SENEGAL: Le président exhorté à sauver les sardinelles

WASHINGTON, 16 avr (IPS) – Quelques heures après la rencontre du président sénégalais Macky Sall avec le président Barack Obama en mars, à Washington, il est entré dans la salle de réunion d'un hôtel pour recevoir le Prix Peter Benchley pour la gestion nationale des océans, le seul prix pour la préservation des océans, décerné aux chefs d'Etat.

Comme il l'avait promis lors de sa campagne, Sall, dès son élection il y a un an, a annulé une série de contrats impopulaires que son prédécesseur avait signés avec des navires industriels étrangers qui captent d'énormes quantités de sardinelles, un poisson de mer épuisé qui constitue maintenant la principale source de protéines animales en Afrique de l'ouest, et le transforment en farine de poisson pour l'aquaculture étrangère.

“Le président Sall avance maintenant avec des plans pour garantir une pêche intérieure durable sans exploitation étrangère, créant un modèle pour l'Afrique de l’ouest et le monde”, a déclaré Wendy Benchley, la veuve de Peter Benchley, l’auteur du roman intitulé “Jaws”, avant de lui remettre le prix, pendant que les représentants de Greenpeace et de la Banque mondiale applaudissaient.

Mais dans une interview accordée juste avant la cérémonie, Sall a indiqué que l'interdiction n'était pas permanente et qu'il avait l'intention de ramener les chalutiers étrangers de la sardinelle dans six mois. “Nous donnons au stock un an et demi pour récupérer”, a-t-il dit à IPS. “Maintenant, nous devons trouver une approche responsable de la gestion de cette pêche de façon durable afin que nos pêcheurs puissent pêcher et que les chalutiers étrangers soient aussi en mesure d’opérer dans des conditions strictement contrôlées”.

“Ce serait suicidaire”, estime Philippe Cury, qui dirige un institut de recherche sur les pêches à Sète, en France, et qui a étudié les pêches en Afrique de l’ouest. “Il n’y a pas encore assez de sardinelles comme ça”.

Les navires étrangers de la sardinelle ont considérablement réduit la population, qui se déplace entre le Sénégal et la Mauritanie, pêchant plus de deux fois qu'ils ne peuvent entretenir sans se retirer, selon un rapport scientifique publié par le Comité des pêches pour l'Atlantique oriental et central, a-t-il souligné.

Ce rapport, qui est sorti en mars, un an après le départ des chalutiers russes, indiquait que même la flotte sénégalaise de pirogues prenait trop de poissons et devrait être limitée.

“C’est très difficile de dire aux pêcheurs locaux d'arrêter de pêcher pour nourrir leur pays alors que les chalutiers industriels étrangers sont autorisés à emporter une grosse prise”, a expliqué Daniel Pauly de l'Université de la Colombie britannique, au Canada, qui étudie les pêches dans le monde en développement. “Maintenant que cela a été fait, le Sénégal peut essayer de réduire sa propre prise afin que les populations de sardinelles puissent se reconstituer”.

Didier Gascuel de l'Université européenne de Bretagne à Rennes, en France, qui est l'un des auteurs du rapport, a déclaré: “Même si la prise artisanale reste à ce niveau, les sardinelles ont la chance de se reconstituer”.

Notant que les populations de sardinelles augmentent et diminuent naturellement en fonction des différences de courants et de conditions météorologiques, il a ajouté: “Mais s’ils ramènent les chalutiers industriels, une seule mauvaise année suffirait pour que le stock soit décimé”.

L’Afrique du nord-ouest, où les courants riches en nutriments montent depuis des profondeurs, se vante de posséder l'une des zones de pêche les plus riches au monde, accordant historiquement une prise abondante à sa population côtière et fournissant des dizaines de milliers d'emplois. Les pêcheurs sénégalais sont parmi les plus doués en Afrique et le plat national, le Thiéboudienne, est basé sur un mérou succulent appelé le thiof. D’autres poissons précieux ainsi que des homards et des crevettes étaient aussi abondants.

Mais à partir des années 1960, des chalutiers européens et soviétiques sont apparus, traînant des râteaux équipés de filets en bas et détruisant l'habitat dont dépendent les poissons et les crustacés. Ils vendaient les poissons à l'étranger après avoir versé aux gouvernements un infime pourcentage de leur valeur pour le droit de les capturer.

“Jusque dans les années 1980, la prise était de 80 pour cent de poissons de fond et de 20 pour cent de sardinelle, qui était connue comme le poisson des pauvres”, a indiqué Cury, un scientifique français. Aujourd’hui, les proportions sont inversées”.

“Il n'existe plus de poissons de fond”, a déclaré Abdou Karim Sall, président de la principale association de pêcheurs, qui n’a aucun lien avec le président. “La sardinelle constitue tout ce qui nous reste”.

La plupart des sardinelles sont trempées dans l’eau salée et séchées, ce qui leur permet de garder leur valeur nutritive pendant de longues périodes sans réfrigération. Elles sont vendues dans toute la région aride du Sahel, où la saison des pluies dure seulement trois mois. C'est la principale source de protéines animales pour des dizaines de millions d'Africains pauvres, selon Birane Samb, un chercheur sénégalais sur les pêches.

En 1994, l'indignation du public en Europe et des manifestations au Sénégal ont entraîné le non-renouvellement des permis de pêche aux flottes de chalutiers à pavillon étranger. D'autres pays en Afrique ont fait de même et aujourd'hui, la Mauritanie et le Maroc sont les derniers à avoir des accords avec l'Union européenne, et ceux-ci peuvent ne pas être renouvelés.