Q&R: "Passer d’esclaves aux généraux puis dirigeants"

NEW YORK, 28 mai (IPS) – Dites “Afrique” et une myriade d’images inonde nos esprits. Comme son paysage et ses peuples, l'histoire du continent est riche et diversifiée. Alors que de nombreux livres ont été écrits et des films réalisés sur le commerce des esclaves africains en Occident, un aspect moins connu de l'histoire du continent se trouve en Inde.

A l'occasion de la Journée de l’Afrique et du Mois du Patrimoine américain de l’Asie-Pacifique, en mai, la correspondante de IPS, Sudeshna Chowdhury, a interviewé Sylviane A. Diouf, une historienne de renom qui étudie la diaspora africaine, sur la présence des Africains en Inde et dans le reste de l'Asie.

Diouf est également l'un des commissaires de l'exposition appelée “Les Africains en Inde: Passer d’esclaves aux généraux et dirigeants” qui est présentée au Centre Schomburg pour la recherche sur la culture noire à New York City.

Voici quelques extraits de l’interview.

Q: En quoi l'histoire des Africains d’Asie diffère-t-elle de la diaspora africaine dans le reste du monde, comme en Amérique ou en Europe? R: Ce ne sont pas tous les Africains qui sont arrivés en Asie en tant qu’esclaves. Certains étaient des commerçants, des artisans et des chefs religieux. L'Inde avait une abondance d'esclaves locaux pour effectuer des travaux difficiles, alors les Africains et les esclaves étrangers étaient essentiellement employés pour des tâches spécialisées comme domestiques dans les ménages riches, dans les cours royales et dans les forces armées.

Les Africains étaient considérés comme des guerriers exceptionnels et ils ont combattu dans des armées à travers l’Inde, aux côtés des Arabes, des Turcs, des Indiens et des Afghans. Ils arrivaient à gravir les échelons pour devenir des “élites esclaves”, amassant des richesses et le pouvoir et devenant même des dirigeants.

L’esclavage de l’élite était souvent un phénomène de frontière, régulièrement rencontré dans les régions qui ont connu l'instabilité en raison des luttes entre factions et où le pouvoir héréditaire était fragile. Les dirigeants considéraient les Africains comme étant fiables parce qu'ils étaient des étrangers sans liens de famille, de clan ou de caste avec les populations indigènes, alors ils les promouvaient en tant que responsables de justice, administrateurs et commandants de l'armée.

Ces élites esclaves étaient souvent au centre des litiges devant les tribunaux et s’emparaient parfois du pouvoir. Les esclaves soldats, gardiens et gardes du corps étaient systématiquement libérés après quelques années de service, épousaient souvent des femmes locales, et étaient intégrés dans la société en général.

Q: Pourquoi pensez-vous que les Africains étaient capables de se distinguer aussi facilement dans des pays comme l'Inde, contrairement aux pays occidentaux par exemple? Y a-t-il une histoire d'assimilation plus grande ici qui a permis aux Africains de passer de l’état d'esclaves à celui de généraux et de dirigeants ensuite? R: En raison des lois islamiques, les esclaves africains avaient tendance à avoir une plus grande mobilité sociale que ne l’avaient les Africains de l'Occident dans les Amériques. Un trait distinctif de l'esclavage dans le monde islamique était que, contrairement à ce qui s'est passé en Occident, la servitude et la “race” n'étaient pas liées. Des facteurs tels que la religion, l'ethnie et la caste avaient plutôt souvent plus d'influence que la couleur.

Le succès des Africains en Inde était dû à eux-mêmes, mais c’est aussi un témoignage fort de l'ouverture d'esprit d'une société dans laquelle ils constituaient une petite minorité religieuse et ethnique, d’un statut inférieur à l’origine. En tant qu’étrangers et musulmans, les Africains régnaient sur les populations indigènes hindoues, musulmanes et juives. Cela aurait été impensable en Occident.

Aujourd'hui, dans un pays de 1,2 milliard d'habitants, il y a environ 50.000 à 70.000 descendants africains. Ce n'est donc pas surprenant que la plupart des Indiens n'aient jamais entendu parler d'eux. Beaucoup de gens sont informés du célèbre Malik Ambar du 16ème siècle, un ancien esclave éthiopien qui était devenu Premier ministre et régent, et était un ennemi farouche des Moghols, mais certains ne sont pas conscients qu'il était africain.

Notre exposition voyagera en Inde et cela permettra de mettre la place des Africains dans l'histoire de l'Inde, dans la conscience de plus de gens.

Q: Quel est l'état actuel de ces Africains en Inde? Dans la plupart des cas, pourquoi pensez-vous qu'ils continuent à vivre dans la pauvreté? R: Une majorité des Sidis (les Africains en Inde sont appelés Sidis) vivent dans la pauvreté ou font partie de la classe ouvrière: chauffeurs, domestiques, agents de sécurité, etc. D'autres sont des agriculteurs et certains appartiennent à la classe moyenne. Selon leurs propres organisations, le manque d'éducation et d'un leadership fort constitue un obstacle.

Certains Sidis sont reconnus comme des “tribus répertoriées” et profitent de programmes de discrimination positive, mais d'autres sont privés de ce statut ou ne bénéficient pas de l’opportunité de le mettre à profit.