau pour l’Excellence de l’Enseignement Supérieur en Afrique de l’Ouest. Grand défenseur de l’éducation et de l’égalité, M. Ouaro a reçu plusieurs prix universitaires au Burkina Faso et ailleurs.

Dans cet entretien incisif, le ministre explore le prochain programme pluriannuel de résilience financé par Education Cannot Wait et la triple menace du conflit, du COVID-19 et de la crise climatique, qui se sont mis ensemble pour déplacer plus d’un million de personnes au Burkina Faso. En savoir plus sur les programmes financés par l’ECW au Sahel et au Burkina Faso.

ECW : Parlez-nous de la situation dans le secteur de l’éducation au Burkina Faso. Quels sont les principaux défis et les priorités?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: Au Burkina Faso, le secteur de l’éducation subit les effets néfastes des crises sécuritaires et sanitaires. La crise sécuritaire est caractérisée par des attaques terroristes ayant causé des décès d’élèves et d’enseignants ainsi que la destruction d’infrastructures éducatives. Cela a entraîné la fermeture de plus de 2300 établissements scolaires et un déplacement massif de populations estimées à plus d’un million de personnes parmi lesquelles plusieurs enfants scolaires ou en âge de scolarisation. Quant à la crise sanitaire liée à la COVID-19, elle a entrainé la fermeture de tous les établissements scolaires pendant plusieurs mois. Le système éducatif est donc confronté à de nombreux défis au nombre desquels on peut citer la réouverture des établissements scolaires fermés, la scolarisation des enfants déplacés et le maintien de la continuité de l’éducation pour tous les apprenants.

Pour relever ces défis, un certain nombre d’actions prioritaires sont envisagées au sein de notre département à travers notre référentiel d’éducation en situation d’urgence (ESU) qui est la Stratégie nationale d’Education en Situation d’Urgence (SN-ESU). Il s’agit de favoriser l’accès et le maintien à travers (i) la réouverture des établissements scolaires fermés, (ii) le renforcement des capacités d’accueil des établissements des zones d’accueil, (iii) la réhabilitation des bâtiments endommagés, (iv) la mise en place d’espaces temporaires d’apprentissage, (v) l’approvisionnement conséquent des cantines scolaires pour prendre en compte les élèves déplacés internes (EDI), (vi) la dotation des établissements d’accueil en manuels et kits scolaires, (vii) l’accroissement des capacités de coordination et de pilotage du secteur de l’éducation, (viii) la formation des enseignants sur l’approche ESU/Normes INEE et sur les curricula d’éducation en situation d’urgence, etc.

En outre, l’opérationnalisation de la Radio-Télévision-Educative (RTE) permettra d’assurer la continuité éducative dans les zones à accès difficiles ou à faible couverture infrastructurelle. En plus de cela, la création d’un fonds d’urgence pour l’ESU permettra d’accroître la résilience du secteur de l’éducation face à ces crises.

ECW : Votre partenariat avec le Fonds Éducation Sans Délai (Education Cannot Wait en anglais ou « ECW » ci-après) a joué un rôle déterminant dans la réponse aux situations d’urgence dans le secteur de l’éducation. Alors que nous préparons un investissement pluriannuel qui couvre à la fois les besoins humanitaires et de développement dans le secteur de l’éducation, quelles sont vos attentes concernant le programme pluriannuel de résilience (PPR) de l’ECW qui sera bientôt lancé et pourquoi est-il si crucial aujourd’hui ?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: Je saisis cette occasion pour exprimer ma gratitude à Education Cannot Wait pour l’accompagnement indéfectible de nos efforts en faveur de l’éducation en situation d’urgence. Pour ce qui est de nos attentes, nous souhaiterions que le programme pluriannuel puisse contribuer à améliorer l’accès, la qualité, le pilotage et les capacités de résilience des communautés. En ce qui concerne, l’accès, nous espérons vivement que ce programme puisse contribuer à diversifier les opportunités d’apprentissage dans les zones affectées par l’insécurité à travers la création d’espace temporaires d’apprentissage et la promotion d’alternatives éducatives. Ces interventions devraient également faciliter l’accès à l’école à de nombreux enfants issus de ménages vulnérables, des groupes minoritaires, des enfants vivants avec un handicap, des filles, etc. De plus, nous aimerions à travers des interventions adaptées au contexte d’urgence, améliorer la qualité des apprentissages, la protection et la rétention des élèves. Le renforcement des capacités techniques et logistiques des acteurs étatiques chargés de la coordination des activités d’ESU est également une attente majeure. Enfin, le programme pluriannuel devrait contribuer à renforcer les capacités de résilience des communautés locales. En effet, en raison de la rareté des ressources et de la récurrence des crises humanitaires, il importe de doter les communautés bénéficiaires de compétences indispensables pour prévenir la survenue de crises ou d’y répondre de façon efficace.

