PUERTO RICO: L’île est-elle sur la voie de la Grèce et de Detroit?

SAN JUAN, 17 avr (IPS) – La société portoricaine a été ébranlée dans ses fondements par l'annonce faite en février par les agences de notation de crédit 'Standard & Poor's' et 'Moody's' qu'elles avaient déclassé la solvabilité de l'île à un niveau indésirable.

“Les problèmes qui se posent à l’Etat sont en gestation depuis plusieurs années, et incluent des années de financement du déficit, le sous- financement des régimes de retraite, et le déséquilibre budgétaire, avec sept années de récession économique”, a déclaré Moody’s. Situé dans la mer des Caraïbes, Puerto Rico est un Etat associé des Etats-Unis depuis 1952. Moody’s a ajouté que l’aggravation de la situation économique de l'île a “désormais mis l’Etat dans une position où sa charge de la dette et ses coûts fixes sont élevés, sa liquidité est faible, et son accès au marché est devenu limité”. Afin de répondre à ses obligations en matière de dette, le législateur de Puerto Rico a envisagé d'adopter des mesures fiscales auxquelles les syndicats sont fortement opposés, y compris l'immersion dans le fonds de retraite des enseignants de l'enseignement public. La Loi 160, la “réforme” de la retraite, a été approuvée par la Chambre des représentants et le Sénat au début de cette année. Les syndicats se sont dirigés vers les tribunaux pour contester la loi. Le 11 avril, la Cour suprême de Puerto Rico a jugé que certaines dispositions clé étaient inconstitutionnelles parce qu'elles violaient les contrats des enseignants. Les syndicats des enseignants ont qualifié cette décision de triomphe, bien que la cour ait confirmé d'autres parties de la loi qui affectent négativement les primes de Noël, le salaire d'été et les avantages médicaux. La crise financière actuelle est le résultat de l'échec du modèle économique de l’île, selon Luis Pedraza-Leduc, un responsable syndical. “Notre modèle économique, basé sur la fourniture d’une main-d'œuvre bon marché aux industries pharmaceutiques et pétrochimiques et l'industrie légère, s'est épuisé”, a dit Pedraza-Leduc, qui dirige le Programme de solidarité (PROSOL) du syndicat des travailleurs, UTIER, et est porte- parole de la 'Coordinadora Sindical', une coalition de plus d'une douzaine de syndicats. “Au cours des dernières décennies, il y a eu une tendance mondiale vers la réduction de la participation de l'Etat dans l'économie à un minimum”, a-t-il indiqué à IPS. “Les choses qui étaient considérées comme des services de base fournis par l'Etat sont maintenant transformées en produits de base puisque l'entreprise privée intervient afin de remplir ces espaces. Au lieu de réduire ces services essentiels, le gouvernement est allé dans la dette”. Selon un tableau fourni par le bureau du gouverneur de Puerto Rico, Alejandro Garcia- Padilla, la dette publique de l’île a atteint 10 milliards de dollars en 1987, lorsque le Parti démocratique populaire (PDP) était au pouvoir, et a dépassé la barre des 20 milliards de dollars en 1998, sous le gouverneur Pedro Rossello, du Nouveau parti progressiste (NPP). Sous le gouverneur du PDP, Sila M. Calderon (2001- 2004) la dette est passée à plus de 30 milliards de dollars. Et à la fin de son mandat, 2009-2012, le gouverneur du NPP, Luis Fortuño, a laissé le pays avec plus de 60 milliards de dette. Garcia- Padilla appartient au PDP. Pedraza-Leduc rappelle que les gouverneurs successifs ont pris des mesures néolibérales qui ont rendu les choses encore pires. “Le gouverneur Rossello a privatisé le secteur de la santé, la compagnie de téléphonie et le service public de l'eau. Le gouverneur Acevedo-Vila [du PDP, 2004-2007] a imposé une taxe sur les ventes au détail [dont le sigle espagnol est IVU]”, a-t- il souligné. Le gouverneur Fortuño a licencié plus de 30.000 travailleurs du secteur public, et a introduit des “partenariats public-privé”, qui ont été décriés par les syndicats comme étant des programmes de privatisation à peine voilés. Dès le début de son mandat au début de 2013, Garcia-Padilla a privatisé l'aéroport international de San Juan et envisage de nouvelles taxes. La constitution de Puerto Rico oblige le gouvernement à honorer ses dettes. “Afin de payer les détenteurs d'obligations, le gouvernement pourrait fermer les écoles, réduire le nombre de déplacements quotidiens du Train Urbain, réduire les services du téléphone d'urgence, 911, et geler l'embauche des employés”, a prévenu Pedraza-Leduc. “Ils envisagent de réduire les primes de Noël et les jours de congé de maladie”. Selon Martha Quiñones, une économiste à l'Université de Puerto Rico, “Nous avons ici la même crise que la Grèce et Detroit, mais ici elle est plus grande à cause de notre situation coloniale. “Nous avons eu un modèle économique basé sur le fait de faire venir des sociétés étrangères et de les attirer avec une main-d’œuvre bon marché et des incitations fiscales”, a-t-elle déclaré à IPS, appelant cela le modèle “exogène”, qui est basé sur le fait de faire venir les investissements de l'extérieur. “Cela n'a pas marché. Pas assez d'emplois ont été créés, et les chômeurs ne paient pas d'impôts. Les entreprises locales ont fini par supporter la charge fiscale dont les investisseurs étrangers ont été exonérés, ce qui a poussé beaucoup d'entre elles à fermer. Les entreprises locales et étrangères n’étaient pas en concurrence dans des conditions d'égalité”. Quiñones a déclaré que le glas du modèle était l'Accord nord-américain de libre-échange (NAFTA) et d'autres accords commerciaux similaires que les Etats-Unis ont conclus, qui ont rendu encore moins chère la main-d’œuvre disponible dans d'autres parties du monde. Les gouvernements successifs de Puerto Rico ont rattrapé ces échecs en demandant l'aide du gouvernement américain sous forme de bons d'alimentation et des allocations de chômage et d'autres formes d'aide sociale. L’autre moyen était l’émission d’obligations, qui ont conduit à une dette à long terme et à la débâcle actuelle. Comme alternative, Quiñones préconise un modèle économique “endogène”, qui renforce les capacités locales plutôt que de se tourner vers l'étranger pour la délivrance. “Le gouvernement doit soutenir les entreprises locales”, a-t-elle indiqué. “Ce sont ces entreprises qui créent des emplois dans le pays et paient des impôts”. (FIN/2014)