NDOP, Cameroun, 4 déc (IPS) – Depuis plus de 20 ans, Anastasia Ngwakun, dans le village de Bamunkumbit, dans le centre du Cameroun cultive le riz d’une manière difficile – utilisant seulement des outils manuels. Mais Ngwakun sait que si elle était un homme, elle aurait accès à la technologie qui ne l'obligerait pas à travailler si dur.
“La riziculture est un travail difficile, surtout pour une femme, parce que je suis impliquée dans la plantation et le traitement en utilisant des ressources et des outils limités, ou pas du tout, contrairement aux hommes de mon village, qui peuvent facilement obtenir un crédit ou avoir accès à un tracteur”, a déclaré Ngwakun, qui cultive du riz sur un terrain de 1,5 hectare, à IPS.
“Les femmes n'ont pas accès à la terre, et la plupart du temps nous exploitons des parcelles appartenant aux hommes, et ils dictent là où les tracteurs doivent être disponibles, les champs à labourer en premier, et que nous pouvons labourer [nos terres] seulement après [qu’ils ont fini de le faire]”, a-t-elle ajouté.
Ngwakun n'a pas non plus accès à l'utilisation des machines de battage, qui lui éviteraient la tâche laborieuse d’enlever les enveloppes de riz à la main.
La production et le traitement du riz seraient plus faciles pour Ngwakun si elle utilisait une technologie améliorée comme des batteuses, des outils de sarclage et des fûts d’étuvage, qui peuvent faire bouillir jusqu'à deux fois la quantité normale de riz que les marmites peuvent cuire. Mais Ngwakun, comme beaucoup de femmes au Cameroun et dans le reste de l'Afrique, n'a pas accès à cette technologie.
Une recherche menée par le Centre du riz pour l'Afrique, une organisation panafricaine de recherche sur le riz, montre que, comparativement aux femmes, qui constituent statistiquement la grande partie des riziculteurs en Afrique, les hommes producteurs de riz ont un accès plus grand et inégal aux ressources telles que les terres agricoles, les intrants, le capital, les équipements et les connaissances.
Ces différences enracinées entre rizicultrices et riziculteurs sont partiellement alimentées par la culture locale et des considérations économiques.
Afiavi Agbhor-Noameshie, une socio-agronome et spécialiste des questions de genre au Centre du riz pour l'Afrique, a déclaré à IPS qu'il y a une absence flagrante de l'intégration du genre dans le secteur du riz.
“Les femmes sont dans toutes les activités de la riziculture, depuis les semences jusqu’au marché, mais les technologies disponibles ne sont pas développées en tenant compte d’elles”, a-t-elle indiqué à IPS.
“Il y a un besoin pour la réduction du dur labeur dans la chaîne de valeur du riz en sensibilisant et en amenant les hommes à s’intéresser à l’idée que lorsque nous parlons de sexe, nous ne parlons pas de la façon de réunir les femmes ou de comment travailler avec les femmes, mais de l'égalité des chances”, a-t-elle ajouté.
Actuellement, l'Afrique est une importatrice nette de riz et en consomme plus qu'elle ne produit. En 2012, le continent a dépensé cinq milliards de dollars pour importer 12 millions de tonnes de riz, la même quantité qu'elle a consommée, selon les statistiques du Centre du riz pour l'Afrique.
Agbhor-Noameshie, Abdoulaye Kaboré et Michael Misiko sont co-auteurs d'un livre de référence sur le riz en Afrique intitulé: “Tenir la promesse sur le riz de l'Afrique”.
Dans ce livre, ces scientifiques affirment que malgré l’implication active à la fois des hommes et des femmes dans la culture, le traitement et la commercialisation du riz, la perspective de genre n'a pas été appréciée ou prise en compte dans la recherche sur le développement.
Mais les femmes doivent être consultées et prises en compte dans le développement de la riziculture en Afrique, selon Nathalie Me-Nsope, une économiste agricole et spécialiste des questions de genre au Centre mondial pour les systèmes alimentaires et les innovations à 'Michigan State University', aux Etats-Unis.
“Nous ne pouvons pas continuer à parler d’agriculteurs alors que nous savons que les femmes ne constituent pas un groupe homogène parce qu’elles sont confrontées à des défis spécifiques qui limitent leur production et la commercialisation de leurs produits, des défis auxquels les hommes ne sont pas confrontés”, a déclaré Me-Nsope à IPS.
“Il existe de graves inégalités entre les sexes dans le secteur du riz en Afrique et des efforts spécifiques doivent être déployés pour aborder ces contraintes basées sur le genre du fait des rôles, responsabilités et de la division du travail en faisant une analyse détaillée de ce qui se passe”.
Cissé Peinda Gueye, une productrice de semences de riz au Sénégal, déclare que la recherche scientifique devrait permettre de rendre la riziculture moins qu'un fardeau et plus qu'une occasion pour les femmes d'être en mesure d'établir un équilibre entre l'agriculture et l'entretien de leurs familles.
“La qualité du riz est importante pour les riziculteurs et pour les clients qui l'achètent. Les chercheurs scientifiques devraient aider à améliorer la qualité afin que les femmes répondent à l'attente du marché où elles vendent le riz”, a indiqué Gueye à IPS.
Ngwakun a convenu que les femmes ont besoin de bénéficier d'un meilleur accès aux ressources.
“Je serais une agricultrice heureuse, comme les hommes fermiers, si j'avais le même accès aux ressources telles que de meilleures semences pour produire davantage de riz de meilleure qualité qui me rapportera plus de revenus. Mais pour une femme productrice de riz, la lutte ne semble pas finir”, a déclaré Ngwakun.