ECW : Le Burkina Faso est confronté à une triple menace en lien avec le conflit, la pandémie de Covid-19 et la crise climatique. Il y a maintenant plus d’un million de personnes déplacées à l’intérieur du pays et 20 000 réfugiés au Burkina Faso. Dans ce contexte, quel est votre message aux enfants et aux jeunes du Burkina Faso ?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: Mon message aux enfants et aux jeunes dans ce contexte de crises sécuritaire et sanitaire est d’avoir foi en l’avenir. Il peut sembler difficile, voire impossible de garder l’espoir dans un contexte aussi complexe que celui de l’insécurité, mais je voudrais relever que la foi est un puissant ressort pour surmonter les épreuves que nous imposent la vie à certains moments. Tout en nous préservant de la résignation, elle nous pousse à nous accrocher à la vie, à rêver du monde auquel nous aspirons et à nous battre pour que notre rêve devienne réalité. Un monde où chacun occuperait la place qui lui revient à l’aune de l’éducation qu’il aura reçu. D’ailleurs, l’éducation peut doter l’individu des connaissances indispensables à son adaptation permanente à un milieu de vie de plus en plus changeant. A contrario, le manque d’éducation peut plonger beaucoup d’enfants et de jeunes dans une certaine vulnérabilité qui pourrait profiter aux groupes terroristes qui rêvent de les embarquer dans leur folie meurtrière. C’est dans cette perspective que l’État, de concert avec ses partenaires techniques et financiers, met tout en œuvre pour assurer une éducation de qualité à toutes et à tous en dépit des contingences propres à la situation d’urgence. Toutefois, ce rêve ne saurait se réaliser sans la prise de responsabilité au niveau individuel et collectif ; c’est pourquoi j’invite tout un chacun à jouer pleinement sa partition. Du reste, notre détermination à nous battre pour leur garantir une éducation de qualité est inébranlable parce que c’est la plus puissante des armes pour vaincre l’ignorance. J’ai l’intime conviction qu’en élevant le niveau de connaissances des individus à travers l’éducation, nous freinerons un tant soit peu l’escalade de la violence et de la haine pour un monde de paix. Certes, c’est un combat de longue haleine qui nous oblige à aller chercher au fond de nous-même les ressources nécessaires pour avancer mais ensemble nous y parviendrons. Nous allons certes trébucher, parfois même tomber mais nous nous relèverons toujours plus forts, plus déterminés et plus convaincus parce que nous menons un combat juste.

