DEVELOPPEMENT: Les politiques alimentaires négligent les affamés du monde

WASHINGTON, 18 mars (IPS) – La sécurité alimentaire mondiale demeure “vulnérable”, indiquent de nouvelles données, avec quelque 870 millions de personnes souffrant d’une faim soutenue et deux milliards ayant des carences en micronutriments.

L'Institut de recherche sur la politique alimentaire (IFPRI), un groupe de réflexion basé Washington, estime que ces chiffres sont “élevés de façon inadmissible”, et prévient que les programmes de lutte contre la faim ont été “parcellaires”.

Dans un important rapport annuel sur l'état de la politique alimentaire mondiale, publié le 14 mars, l'organisation a déclaré qu’il y avait quelques réalisations positives faites en 2012, mais qu'un certain nombre de changements de politique sont toujours nécessaires.

Des emplois croissants Le rapport identifie le développement agricole comme un grand créateur potentiel d'emplois, en particulier pour les jeunes. Dans les pays en développement, cependant, il prévient que les jeunes ne voient plus l'agriculture comme une carrière viable, se tournant plutôt vers les zones urbaines pour le travail.

Les dirigeants en Afrique subsaharienne – une région ayant la plus forte croissance démographique ainsi que la population la plus jeune au monde – se tournent aujourd'hui vers la création des emplois dans l'agriculture, utilisant de nouvelles technologies et techniques agricoles. Ce faisant, ils espèrent encourager la main-d'œuvre émergente jeune et innovante de manière qu'elle puisse avoir un impact transformateur sur la croissance économique et le développement social.

Des rendements plus élevés de la production, après tout, créeraient simultanément des emplois, des prix plus bas des denrées alimentaires, et réduiraient la faim et la malnutrition.

“L'agriculture dans la plupart des pays en développement est un secteur à forte intensité de main-d'œuvre et représente une grande partie de la population active”, a déclaré à IPS, Lester Brown, fondateur de 'Earth Policy Institute' (Institut des politiques de la terre), un groupe de plaidoyer basé à Washington.

“Ces dernières années, de grandes entreprises ont introduit un type d'agriculture à forte intensité de capital et fortement mécanisée, mais emploie très peu de personnes, il y a eu donc une énorme perte d'emplois. En outre, l'agriculture moderne nécessite des infrastructures modernes – électricité, silos à céréales, stockage des engrais et expertise mécanique. Pour y arriver, cela exige beaucoup d'investissement, mais si c'est fait correctement, le secteur non agricole se développera avec le secteur agricole”.

Cependant, s’il est correctement géré, les experts de la politique alimentaire affirment que le potentiel du secteur en matière d'emplois est important.

“L'agriculture en Afrique est désormais reconnue comme une source de croissance et un instrument pour l’amélioration de la sécurité alimentaire”, a indiqué Sheggen Fan, directeur général de l'IFPRI, le 14 mars.

“L'agriculture en Afrique peut absorber de grands nombres de nouveaux demandeurs d'emploi. Mais pour que l'agriculture soit un secteur techniquement dynamique et à haute productivité qui contribue à la sécurité alimentaire, elle aura besoin d'un afflux de main-d'œuvre jeune instruite et innovante”.

Les conflits alimentent la faim Les chercheurs de l'IFPRI identifient les conflits violents, en particulier en Afrique centrale, comme à la fois une cause et une conséquence de la sécurité alimentaire.

“Les violences en Afrique…, notamment au Nigeria, qui représente plus d'un quart de l'agriculture en Afrique subsaharienne ont diminué la croissance de la production et la sécurité alimentaire, et ont eu des conséquences sociales et économiques dramatiques”, a expliqué Mary Bohman, un responsable au département américain de l'Agriculture, le 14 mars, lors d’une table ronde.

Les conflits armés dans le nord du Mali et le regain des violences en République démocratique du Congo auraient entraîné le déplacement d'environ trois millions de personnes dans la région et forcé 70.000 autres à fuir vers les pays voisins.

Les combats en Somalie et au Yémen, la guerre civile en Syrie, et les troubles à travers la région à la suite du Printemps arabe ont été aggravés par la faiblesse de la pluviométrie.

La sécheresse en Asie centrale, en Europe de l'est et aux Etats-Unis a eu un impact considérable sur la production agricole et l'approvisionnement à travers le monde. Environ 80 pour cent des terres agricoles aux Etats-Unis ont été touchées par la sécheresse la plus grave en un demi-siècle, alors que des températures élevées et de faibles précipitations ont réduit la production de blé en Australie, au Kazakhstan, en Russie et en Ukraine – parmi les plus gros producteurs et exportateurs de blé.

Selon plusieurs écologistes, de tels extrêmes seront seulement exacerbés à mesure que les changements climatiques évoluent – avec d’autres risques pour la sécurité alimentaire.

“2012 a été une année extraordinaire pour les chercheurs sur les changements climatiques”, a affirmé Andrew Steer, président de l'Institut des ressources mondiales (WRI), un groupe de réflexion.

“Au cours de l'année écoulée, il a été généralement admis que le monde verra une augmentation de deux degrés de la température moyenne. Mais même dans ce cas, la production alimentaire, la dégradation des terres, la déforestation ne sont pas les seuls problèmes – nous parlons de risques de l'eau à travers ce spectre et la flambée des prix des denrées alimentaires”.

Il a déclaré que le nouveau rapport de l'IFPRI propulse la question de l’alimentation au centre de la discussion sur les changements climatiques.

Le facteur genre Des experts se concentrent de plus en plus sur le rôle central de l'égalité de genre dans la promotion de la croissance agricole et la sécurité alimentaire. En effet, lors de l'événement du 14 mars, les présentateurs avaient affiché un enthousiasme particulier par rapport à ce nouveau point.

Seulement au cours de 2012, de nouvelles preuves sur le rôle du genre dans la productivité agricole ont émergé, y compris le Rapport annuel de la Banque mondiale sur le développement du monde. Ces nouvelles données indiquent que le rendement agricole et la sécurité alimentaire s’améliorent à la fois grâce aux réformes agricoles et non agricoles qui augmentent l'accès des femmes aux ressources de production.

En outre, il a été montré que les contributions des femmes à l'agriculture dans les pays en développement apportent des gains globaux dans la productivité agricole ainsi que des avantages nutritionnels accrus. Ces contributions améliorent également l'accès des femmes à l'éducation, la technologie et aux services financiers.

“Quand vous regardez les statistiques sur le nombre de femmes agricultrices dans le monde, il se situe généralement entre 40 et 80 pour cent dans les pays en développement”, a indiqué à IPS, Danielle Nierenberg, co-fondatrice de 'Food Tank' (Réservoir alimentaire), un groupe de réflexion à Washington.

“Cependant, ces femmes n'ont pas accès aux mêmes ressources que les hommes; n’ont pas accès aux services de vulgarisation, au crédit ni la capacité d'effectuer des transactions financières, elles ne possèdent pas souvent de terre ou sont interdites de posséder de terre”.