AFRIQUE: Les jeunes ne sont pas attirés par une agriculture peu excitante

TUNIS/ADDIS-ABEBA, 19 avr (IPS) – Ketsela Negatu est le fils d'un éleveur de chèvres éthiopien vivant à près de la capitale du pays, Addis-Abeba, qui refuse de suivre les traces de son père. Ce jeune de 19 ans a une perception négative du métier familial après avoir vu les sombres perspectives que ce moyen de subsistance a offertes à son père.

“J’irai en ville et essayer de trouver du travail. Je ne sais pas ce que je ferai, mais je veux trouver un emploi qui paie plus d'argent afin que je puisse vivre une bonne vie”, a-t-il déclaré à IPS.

Mais la pensée de Ketsela est comme celle d'autres jeunes sur le continent puisque des rendements financiers faibles et des perspectives peu glorieuses de l'économie rurale d'Afrique poussent les jeunes à quitter les champs et à migrer vers les centres urbains.

Et il y a une croissance de l'inquiétude que peu d’effort se fait pour engager la plus grande main- d’œuvre d'Afrique – sa jeunesse – dans la production alimentaire puisqu’ils sont indispensables à la sauvegarde de la sécurité alimentaire sur le continent, à l’élimination de la faim et à l'accès aux marchés alimentaires mondiaux.

“Il n'y a pas assez de stimulus pour que les jeunes participent à l'agriculture dans les pays africains. Les jeunes fermiers ont besoin de bons prix pour de bons produits, sinon nous les perdrons au profit des zones urbaines. Pourquoi devraient-ils faire le dur travail et rester pauvres?”, a indiqué à IPS, Gebremedhine Birega, représentant en Ethiopie de l’ONG Réseau pour la sécurité alimentaire en Afrique orientale et australe.

La part des jeunes dans la population active d'Afrique est la plus élevée au monde, avec environ 35 pour cent en Afrique subsaharienne et 40 pour cent en Afrique du nord, contre 30 pour cent en Inde, 25 pour cent en Chine et 20 pour cent en Europe. Les projections de la Banque mondiale indiquent que 60 pour cent de la croissance de la population active dans le monde sera en Afrique entre 2010 et 2050.

Bien que la croissance économique en Afrique subsaharienne devrait atteindre 6,3 pour cent en 2014, bien au-dessus de la moyenne mondiale, les responsables agricoles à la conférence régionale de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) tenue en Tunisie du 24 au 29 mars ont convenu que la croissance prodigieuse ne se traduit pas assez rapidement en emploi pour la jeunesse africaine.

Gerda Verburg, présidente du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, a déclaré à IPS que la commercialisation accrue de l'agriculture exploitera les jeunes chômeurs en Afrique rurale et créera un secteur agricole productif et rentable. Elle renforcera donc la sécurité alimentaire et créera des opportunités décentes de revenus et d'emplois pour les jeunes.

“Nous devons essayer de renverser la mentalité rurale qui dit que l’agriculture constitue une dernière option. Pour éviter cette perte de travail, nous devons voir comment améliorer les perspectives financières de ceux qui travaillent dans le secteur agricole.

“Le financement du secteur privé et les agro- industries aident à moderniser l'agriculture en créant des chaînes de valeur ajoutée qui paieront plus à l’agriculteur pour son travail que le marché local”, a-t-elle indiqué.

La croissance économique sur le continent, et les tendances alimentaires changeantes de la classe moyenne émergente d’Afrique, offrent également des chaînes de valeur attrayantes et lucratives pour que les jeunes producteurs agricoles participent, a déclaré à IPS, José Graziano da Silva, directeur général de la FAO.

“Il existe des marchés émergents tels que l'aquaculture, où nous voyons un bon potentiel de croissance. Plus d'investissements dans ces marchés en croissance offriront des opportunités plus grandes pour l'emploi des jeunes”, a-t-il souligné.

On s'attend également à une plus grande électrification des zones rurales d'Afrique pour aider à retenir la population des jeunes à la campagne et satisfaire une aspiration à un mode de vie moderne qui dispose de la télécommunication et de la connectivité Internet. Actuellement, moins de 10 pour cent des ménages ruraux d'Afrique subsaharienne ont accès à l'électricité.

Cheikh Ly, secrétaire de la conférence régionale de la FAO, a déclaré à IPS que le facteur majeur derrière la décision prise par les jeunes de migrer vers les zones urbaines était le manque d'électricité dans les zones rurales d’Afrique.

“L'électrification est un besoin essentiel pour l'économie rurale en Afrique. La production agricole moderne n'est pas possible sans un accès fiable à l’électricité. Nous perdons aussi les jeunes qui veulent être connectés et communiquer via les téléphones et l'Internet si ces besoins ne sont pas satisfaits”, a-t-il indiqué à IPS.

Un investissement accru dans l'agriculture africaine semblait être un fait accompli lorsque les dirigeants africains se sont réunis à Maputo, au Mozambique, en 2003, s’engageant à consacrer au minimum 10 pour cent de leurs budgets nationaux à l'agriculture et à faire passer la croissance agricole à six pour cent du Produit intérieur brut (PIB) par an d'ici à 2008.

Cependant, des 54 pays d'Afrique, seuls neuf – le Ghana, le Burkina Faso, le Malawi, le Mali, l'Ethiopie, le Niger, le Sénégal, le Cap-Vert et la Guinée – ont réussi à respecter ces engagements.

La faiblesse des investissements cause une faible productivité et contrecarre le secteur agricole de l'Afrique, qui emploie près de 60 pour cent de la population active du continent mais ne représente que 25 pour cent du PIB de l’Afrique. Un déficit de volonté politique des dirigeants africains retarde l'expansion agricole sur le continent, déclare David Adama de 'Action Aid International'.

“Des mots creux ne nourriront pas des ventres vides. Les gouvernements africains doivent tenir leurs promesses et fournir plus d'argent pour l'agriculture et s'assurer qu'elle est mieux ciblée pour aider les millions de petits fermiers qui constituent la majorité de leurs citoyens et produisent l’essentiel des aliments de l'Afrique”, a-t-il expliqué à IPS.

Le potentiel d'un engagement lucratif de la jeunesse africaine dans l'agriculture devrait être à portée de main. L’Afrique renferme plus de 50 pour cent des terres fertiles et inexploitées dans le monde, tandis que l’investissement étranger dans l'agriculture africaine devrait dépasser 45 milliards de dollars en 2020, selon les statistiques de la Banque mondiale.

Cependant, les jeunes d'Afrique ne ressentent pas encore la traction d’une nouvelle “renaissance agricole” quelconque sur le continent.

“Je resterais et travaillerais à la campagne, mais seulement si les choses s’amélioraient ici; à moins qu'elles le fassent, je partirai en ville voir s'il y a quelque chose de meilleure”, a déclaré Ketsela.