SANTE: Le Nigeria prend conscience de la menace du SIDA dans le pays

LAGOS, Nigeria, 15 août (IPS) – Le mariage de Tope Tayo a pris fin il y a 11 ans après que son test pour le VIH s’est révélé positif. Son mari en colère et embarrassé a emmené avec lui leur enfant unique. Trois mois plus tard, lorsque le garçon âgé d'un an a été déclaré séropositif, le mari l’a ramené à Tayo et s'est enfui.

“Il nous a abandonnés comme si nous avions commis un crime, mais je lui ai dit que le VIH n'est pas un crime”, a déclaré Tayo à IPS.

Elle était sans emploi et le mari ne payait aucune somme pour l’entretien. “Je marchais dans les rues en pleurant, je vivais de la charité”, se souvient Tayo.

L'homme fugitif qui abandonne sa femme et ses enfants séropositifs est une personnalité bien connue au Nigeria, affirme Rosemary Hua, coordonnatrice de 'First Step Action for Children', une organisation qui défend les droits de l'enfant.

“Les pères retirent leur soutien parce qu’ils estiment qu'il n'est pas nécessaire d'investir dans un enfant qui susceptible de mourir jeune”, a indiqué Hua à IPS.

Le taux d'infection au VIH au Nigeria de 3,2 pour cent semble faible par rapport à l'Afrique australe, mais avec une population de 173 millions d’habitants, cela signifie un très grand nombre – 3,4 millions de Nigérians vivaient avec le VIH en 2013.

Parmi ceux-ci, 430.000 sont des enfants de moins de 14 ans, selon un récent rapport du Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA). Le Nigeria représente un tiers de toutes les nouvelles infections chez les enfants dans les 20 pays les plus touchés en Afrique subsaharienne.

Le rapport indique que le Nigeria est confronté à “la triple menace de la hausse de la charge du VIH, de la faiblesse de la couverture de traitement et de peu ou pas de baisse des nouvelles infections au VIH”.

Pourquoi des femmes évitent de faire le test Tayo et son fils prennent des médicaments antirétroviraux depuis les 11 dernières années. Ils ont de la chance. Moins de 600.000 Nigérians sont sous traitement, soit 20 pour cent de ceux qui en ont besoin.

La faiblesse de la couverture de traitement perpétue les idées fausses et la stigmatisation, comme le montre l'histoire de Tayo.

L’abandon se traduit généralement par des difficultés économiques. La moitié des femmes sont au chômage au Nigeria.

“Le désespoir de prendre soin d'elle-même et de son enfant pourrait pousser une femme séropositive dans des activités sexuelles afin de réunir de l'argent et cela pourrait propager davantage le VIH”, explique Lucy Attah, une activiste de genre vivant avec le VIH. Elle est la directrice exécutive de 'Women and Children of Hope Foundation', qui aide les femmes séropositives, et où IPS a rencontré Tayo.

Tayo a déclaré à IPS qu'elle évitait le dépistage du VIH pendant qu’elle était enceinte. Les hôpitaux publics au Nigeria font le dépistage systématique des femmes enceintes, mais la peur de la discrimination au cas où le test se révèle positif a conduit Tayo vers un hôpital privé où le dépistage n'était pas requis.

“C'est le plus grand regret de ma vie”, a-t-elle indiqué à IPS.

Une raison pour laquelle les femmes enceintes évitent de faire le test, indique Hua, c’est le “manque de professionnalisme en ne gardant pas confidentiels les résultats [du test de dépistage] du VIH”, de la part des agents de santé.

“Parfois, nous étions obligés de transférer les malades vers d'autres hôpitaux loin de là où ils vivent en raison de la divulgation de leur statut sérologique”, a-t-elle souligné à IPS.

Certains agents de santé évitent tout contact avec les femmes séropositives parce qu'ils croient à tort qu'ils peuvent contracter le virus par simple toucher, explique Attah.

“En surface, il semble qu'il y existe beaucoup de sensibilisation parmi les agents de santé, mais en réalité, il y a beaucoup de stigmatisation”, indique Attah.

Une loi anti-discrimination et sur la confidentialité a été approuvée par les deux chambres et attend la signature du président Goodluck Jonathan.

Mais le Nigeria a besoin de plus de lois pour faire face à l'épidémie.

En 2012, l'ONUSIDA a qualifié la réponse du pays de “stagnante” qui exige “un effort massif”.

Le Nigeria représente 13 pour cent de toutes les personnes vivant avec le VIH et 19 pour cent de tous les décès liés au SIDA en Afrique subsaharienne, selon l'ONUSIDA.

Seulement le Tchad occupe une place inférieure à celle du Nigeria en matière de la couverture du traitement des femmes enceintes séropositives.

Quelques bonnes nouvelles Depuis cette description accablante, le gouvernement a pris des mesures audacieuses pour réduire la Prévention de la transmission de la mère à l'enfant (PTME) dans les 12 Etats les plus touchés.

La couverture de la PTME est passée à 27 pour cent en 2013, une augmentation considérable à partir de 19 pour cent en 2012, selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF).

Certains Etats ont doublé ou triplé le nombre de centres de santé qui offrent les services liés au VIH, portant le nombre de sites de PTME à 2.216 – encore loin des 16.400 requis pour une couverture adéquate.

Le nombre de nouvelles infections par an chez les enfants a baissé, de 60.000 en 2012 à 51.000 en 2013.

Mais, avec deux femmes enceintes sur trois fuyant les soins prénatals, le défi sera de les atteindre grâce à l'amélioration des services et la sensibilisation.

“Nous devons aller vers elles au lieu d'attendre qu'elles viennent au centre de santé”, a déclaré à IPS, Arjan de Wagt, chargé des enfants et du VIH à l'UNICEF au Nigeria. “Sinon, les enfants continueront de mourir du SIDA inutilement”.

Edité par Mercedes Sayagues Traduit en français par Roland Kocouvi