ECW : Au cours de la Table ronde ministérielle sur le Sahel central organisée en octobre, ECW a annoncé un important fonds de démarrage couvrant un tiers du budget total du programme pluriannuel de résilience qui sera prochainement lancé au Burkina Faso (ainsi qu’au Mali et au Niger). Quel message aimeriez-vous partager avec les donateurs au sujet des 94 millions de dollars qui restent à mobiliser pour ce programme et pourquoi est-il si urgent de combler ce déficit ?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: L’éducation, comme le nom de votre organisation l’indique, ne saurait attendre. Cela est encore plus vrai dans les zones affectées par les crises telles que celles qui prévalent dans le Sahel qui fait face à une dégradation progressive de la situation sécuritaire. Cette dégradation a provoqué une augmentation du nombre de personnes déplacées internes (PDI) mais aussi de refugiés et provoqué des gaps énormes en termes d’accès aux services sociaux de base tels que l’éducation et la santé. Au Burkina Faso, le nombre de PDI est passé de 779 741 en Mars 2020 à 1 049 767 en novembre 2020, soit une augmentation d’environ 34%. Les enfants qui devraient bénéficier des services sociaux de base afin de grandir dans les conditions optimales constituent près de 60% des PDI. Malheureusement, la mobilisation des ressources n’évolue pas conformément à l’augmentation des besoins. Selon un aperçu des besoins humanitaires publié par OCHA, à la date du 30 juillet 2020, sur un besoin total de 424,4 millions USD, environ 32,4% des ressources ont été mobilisées soit un gap de financement de 287 millions USD à combler. Quand on met en parallèle la proportion d’enfants en besoin urgent d’éducation avec les ressources disponibles, il apparaît impérieux de solliciter une fois de plus l’accompagnement des donateurs. La nécessité de combler ce déficit découle du fait que si rien n’est fait dans l’urgence, c’est plus de 600 000 enfants qui seront privés d’éducation, de protection et de santé. Or, il n’est point besoin de démontrer que cela pourrait porter préjudice à l’équilibre social de cette zone et dans le monde dans quelques années. Si nous n’arrivons pas à créer les conditions pour un développement optimal et équitable des enfants aujourd’hui, surtout ceux qui subissent au quotidien les affres de l’insécurité, c’est la société de demain que nous mettons en péril.

ECW: De votre point de vue unique en tant que Ministre de l’Éducation nationale, de l’Alphabétisation et de la promotion des langues nationales du Burkina Faso, auriez-vous quelques conseils pour nos lecteurs du monde entier qui sont engagés en faveur de l’éducation dans les pays touchés par les crises, comme le Burkina Faso ?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: Nous nous réjouissons à l’idée de savoir qu’il y a des personnes à travers le monde qui prennent à bras le corps l’éducation des enfants des zones affectées par les situations de crises telles que celles que vit certaines régions du Burkina. Il semble très facile de détruire mais construire et surtout former un homme est une entreprise de longue haleine qui exige beaucoup d’amour, de patience, d’abnégation, de sacrifices, etc. En tout état de cause, nous voudrions assurer les lecteurs que nous mettons tout en œuvre afin que les enfants des zones affectées par les crises et autres catastrophes naturelles dans notre pays, puissent bénéficier d’une éducation accessible, sûre, inclusive, protectrice et de qualité. Nous voudrions relever que s’intéresser, s’informer de la situation de l’éducation dans les zones affectées par la crise sécuritaire au Burkina Faso est un pas assez significatif. C’est un soutien que nous apprécions à sa juste valeur et que nous saluons. En parler avec des amis, des proches, c’est déjà rentrer dans l’action. C’est ainsi que nous établirons une chaine de solidarité à l’échelle internationale pour venir à bout des forces obscurantistes qui tentent vaille que vaille de détruire en l’humanité ce qu’elle a de meilleur : la fraternité. Ensemble, on n’est jamais seul.

ECW : En conclusion, nous aimerions en savoir un peu plus sur vous à un niveau personnel. Nous savons que vous êtes mathématicien et que vous avez obtenu votre doctorat avec votre thèse « Étude de problèmes elliptiques-paraboliques non linéaires en une dimension d’espace ». Pouvez-vous nous parler des trois livres qui vous ont le plus influencé et pourquoi ?

H.E. Mr. Stanislas Ouaro: Je dirai deux livres qui m’ont vraiment influencé dans la vie. Il s’agit du livre « A quand l’Afrique » de Joseph Ki-ZERBO et de « Il s’appelait Sankara », de Sennen Andriamirado. Pour moi ces deux livres ont principalement deux choses en commun. Premièrement, ils parlent de deux illustres hommes politiques africains que sont le président Thomas Sankara et l’historien Joseph Ki-Zerbo. Ces deux personnages constituent des repères pour la jeunesse de nos pays de par leurs parcours et leur amour pour le continent africain en général et pour leur pays le Burkina Faso en particulier. Deuxièmement, ces deux ouvrages finalement nous disent que l’Afrique ne peut pas être développée par d’autres personnes que par les africains eux-mêmes d’où la fameuse phrase de Joseph Ki-Zerbo : « On ne développe pas, on se développe ». Selon eux, l’Afrique doit conquérir son identité, fière de sa contribution à l’aventure humaine.