SOMALIE: Des citoyens pris entre deux feux puisqu’Al-Shabaab 'cherche à survivre'

MOGADISCIO, 26 fév (IPS) – Comme le gouvernement somalien envisage de lancer une nouvelle campagne militaire pour anéantir le groupe extrémiste islamique, Al-Shabaab, dans ses bastions dans ce pays de la Corne de l'Afrique, des experts disent que ce sont les innocents de la Somalie qui vivent dans les zones contrôlées par le groupe qui souffriront le plus.

Le 21 février, Al-Shabaab lié à Al-Qaïda a lancé une attaque effrontée sans précédent contre le palais présidentiel à Mogadiscio, la capitale, dans laquelle 12 personnes, dont neuf militants du groupe extrémiste, sont mortes.

Peu après, le gouvernement et la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) ont annoncé que des plans étaient en cours pour lancer une campagne militaire contre ces combattants extrémistes.

Le commandant militaire supérieur du gouvernement somalien, Ise Guled, a déclaré lundi à IPS, à Mogadiscio, que les préparatifs de “l'assaut final” contre les bastions des combattants radicaux dans le sud et le centre du pays étaient “dans leur phase finale”.

“Nous lancerons l'offensive conjointement avec nos alliés contre ce groupe pour nous débarrasser de [cette] menace une fois pour toutes”, a-t-il indiqué. Il a refusé de dire quand cela démarrerait.

Toutefois, Yusuf Alay, un universitaire à Mogadiscio, a affirmé à IPS que “l'oppression” du groupe contre les habitants augmenterait puisque la pression militaire sur Al-Shabaab monte.

Al-Shabaab a été chassé d’une grande partie du sud et du centre de la Somalie, mais le groupe contrôle encore des régions du pays où il impose la charia islamique stricte, recrute et forme des combattants.

Alay pense que le groupe commencera à imposer des couvre-feux stricts et une interdiction générale de l'utilisation des smartphones dans les zones sous son contrôle. Déjà Al-Shabaab a forcé la plus grande société de télécommunications dans le pays à arrêter son service de l'Internet mobile.

Alay pense aussi que plus de jeunes seront endoctrinés dans l'idéologie extrémiste du groupe et recrutés de force.

“Ce groupe radical applique une forme stricte de la charia, par laquelle les gens sont encore soumis aux pires formes de punitions. [Il impose également] des taxes énormes aux populations qui sont déjà pauvres, pour financer ses activités après avoir perdu des ports clé dans le sud”, a expliqué Alay.

Il a ajouté que bien que les gens soient affectés négativement au cas où les militants résistent et luttent contre l’avancée des troupes, à long terme, ceux qui vivent à “Shabaabistan” (territoire d'Al-Shabaab) seraient mieux lotis du fait de ne pas être sous l’autorité d'Al-Shabaab.

Mohamed Muse, un analyste militaire à Mogadiscio, a déclaré que la campagne contre le groupe extrémiste est en préparation depuis des mois maintenant, mais a pris un nouvel élan après l'attaque meurtrière d'Al-Shabaab contre le centre commercial Mall Westgate à Nairobi, dans la capitale du Kenya en septembre 2013. Au moins 72 personnes ont été tuées lorsque des militants d'Al-Shabaab ont pris d'assaut ce centre commercial.

“Nous savons qu'il y a eu une compréhension claire de la nécessité d'en finir avec Al-Shabaab de la part du gouvernement somalien et de l'AMISOM afin que la tâche de la reconstruction du pays puisse se poursuive sans entrave. Donc, c’est juste une question de savoir quand une telle décision [se concrétisera]”, a déclaré Muse à IPS à Mogadiscio.

En janvier, suite à l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies d'une augmentation des soldats de maintien de la paix de l'AMISOM, près de 4.300 soldats éthiopiens ont été ajoutés à la force existante de 17.500 éléments.

Matt Bryden, directeur de 'Sahan Research', un groupe de réflexion basé au Kenya, a déclaré dans un nouveau rapport pour le Programme Afrique du Centre des études stratégiques internationales qu'Al-Shabaab perdrait probablement tout le territoire sous son contrôle en cas d'une offensive militaire.

“Comme une AMISOM renforcée se prépare à reprendre les opérations offensives, Al-Shabaab est susceptible de subir des revers militaires – y compris la perte de ses bastions restants”, a indiqué Bryden dans le rapport.

Comme les troupes éthiopiennes arrivent en masse dans les régions du centre et du sud de la Somalie, les combattants d'Al-Shabaab ont fui les bastions clés à El Bur, Hudur et Barawe.

Déjà deux villes, Hagar, dans le sud de la Somalie et Gandershe, juste au sud de Mogadiscio, ont été récemment reprises dans des attaques surprises menées par les forces gouvernementales somaliennes et les troupes de l'AMISOM.

Bryden a dit que le groupe militant se prépare, depuis un moment, pour une “lutte asymétrique”, puisqu’il prévoit la défaite face à l'offensive. Il soutient que cette stratégie “permettrait à Al- Shabaab de survivre en tant qu’une force puissante en Somalie et dans la région”.

“Pour le court terme, Al-Shabaab ne joue pas pour gagner mais pour survivre, subvertir et surprendre”, a-t-il souligné.

Tout étant d’accord, Muse a déclaré que les défis seraient gérables si les querelles politiques entre les Somaliens étaient résolues avant qu'elles ne deviennent un problème.

“Nous nous attendons aux activités des insurgés à court terme, même si le groupe est vaincu militairement, et c'est toujours la nature des opérations de contre-insurrection. Mais je pense qu’Al-Shabaab peut être éradiqué de la région”, a affirmé Muse.