«Ne dites pas à mon mari que j’ai la lèpre»: la stigmatisation sociale fait taire les femmes des Iles Marshall

MAJURO, le 28 mars 2019 (IPS) – Meretha Pierson est infirmière depuis sept ans et travaille dans une clinique de lutte contre la lèpre gérée par le gouvernement à Majuro, la capitale des Îles Marshall. Ses patients sont de tous les âges, de différents milieux économiques et de différentes professions. Mais en dehors de leur diagnostic, ils ont tous quelque chose en commun: tout le monde veut garder sa maladie secrète.

«Tout le monde me demande de ne rien dire à leurs voisins. Mais les femmes qui sont jeunes me demandent de ne même pas informer leurs conjoints. “S’il vous plaît, ne le dites pas à mon mari”, disent-elles. Parfois, une telle demande est vraiment difficile à garder », a déclaré Pierson à IPS.

Étiquettes indésirables

Il y a une raison pour laquelle Pierson, l’un des rares agents de santé qualifiés à pouvoir détecter un cas de lèpre, également connu sous le nom de maladie de Hansen, ne peut pas toujours promettre une confidentialité totale à ses patients.

Les Îles Marshall auraient entre 50 et 80 nouveaux cas de lèpre chaque année, un chiffre très important pour une population de 60 000 habitants seulement.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), si plus d’une personne sur 10 000 est atteinte de la lèpre, celle-ci doit alors être considérée comme une maladie qui n’a pas été éliminée.

Les Îles Marshall, telles que classifiées par l’OMS, sont donc loin d’éliminer la maladie.

Mais il s’agit d’une classification que le gouvernement souhaite éliminer. Au milieu de 2018, le gouvernement et le ministère de la Santé du pays ont mené une campagne de dépistage sanitaire de trois mois au cours de laquelle plus de 27 000 citoyens ont été soumis à des tests de dépistage de la lèpre et de la tuberculose afin que chaque personne touchée puisse être soignée.

Des détails concrets sur le nombre de cas de lèpre n’ont pas encore été rendus publics, mais des agents de santé comme Pierson ont déjà reçu pour instruction de surveiller de près les patients qui ne reviennent pas pour signaler leur état de santé et qui arrêtent le traitement au milieu de l’intervention. Et c’est pourquoi il est très difficile de tenir la promesse de ne pas alerter une proche de sa maladie, car les agents de santé sont souvent obligés de rechercher les patients.

Retrouver ces patients et les convaincre de recommencer à prendre leurs médicaments est à la fois une nécessité et une exigence qui fait partie de la nouvelle campagne du gouvernement visant à lutter contre la maladie.

Mais ce faisant, les demandes de confidentialité deviennent plus fréquentes.

«Ils ne veulent pas que nous allions chez eux. Nous passons donc des appels téléphoniques, pour attirer ces personnes ailleurs qu’à leur domicile et dans leur quartier. C’est là que nous prodiguons nos conseils et leur recommandons de retourner à la clinique pour un contrôle et la poursuite du traitement. Mais c’est difficile », confie Pierson à IPS.

Discrimination envers le soignant

Cependant, ce ne sont pas seulement les patients qui sont stigmatisés dans ce pays insulaire. Les agents de santé eux-mêmes en subissent souvent les conséquences dans une société où plus de 80% de la population est de confession chrétienne. Pierson, une mormone, raconte qu’elle a souvent été victime de discrimination de la part de ses voisins et de ses proches qui la soupçonnaient d’être atteinte de la lèpre.

«Ils pensent que parce que je travaille dans une clinique antilépreuse, je suis porteuse du germe ou de la maladie. Certains demandent même pourquoi je n’abandonne pas ce travail. Je dois toujours leur dire que je suis infirmière et que je n’ai pas moi-même la lèpre. Même dans l’église, j’ai ces regards », dit-elle. Heureusement, son mari est solidaire et ne lui a jamais demandé de quitter son emploi.

Les foyers

Selon le Dr Ken Jetton, principal médecin du département de la santé publique du pays, environ 30 atolls composent les îles Marshall et environ un quart d’entre eux sont connus comme des foyers de lèpre.

Jetton diagnostique officiellement et confirme les cas de lèpre une fois que Pierson a détecté un cas possible et l’a dirigé vers lui.

Il dit à IPS que peu de ces «points chauds» incluent les atolls de Kwajalein, Ailinglaplap, Mili, Arno, Wotje et Ebon. Lors du récent dépistage de masse, environ 47 nouveaux cas ont été signalés dans ces lieux.

La fiche technique doit encore être dressée, mais une fois que cela est fait, un plan approprié sera établi pour traiter chaque patient jusqu’à sa guérison, révèle Jetton. La polychimiothérapie, un médicament par voie orale, est offerte gratuitement en 6 emballages pour les enfants et en 12 emballages pour les adultes.

Comprendre les lacunes de la campagne d’élimination de la lèpre dans le pays est l’une des raisons pour lesquelles une équipe de la Sasakawa Health Foundation, dirigée par son directeur exécutif Takahiro Nanri, ainsi que par le Dr Arturo Cunanan, grand expert mondial en matière de lèpre, se déplacent autour des Îles Marshall et de la Micronésie. Ils ont rencontré des hauts responsables du gouvernement et de la santé ainsi que des experts de la lèpre et ont visité des cliniques aux Îles Marshall et dans l’État fédéré de Micronésie. Yohei Sasakawa, président de la Nippon Foundation, l’organe principal du SMHF, est l’ambassadeur de bonne volonté de l’OMS pour la lutte contre la lèpre et l’ambassadeur du Japon pour les droits fondamentaux des personnes touchées par la lèpre. Il se rendra dans la région en avril pour évaluer également les progrès accomplis par les gouvernements.

Cependant, Pierson affirme que, malgré les activités de dépistage et de suivi, la stigmatisation sociale, en particulier envers les patientes atteintes de lèpre, pourrait prendre plus de temps que prévu pour disparaître. Cela tient au fait que la nation insulaire ignore encore largement que la lèpre est une maladie curable, explique-t-elle.

La patience est donc la clé, rappelle-t-elle. «Nous devons être patients et faire preuve d’empathie pour ceux qui cachent leurs maladies aux autres. Ils sont vulnérables et ont peur de perdre leur dignité et nous devons comprendre cela », explique l’infirmière.