NIGER: Les citoyens blâment les sociétés qui exploitent l’uranium

NIAMEY, 13 avr (IPS) – La société civile et les travailleurs des mines du Niger dénoncent les dégâts écologiques et sociaux provoqués par Areva et la Somina, accusant les deux sociétés – l’une française et l’autre chinoise – qui exploitent l’uranium dans le nord de ce pays sahélien.

La Synergie des organisations de la société civile (SOSC) a appelé les habitants d’Arlit, la cité minière du nord, à manifester, dimanche 14 avril, contre une longue liste de griefs retenus à l’encontre du géant du nucléaire français. Ce sont notamment les difficultés d’accès à l’eau potable et d’assèchement de la nappe phréatique, ainsi que les problèmes sanitaires et environnementaux liés à l’exploitation minière. Interpellé par la société civile, l’Etat nigérien acquiesce, mais peine à trouver un compromis.

«Trop, c’est trop!», s’exclame Sanissou Harouna, membre du Syndicat des mineurs d’Azelik, dans le nord du Niger. Les 600 travailleurs nigériens de la Société des mines d’Azelik (Somina), contrôlée en majorité par des capitaux chinois, sont en grève illimitée depuis le 21 mars. Ils mettent en cause les conditions de travail dangereuses et indignes. «Nous manquons de matériel pour mesurer la radioactivité et nous protéger. Et nous travaillons dans l’insécurité», souligne-t-il à IPS. «Le mois dernier encore, un agent est mort. Nous n’avons pas pu l’emmener à l’hôpital, le plus proche étant situé dans la ville d’Ingall, à 80 kilomètres…», ajoute-t-il.

Face à la colère des mineurs, la direction reste silencieuse, tandis que l’Etat nigérien cherche à renouer les négociations entre le syndicat et l’entreprise, car «la fermeture de la mine d’Azelik pénaliserait tout le monde: les mineurs, les actionnaires et l’Etat», prévient Abdou Abderrahmane, directeur mines et géologie au ministère des Mines du Niger. Abderrahmane estime, toutefois, que les mineurs doivent faire le premier pas. «Nous leurs avons dit que la Somina souffre d’un dépassement budgétaire de plus de 50 milliards de francs CFA (environ 76 millions d’euros). Ils ont donc accepté de modérer leurs revendications, à condition que la direction générale fasse un geste en échange».

Le blocage du côté de la direction tient surtout sur la demande de hausse de salaire des grévistes. «Les cadres nigériens gagnent 200.000 FCFA (305 euros) et les ouvriers 120.000 FCFA (182 euros) par mois. Aux mêmes postes, les 100 Chinois qui travaillent avec nous touchent cinq fois plus», s’insurge Harouna.

«Avant même la grève, la production était déjà presque arrêtée», explique Abderrahmane à IPS, ajoutant que «pour sauver le navire, il va falloir faire des sacrifices de part et d’autre». Il annonce toutefois qu’un audit sera bientôt réalisé à Azelik, afin de contrôler le respect du droit du travail et de l’environnement sur le site minier.

La dégradation de l’environnement est une des premières sources d’inquiétude de la société civile d’Arlit, la cité minière située à 150 km au nord-est d’Azelik, où Areva a extrait plus de 120.000 tonnes d’uranium en 41 ans d’activité, selon la société. «L’éternel problème de l’accès à l’eau potable et de l’assèchement de la nappe phréatique, les problèmes sanitaires et environnementaux liés à l’exploitation minière, et l’état déplorable de la route de l’uranium (Tahoua-Arlit, 488km)…» constituent la liste fréquemment présentée à la société minière française. «Ce sont des revendications traditionnelles que nous portons depuis 2003. Mais elles sont toujours restées lettre morte», regrette Azaoua Mahaman, coordinateur de la SOSC. Dans une étude de terrain réalisée en 2009, l'ONG Greenpeace avait relevé des taux de radiation d’environ 500 fois supérieurs à la normale dans les rues d'Akokan, une cité minière située à quelques kilomètres d’Arlit, où se trouve la Cominak, une filiale d'Areva.

De son côté, le service de communication d’Areva assure «développer un dialogue régulier avec la société civile, avec les élus locaux et les autorités. Ce dialogue s'inscrit notamment dans le cadre de commissions locales d'informations qui permettent un échange direct».

A Arlit, Areva a déjà répondu aux exigences de la société civile en instaurant un Observatoire de la santé de la région d’Agadez (OSRA), dans le nord, chargé du suivi médical des anciens mineurs exposés à la radioactivité. Mais à la fin-décembre 2012, Sherpa, une association française de juristes et d’avocats engagée dans le processus, s’est retirée en dénonçant une «opération de communication» de la part d’Areva.

Toutefois, les opinions divergent aussi entre les organisations de la société civile nigérienne. Selon Ali Idrissa, coordinateur du Réseau des organisations pour la transparence et l'analyse budgétaire (ROTAB), «l’appel du SOSC – à manifester – est lié aux blocages au sein de l’OSRA. Son coordinateur, Azaoua Mahaman (SOSC), étant salarié de l’observatoire de la santé, ne cherche-t-il pas à faire du bruit pour qu’Areva réactive l’OSRA?» Pour sa part, Ibrahim Manzo Diallo, le coordinateur de l’association 'Alternative espaces citoyens' à Agadez, reconnaît que «la société civile est coupée en deux à Arlit. Mais les revendications restent les mêmes».

Et ces revendications ont retenu l’attention du ministère des Mines, selon Abderrahmane. «Nous savons que l’état de la route Tahoua-Arlit est déplorable et nous cherchons une solution rapide. Quant à l’eau potable, nous explorons actuellement la région pour trouver des zones de captage et garantir la gratuité de son accès pour la population», affirme-t-il.