CAMEROUN: Des femmes au Sénat malgré leur nombre limité

YAOUNDE, 29 mai (IPS) – Marlyse Aboui n’en revient pas! Le mois de mai a été riche en émotion pour cette infirmière de 40 ans, nommée au Sénat par le président du Cameroun, Paul Biya puis, et désignée, quelques jours plus tard, au bureau d’âge de cette institution en cours d’installation.

«C’est un rêve et je crains d’être réveillée à tout moment. Lorsque j’ai appris que je faisais partie du bureau d’âge, je me suis dit que ça ne pouvait pas être vrai. Je me demandais ce que j’ai bien pu faire pour être nommée ainsi par le président de la République», raconte-t-elle à IPS. Présidente de section de l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP), un parti d’opposition dans la région de l’Est du Cameroun, Aboui fait donc partie des 20 femmes présentes au Sénat camerounais, sur 100 membres. «C’est un honneur dont j’estime toute la valeur», affirme-t-elle. Son sentiment est partagé par Nicole Okala Bilaï, sénatrice du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir. Cette femme élue à Mbagassina, dans la région du Centre du pays, espère mettre à profit sa présence au sénat pour révolutionner l’école camerounaise. Sur les 30 sénateurs nommés par le président, trois sont des femmes, tandis que 17 autres figurent parmi les 70 qui ont été élus le 14 avril 2013.

Alors qu’Aboui a encore du mal à comprendre sa présence au Sénat comme sénatrice titulaire, les associations de défense des droits des femmes et les femmes engagées en politique se disent satisfaites par la nomination de quelques femmes dans cette institution. Yvonne Muma Bih, membre du Comité exécutif national du 'Social Democratic Front' (SDF) le principal parti d’opposition, ne se fait pas de doute. «L’accession des femmes à cette fonction ne peut que réconforter celles qui ploient encore sous le joug de la domination masculine et qui se disent que les femmes ne peuvent pas se lancer en politique. On a fait mieux que certaines démocraties européennes et il faut s’en réjouir», estime-t-elle. Pour le secrétaire général du RDPC, Jean Nkuete, «les candidatures féminines ont été fortement encouragées au cours de cette élection non pas pour respecter les quotas de genre, mais surtout pour souligner la place que notre parti accorde aux femmes et à leur vision».

Justine Diffo, la coordonatrice nationale du Réseau de soutien à la participation politique des femmes au Cameroun (More Women in Politics), estime que «20 pour cent, c’est trop faible. Les femmes peuvent faire beaucoup de choses en politique. On s’est souvent rendu compte que c’est grâce à leur force de persuasion que certains conflits sont évités de justesse».

«Alors, pourquoi leur refuser les 30 pour cent (réclamés par les femmes), d’autant que 20 pour cent, c’est pour l’ensemble du Sénat». Selon Diffo, la seule possibilité de répondre aux préoccupations relatives à la marginalisation des femmes, «était que le président de la République nomme 15 femmes sur les 30 sénateurs attendus par son acte». Bien que le quota réclamé n’ait pas été accepté, estime l’Association contre les violences faites aux femmes, il faut se féliciter du pas franchi. En effet, la loi du 19 avril 2012 sur le Code électoral du Cameroun offrait des opportunités de réduction du déficit de genre observé dans la gouvernance électorale, par l'insertion des dispositions prescrivant la prise en compte du facteur genre dans le processus. Ainsi, les articles 151, 164, 181 et 218 du Code électoral visent à améliorer durablement la participation politique des femmes ainsi que leur proportion dans l'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives.

Cette amélioration est attendue avec beaucoup d’intérêt par ces femmes qui, au fil du temps, s’investissent de plus en plus dans les différentes sphères de la vie politique nationale. Ainsi, une étude de l’Institut national des statistiques (INS), publiée à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, note, par exemple, un léger regain de la présence des femmes à l’Assemblée nationale. Selon l’INS, entre 1992 et 2002, on est passé de 23 à 10 femmes sur 180 députés à l’Assemblée nationale. Mais, entre 2002 et 2012, les femmes députées sont repassées de 10 à 25. Dans les mairies, elles étaient juste 24 femmes entre 2007 et 2012 sur les 360 maires que compte le Cameroun dont la population est de 20,129 millions d’habitants, selon la Banque mondiale en 2012. En outre, ce pays d’Afrique centrale compte neuf femmes au gouvernement dont six ministres titulaires, et quatre femmes au poste de directeur général de société d’Etat.

Claude Abé, un sociologue enseignant à l’Université catholique d’Afrique centrale de Yaoundé, la capitale, explique à IPS les causes de la faible représentativité des femmes dans les instances de prise de décisions: «Sur le plan structurel, la société camerounaise est entre tradition et modernité. Cette situation…fait qu’il y a de nombreux éléments de continuité et de permanence, qui relèvent de la tradition, qui continuent de jouer dans notre société». «Il y a une catégorie de femmes qui sont de véritables obstacles aux femmes: elles ne sont pas prêtes à voter une femme parce qu’elle est femme tout simplement», affirme-t-il. En outre, beaucoup d’hommes croient encore que les femmes doivent s’occuper de la maison, tandis que plusieurs femmes croient toujours qu’elles n’ont pas leur place en politique.

Abé ajoute: «La politique demande aussi de l’argent. Très souvent, la plupart des femmes sont financièrement dépendantes du portefeuille des hommes, ce qui constitue une limite à leur engagement politique».