HAITI: Les giboulées de mars n’amènent pas toujours des fleurs

PORT-AU-PRINCE, 7 nov (IPS) – En Haïti, une simple averse de printemps qui serait à peine remarquée dans la plupart des pays, peut causer des inondations dévastatrices, en raison de la gravité de la déforestation et de l'érosion qui empêchent l'absorption des eaux de pluie.

Et l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des précipitations et d'autres phénomènes météorologiques, qui sont dus selon les scientifiques au changement climatique, aggravent les problèmes de sécurité alimentaire déjà importants de ce pays.

Ces risques figurent parmi les plus grands défis dans le développement d'une agriculture durable, a déclaré Philippe Mathieu, un ancien ministre de l'Agriculture et actuel conseiller du Programme alimentaire mondial (PAM).

Cet expert a indiqué qu'il était nécessaire d'aider les petits agriculteurs à obtenir des variétés de plantes plus résistantes et des systèmes de production adaptés aux changements climatiques, et d’aborder des problèmes comme la sécheresse et les tempêtes tropicales. “Nous devons aussi travailler avec la communauté, former les gens à la prévention”, a-t-il souligné dans une interview accordée à IPS.

Wilson Sanon, un éducateur populaire et un responsable de la Plateforme haïtienne pour la défense du développement alternatif, était d'accord avec Mathieu.

“Pour s'adapter aux changements climatiques qui pourraient accentuer les problèmes du secteur agricole, les fermiers doivent recevoir une formation sur les pratiques agro-écologiques, et les gens devraient être capables de partager leurs expériences au niveau local, régional et international”, a-t-il expliqué à IPS.

Mais Sanon a également déclaré que son pays avait besoin d’une formation des agents de vulgarisation, de réforme agraire, de l'accès à un crédit souple, de renforcement des capacités pour les petits agriculteurs, d’installations de stockage et de transport des céréales, de marchés sécurisés, et d’une augmentation de 30 à 35 pour cent des droits de douane pour protéger la production nationale contre l'invasion des importations bon marché.

“Les petits fermiers ont besoin de renforcement des capacités”, a souligné Mathieu. “Ce dont nous avons besoin, c'est un mélange: l'agriculture intensive peut être pratiquée sur de grandes étendues de terres publiques, tandis que les petits fermiers bénéficient des incitations pour devenir plus efficaces en combinant les cultures destinées à la consommation familiale avec des cultures destinées à la vente ou à l'exportation”.

L'agriculture représente un quart du produit intérieur brut d'Haïti et 60 pour cent des emplois disponibles.

Selon un rapport publié par Oxfam Amérique, le secteur agricole en Haïti a diminué de quatre pour cent de 2000 à 2010 en raison de l'érosion des sols, de l'insuffisance des investissements dans l'irrigation et les intrants agricoles, et de l'impact croissant des changements climatiques.

L'abattage systématique des arbres au cours des deux derniers siècles était une cause directe de la dégradation d'environ deux-tiers des terres arables d'Haïti.

Les montagnes de cette nation insulaire ont été presque entièrement dépouillées de végétation, et quand il pleut, le sol est emporté vers le bas. Le gouvernement espère augmenter le couvert forestier de deux à cinq pour cent du territoire national dans les trois prochaines années, au moyen d'un vaste plan.

Pour renforcer l'agriculture dans ces conditions défavorables, Mathieu a déclaré que le plus important était de mener des programmes qui combinent l’accent sur l'environnement – tels que la restauration des sols – avec des mesures visant à accroître la productivité.

“Ce n’est pas assez d’aliments qui sont produits pour la consommation locale”, a-t-il ajouté.

Ce conseiller du PAM a affirmé que 55 pour cent des aliments consommés par les Haïtiens sont importés, une conséquence directe des politiques de libéralisation des échanges qui ont commencé à être mises en œuvre par le dictateur Jean-Claude Duvalier (1971-1986) en 1983.

Ces politiques néolibérales, qui sont toujours en vigueur, ont entraîné une chute de la production agricole et des revenus, a-t-il expliqué.

Pour augmenter la production, Mathieu a recommandé des cultures adaptées aux mois qui se situent en dehors de la saison des ouragans, qui va de juin à novembre. Il a également suggéré que les petits fermiers adoptent des techniques agricoles telles que l'irrigation goutte-à-goutte et les serres, qui aident à atténuer les risques.

Il indiqué que les plus gros efforts devraient se concentrer sur plus de production, en commençant par les domaines où il y a “un certain niveau de compétitivité”, tels que le manioc et les patates douces, pour intégrer plus tard la production dans un système agro-forestier qui préserve l'environnement.

“De mon point de vue, la première chose est d'augmenter les rendements, et au même moment, développer une agriculture qui protège l'environnement. Une fois cela assuré, l'intégration de la valeur ajoutée dans les produits, dont les bénéfices devraient atteindre les petits agriculteurs, est un défi plus grand”, a-t-il dit.

Mathieu a expliqué que les efforts déployés à cette fin ont été mis en branle, avec de bons résultats. Mais il a ajouté qu'il était nécessaire de les intégrer dans une politique d'Etat claire.

“Le ministère de l'Agriculture a des documents sur la politique agricole, bien qu'il n'existe rien de concret sur le terrain pour le moment”, a-t-il indiqué.

Il a également affirmé qu'il était nécessaire de sensibiliser le public sur les menaces posées par les changements climatiques dans un pays qui est très vulnérable aux phénomènes météorologiques extrêmes et qui a le taux de pauvreté le plus élevé dans le monde. “Les gens ne sont pas préparés aux catastrophes météorologiques qui pourraient être encore pires dans l'avenir”, a déclaré l’ancien ministre.

* Un champ à Jacmel, près de Port-au-Prince, qui a été dévasté par le tremblement de terre de janvier 2010. Crédit: Patricia Grogg/IPS