JORDANIE: Des fermiers se battent pour résister au changement climatique

AMMAN, Jordanie, 15 nov (IPS) – Abu Waleed ne sait vraiment pas par où commencer sa litanie de griefs. Les insectes qui s’effraient leur chemin à travers la menthe qu’il cultive, ou le puits sec qui l'oblige à pomper l'eau depuis un endroit situé à un demi-kilomètre? Ou peut-être les 160 dinars qu’il a dépensés sur les semences d’épinards seulement pour voir une croissance faible après la plantation?

Pour la petite communauté d'agriculteurs dans le bassin du fleuve Zarqa, à l’est d’Amman, la capitale, le développement industriel, une mauvaise gestion des ressources et le changement climatique ont convergé pour créer une tempête parfaite de problèmes qui détruisent les produits agricoles et les moyens de subsistance des fermiers et menacent finalement la sécurité alimentaire en Jordanie.

Le gouvernement jordanien et les organisations allant des ONG locales aux agences de l'ONU prennent des mesures pour atténuer les effets des changements climatiques, mais Abu Waleed et d'autres agriculteurs disent que ces efforts ne suffisent pas.

D'autres suggèrent que bien que les changements climatiques aggravent les problèmes environnementaux actuels en Jordanie, l’essentiel des mesures d'atténuation réside non seulement dans la lutte contre les changements climatiques, mais aussi dans l’améliorant de la façon dont la Jordanie consomme et gère les maigres ressources dont elle dispose.

Parmi les pays les plus arides du monde, la Jordanie a une moyenne de 145 mètres cubes d'eau disponibles par personne par an (le seuil de pauvreté en eau est de 500 mètres cubes). La moyenne annuelle des précipitations dans le pays est de 111 millimètres.

Des zones privilégiées pour la culture agricole, telles que les régions pluviales, sont en diminution, en partie à cause de l'urbanisation et du développement. Entre 1975 et 2007, selon une étude menée par Dr Awni Taimeh, à l'Université de Jordanie, les zones de production de céréales ont diminué de 65 pour cent et les régions de culture de légumes de 91 pour cent.

Les agriculteurs de la région d'Abu Waleed ont entre-temps remarqué des changements des conditions météorologiques au cours de ces dernières années. Avec une diminution des précipitations, les températures ont augmenté, amenant plus d’insecte nuisibles et d’insectes et changeant les saisons de production. Ils demandent au gouvernement d’aider à atténuer ces effets. Certains membres du gouvernement aussi reconnaissent que le gouvernement doit faire plus.

Hussein Badarin, un agent du ministère de l'Environnement de la Jordanie, travaille dans la politique sur les changements climatiques depuis près de deux décennies. Il a déclaré à IPS “qu’il n'y a pas assez de coordination” entre les personnes et les institutions qui travaillent sur les changements climatiques. Un ministère peut par exemple avoir besoin de données qu'un chercheur d’université compile, sans savoir que ce dernier existe.

Aujourd'hui, ce qui reste du fleuve Zarqa pourrait passer pour une décharge saturée d’eau. Des bouteilles plastiques, des assiettes et des sacs poubelles flottent au-dessus d'une surface verte, et rien n’indique ce qui se trouve en dessous. L'eau elle-même est si polluée que les fermiers ne peuvent pas l'utiliser pour l'agriculture.

Ils sont plutôt obligés de pomper l'eau souterraine pour arroser les cultures, souligne Suheib Khamaiseh, coordinatrice de terrain pour l'Organisation de la femme arabe, un partenaire local pour un projet géré par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui renforce la capacité des communautés locales dans le bassin à s'adapter aux changements climatiques.

Mais les aquifères souterrains à partir desquels ces agriculteurs pompent l’eau sont en train d’être épuisés à deux fois la vitesse à laquelle ils se rechargent, selon le Programme alimentaire mondial et le Programme des Nations Unies pour le développement en Jordanie.

Selon une évaluation effectuée dans le cadre du projet de l'UICN, “le pompage illégal de l’eau souterraine, le manque de précipitations et des températures élevées” affectent tous directement “les niveaux d'eau souterraine, la qualité de production de l'eau et la qualité des sols”.

“Les insectes nuisibles, les mauvaises herbes, l'utilisation de produits chimiques et l'irrigation ont tous augmenté”, a ajouté le rapport. Les impacts des changements climatiques ont également diminué “la superficie de production, la qualité de la production, et la quantité produite par domaine cultivé”.

Abu Yazan, un agriculteur à la voix douce à Ruseifa dans le bassin du fleuve Zarqa, a installé un système d'irrigation goutte à goutte qui, selon lui, utilise l'eau de manière plus efficace et augmente la production. Il estime que deux dunums (0,49 hectare) de terre sur laquelle l’irrigation goutte à goutte est pratiquée donnent trois tonnes de carottes, tandis que la même superficie sur laquelle des techniques traditionnelles d’arrosage sont pratiquées rapporte la moitié.

Les précipitations ont diminué, indique-t-il, et il est obligé de filtrer l'eau pompée avant de l'utiliser pour l'irrigation. “Nous n'avons jamais utilisé des pompes électriques comme celui-ci dans le passé”, a-t-il ajouté pendant qu'il met en marche une pompe qui tire l'eau dans un bassin de retenue. Il croit que le gouvernement, ou la municipalité, devrait venir chaque saison aider à nettoyer la zone, mais ne le fait jamais.

“Le plus gros problème, c’est l'eau”, déclare Abu Waleed, le fermier originaire de Khirbet al-Hadid voisin. Non seulement la quantité est insuffisante pour l'agriculture, souligne-t-il, mais elle a également besoin de quelques ajustements du pH (acidité/niveau d'alcalinité). “Vous ne pouvez pas la goûter, mais vous pouvez le dire lorsque vous grandissez avec”.

Conduisant une visite à travers les parcelles de légumes, Abu Walid indique l'ail avec lequel il fait une expérimentation. Certaines plantes ont mal réagi à la hausse des températures, alors il veut tester si l'ail peut supporter la chaleur.

Il y a cinquante ans, les plants d'ail poussaient si haut que “vous ne pouviez pas marcher”, se souvient-il. Aujourd’hui, ils ne dépassent pas sa cuisse. Sur une parcelle distincte, il arrache du sol un petit radis à la taille de son petit doigt. Des insectes mangent les feuilles des plants de radis, qui meurent par la suite, déclare-t-il.