TANZANIE: Les coopératives agricoles ont du mal à donner de bons résultats

ARUSHA, Tanzanie, 22 avr (IPS) – John Daffi grimpe au sommet d'une colline surplombant un mur pittoresque de la Vallée du Rift et la forêt du Ngorongoro, où la faune migre entre le célèbre plus grand cratère au monde du Ngorongoro et le lac Manyara en Tanzanie.

Daffi, 59 ans, regarde la ferme de sa famille en bas et se souvient de l'époque où son père l'a amené à cet endroit pendant qu’il était un garçon.

“Le Haut Kitete était un village agricole modèle créé par le gouvernement de Tanzanie. Mon père a reçu un appel de son frère, alors qu'il était à Arusha, lui disant Karatu de faire une demande. Nous avons été sélectionnés comme l'une des 100 premières familles”, a déclaré Daffi à IPS.

En 1962, l'agronome britannique Antony Ellman est venu en Tanzanie et a aidé, de 1963 à 1966, à la création de l’Association coopérative du Haut Kitete sur 2.630 hectares situés dans le district de Karatu, dans le nord de la Tanzanie, à environ 160 kilomètres de la ville d'Arusha.

“C'était un moment très excitant puisque la Tanzanie venait juste d’avoir son indépendance et c'était une vraie occasion pour les agriculteurs en herbe d'avoir accès à une grande terre”, a indiqué Ellman à IPS.

Le père de Daffi, Lucas, a déplacé sa famille du village de Manyara, dans la région de Mbulu, au village de Kitete, dans la région d'Arusha. Les villageois sélectionnés ont commencé une expérience sociale, et se sont distingué des autres villages voisins avec le nom Haut Kitete.

Le mouvement coopératif précède l'indépendance. Le professeur Amon Z. Mattee, de l’Université des études agricoles de Sokoine, en Tanzanie, a déclaré à IPS que la prospérité des coopératives dans les années 1960 a poussé le gouvernement à vouloir créer une situation d’égalité pour tous.

“Les coopératives ont commencé dans les années 1930 pour certaines cultures de rente comme le café et le coton et pendant plusieurs années jusqu'à la date de l'indépendance en 1961. Elles étaient vraiment basées sur des membres et offraient d'excellents services en termes de recherche, de vulgarisation, d’intrants, de marchés rentables et même de services sociaux comme l'éducation pour les enfants des membres”, a indiqué Mattee.

Le président fondateur de la Tanzanie, Julius Nyerere, un 'Mwalimu' [enseignant] a commencé le programme de création du village où les agriculteurs étaient encouragés à travailler en coopérative en espérant qu'ils prospèreraient économiquement. Quelque 18 mois après l'indépendance en 1963, l’Association coopérative du Haut Kitete a été créée et elle continue d’exister à ce jour.

“Le sol était si fertile. Nous avons commencé à cultiver des céréales comme le blé et l'orge. Aujourd’hui, nous sommes en nombre beaucoup plus petit et cultivons principalement le maïs et des haricots, nos aliments de base”, a indiqué Daffi.

Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la Tanzanie reste un pays essentiellement rural avec une économie basée sur l'agriculture qui emploie une grande partie de la population active nationale. Son économie est toujours fortement dépendante d'une agriculture essentiellement pluviale qui contribue pour environ 30 pour cent au produit intérieur brut et représente 64 pour cent de toutes les recettes d'exportation.

Ses principales cultures traditionnelles d'exportation sont le café, les noix de cajou, le coton, le sucre, le tabac, le thé, le sisal et les épices de Zanzibar. Le maïs est la principale culture vivrière avec le sorgho, le mil, le riz, le blé, les haricots, le manioc, les bananes et les pommes de terre, selon la FAO.

“Pendant les 10 premières années, le Haut Kitete était sur une trajectoire ascendante. Les gens travaillaient ensemble volontairement et la vie s'améliorait pour tout le monde. Ils avaient sans cesse de meilleurs rendements, construisaient des maisons plus grandes et les services se sont par conséquent améliorés”, a souligné Ellman.

En 1974, le rêve a baissé puisque Nyerere a forcé les Tanzaniens réticents des zones urbaines et rurales à se déplacer dans les villages, causant des problèmes environnementaux et organisationnels aux villages existants comme le Haut Kitete. A ce temps, la population a gonflé pour passer de 210 à 1.200 habitants.

Une étude réalisée en 2001 par les universitaires Rock Rohde et Thea Hilhorst appelée “Un profil des changements de l'environnement dans le bassin du lac Manyara, en Tanzanie” examine le stress sur les terres en raison des directives du gouvernement.

“Ujamaa [la marque du socialisme de Nyerere] visait à déplacer toute la population rurale de la Tanzanie dans des villages coopératifs et a réalisé [cet objectif] dans le cadre de 'l’Opération Vijijini' où les terres ont été redistribuées et plusieurs millions de paysans et d’éleveurs se sont réinstallés dans de nouveaux villages plus compacts, souvent sous la contrainte. [Cela] a eu un effet social et économique profond, en particulier sur les hauts plateaux de Karatu où les agriculteurs commerciaux riches ont été privés de leurs terres”, indique l'étude.

Depuis ce temps, Daffi voit la terre du Haut Kitete devenir rare puisqu’elle a été divisée en de petites portions pour la communauté croissante. Ce village de 500 habitants en 1963 est aujourd'hui une ville de près de 5.000 habitants. Aujourd’hui, la coopérative produit beaucoup moins qu'elle le faisait auparavant parce qu’elle dispose de moins de terre.

“La population a augmenté, certes, mais ce n’est pas le cas pour la terre. Chaque centième de terre est cultivé”, a déclaré Daffi.

Mattee recherche des organisations paysannes en Tanzanie. Il a dit que les récentes tentatives du gouvernement de relancer les coopératives, comme la Politique de développement des coopératives 1997, ont été un échec.

“Le gouvernement tente depuis les années 1990 de relancer le secteur des coopératives en introduisant de nouvelles politiques, mais les coopératives étaient déjà trop faibles et les agriculteurs en avaient complètement perdu la foi”, a déclaré Mattee.

Ellman réfléchit sur son temps dans le Haut Kitete avec beaucoup de nostalgie. Mais il constate qu'ils sont confrontés au problème auxquels sont confrontées toutes les coopératives agricoles restantes en Tanzanie – un manque d'unité et une insuffisance des ressources pour supporter la population en croissance rapide.

“Je reste en contact avec beaucoup de gens dans le Haut Kitete [que] j'ai revisité en 2012. Ils m'ont demandé d'enregistrer l’histoire de la région”, a déclaré Ellman. “Cela a été difficile. Avec une population aussi dense, ils ont besoin d’adopter des formes plus intensives d'utilisation des terres et même de diversifier l'agriculture. Les Tanzaniens sont des gens ingénieux. Ils peuvent le faire”.