TRINIDAD: Les fermiers dépassés par le changement climatique

PORT OF SPAIN, Trinidad, 2 déc (IPS) – Dalchan Singh, un producteur de racines comestibles et membre du conseil d'administration de la Société agricole de Trinidad-et-Tobago, affirme que 2012 a connu des changements drastiques dans la météo de cette nation bi-insulaire des Caraïbes.

Normalement, la saison des pluies commence en juin et se poursuit pendant les mois de juillet et août, a-t-il expliqué, puis baisse en novembre, lorsque les pluies recommencent.

“Mais les choses n’ont pas été ainsi cette année”, a déclaré Singh à IPS. “Pendant deux mois, nous avons eu beaucoup de soleil et très peu de pluie. Ce n'est que vers août que nous avons commencé à recevoir de la pluie”. Il a ajouté: “Cette année, quand vous recevez la pluie, elle est très forte, et lorsque vous avez le soleil, c’est très fort, du soleil de plomb. Cette année est très différente”.

Les cultures poussent plus lentement lorsqu’elles ne reçoivent pas assez de pluie au bon moment, a- t-il expliqué. Inversement, les fortes pluies puissantes que le pays a connues cette année ont tué certaines cultures telles que les pois d'Angole et fait pourrir certaines racines comestibles.

Les agriculteurs locaux disent que l'imprévisibilité de la météo fait qu'il est presque impossible de déterminer les cultures qui peuvent être plantées en toute sécurité et à quel moment.

Les changements climatiques créent également un défi supplémentaire en termes des insectes nuisibles auxquels les agriculteurs doivent faire face. Khemraj Singh, président de l'Association des agriculteurs de Felicity, à Chaguanas, Trinidad, explique que quand il y a deux ou trois semaines de pluie sans interruption, toute tentative d'éradiquer les insectes nuisibles au moyens de produits chimiques est inutile puisque la pluie emporte les pesticides.

Au même moment, a déclaré Hudson Mahabir, un fermier, “il y a des côtés positifs des changements climatiques” dans la lutte contre les insectes nuisibles, car “les fortes pluies réduisent les thrips”, un insecte ailé qui se nourrit de cultures.

Cependant, lorsqu’il y a un mélange de fortes pluies et de soleil de plomb, “cela crée la condition idéale pour que les champignons et les bactéries se multiplient”, a-t-il ajouté.

Les fermiers à travers les Caraïbes voient des changements dans les conditions météorologiques saisonnières – qui ont commencé à se manifester il y a environ huit ans – et se retrouvent désormais d'une part aux prises avec des inondations plus intenses, et un temps chaud et sec, d'autre part.

Mais les stratégies existent pour minimiser ces effets négatifs des changements climatiques.

Lorsque Ramgopaul Roop a commencé à exploiter sa petite ferme à North Freeport, Trinidad, le sol était très acide, stérile et compacté. Pendant la saison des pluies, il était obligé de faire face aux inondations et durant la saison sèche au défi de la sécheresse.

Roop a décidé de chauler le sol de son champ et a augmenté la quantité de matière organique qu’il y a afin d’améliorer sa fertilité. Il a également construit un étang et a ajusté la topographie de la ferme de telle façon que pendant la saison des pluies, l'excès d'eau coulait doucement dans l'étang, évitant ainsi les inondations; durant la saison sèche, il a commencé à utiliser cette même eau pour l’irrigation.

Le résultat est que Roop mène désormais une belle vie à partir de l'agriculture.

Bien que le travail de Roop dans l'agriculture durable ait commencé avant que les impacts des changements climatiques ne se fassent ressentir, Dr Humberto Gomez, un spécialiste de l'innovation technologique à l'Institut interaméricain de coopération pour l'agriculture (IICA), cite cela comme un exemple de ce qui peut être accompli lorsque les fermiers adoptent une approche proactive pour faire face au problème.

“Par exemple, de meilleures pratiques de gestion du sol et de l'eau, telles que l'irrigation et le drainage”, a-t-il indiqué à IPS. “En outre, des variétés de cultures peuvent être développées pour exiger moins d'eau, terminer leur cycle plus rapidement ou plus lentement, pour avoir une résistance aux insectes nuisibles et aux maladies”.

“Des plantes peuvent être aussi cultivées pour utiliser des espaces plus petits, absorber et métaboliser les nutriments plus efficacement, etc.”, a expliqué Gomez.

Le rapport sur les Changements climatiques, l'agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) intitulé “Un avenir de l'agriculture intelligent au climat: Placer l'agriculture au cœur de la politique sur les climats changements”, suggère également la production des cultures sous le couvert comme une technologie utile en particulier pour les fermiers des Caraïbes. Le gouvernement de Trinidad-et-Tobago a proposé de subventionner cette technologie appelée 'ombrières', promettant de payer la moitié du coût de sa construction, selon Khemraj Singh.

Cependant, a indiqué Singh, ces promesses n'ont pas été tenues. Il a affirmé qu'il a commencé le projet de construction des ombrières pour protéger ses cultures. Toutefois, une telle construction est chère: deux hectares et demi exigeaient 10 ombrières couvrant environ 10.000 pieds carrés chacune, pour un coût total de près de 340.000 dollars.

L’incapacité du gouvernement à subventionner la construction a rendu les ombrières intenables. “Une ombrière est un investissement à long terme”, a-t-il déclaré. “Je ne peux pas prendre deux millions de dollars de Trinidad-et-Tobago et dire que les ombrières rapporteraient assez d'argent qui sera utilisé pour les acheter”. Depuis ce temps Singh a abandonné ses efforts visant à mettre en œuvre cette technologie.

Il a déclaré que les agriculteurs locaux voient également la valeur de l’irrigation goutte-à- goutte et du paillage plastique pour faire face aux conditions climatiques locales. Parmi les stratégies que les fermiers utilisent pour affronter les inondations intenses, a-t-il indiqué, figurait la construction de beaucoup plus de canaux d'eau pour s'assurer que leurs champs sont correctement drainés après de fortes pluies.

* Les vestiges des ombrières qu'un fermier a tenté de construire pour protéger ses cultures contre les effets des changements climatiques. Il a par la suite abandonné le projet après que le gouvernement de Trinidad-et-Tobago a retenu la subvention prévue pour les achever. Crédit: Jewel Fraser/IPS