Q&R: "Une femme éleveuse est comme une machine qui travaille"

NATIONS UNIES, 16 mars (IPS) – “Dans certaines communautés, vous ne pouvez pas parler de violence contre les femmes”, affirme Agnès Leina, directrice exécutive de 'Il'laramatak Community Concerns' (ICC), un groupe faisant la promotion des droits humains des communautés pastorales dans le nord et le sud du Kenya, avec un accent particulier sur les femmes et les filles.

“Pour nous, la CSW est un espace pour faire entendre nos voix et proposer des stratégies et des suggestions pour mettre fin aux violences. C'est un espace très important pour les femmes de parler des violences, d’obtenir des résolutions et de tracer une voie à suivre”, a-t-elle déclaré à IPS, en marge de la 57ème Commission de la condition de la femme (CSW) au siège des Nations Unies.

Le correspondant d’IPS, Mathieu Vaas, a parlé avec Leina de la situation des femmes dans les communautés pastorales et de la façon dont la CSW peut aider à changer les mentalités machistes. Voici quelques extraits de l'interview.

Q: Dans votre travail avec le Comité de coordination des peuples indigènes d'Afrique (IPACC) et l’ICC, vous avez lutté pour les droits des femmes éleveuses indigènes africaines. Quelle sont exactement la place et le rôle de la femme dans ces communautés? R: Une journée typique pour une femme éleveuse serait de se réveiller très tôt autour de 5 heures du matin, d’aller traire les vaches et d’aller chercher de l'eau et ramasser du bois de chauffage. Ensuite, elle reviendrait pour préparer la nourriture aux enfants et le lait encore dans la soirée. Certaines d'entre elles conduisent également des troupeaux et recherchent les chèvres.

Les choses changent lentement parce que la plupart d'entre elles commencent à entrer dans l'économie de marché. Elles veulent vendre de petites choses afin de pouvoir obtenir un peu d'argent. Elles trairaient leurs vaches et iraient en ville pour vendre le lait.

Une femme éleveuse est en réalité comme une machine qui travaille, elle œuvre très dur sans repos. Les hommes surveillent les vaches et les emmènent aux points d'eau qui sont parfois très loin et reviennent le soir espérant qu'il y aura de la nourriture. Je pense que la femme a plus de travail que l'homme en dehors des devoirs normaux d'une épouse et d’une mère.

Q: Avez-vous noté un changement dans les perspectives culturelles sur le rôle des femmes et la violence telles que les mutilations génitales dans les communautés pastorales? R: Oui, il y a un peu de changement, en particulier pour les femmes qui sont allées à l'école. La plupart des femmes qui sont allées à l'école ne sont pas disposées à faire exciser leurs filles et elles sont plus susceptibles d’avoir une meilleure économie et par conséquent une carrière.

Pour les femmes qui sont instruites, c'est un très grand changement. Mais pour les femmes qui ne sont pas allées à l'école, il n'y a pas un seul changement. Elles veilleront à ce que leurs filles soient mutilées et elles feront en sorte qu'elles soient mariées très tôt parce qu’elles ne comprennent pas du tout l'importance de l'éducation.

Donc, certainement pour elles, il est important de maintenir la tradition, le mariage, et la culture, pas l'éducation – ce n'est pas une question affective.

[Au même moment] nous avons tant de femmes leaders en Afrique et le rôle des femmes change. Les femmes occupent des postes de direction au sein du parlement, dans les bureaux. C'est comme une pyramide, il y en a beaucoup moins au [haut] niveau. Certaines communautés sont meilleures que d'autres.

En Ouganda, par exemple, nous avons encore un certain nombre de communautés analphabètes. Au Rwanda, ils ont le plus grand nombre de femmes au parlement en Afrique. La situation des femmes change lentement, mais cela dépend de quel pays vous parlez. En tant qu'Africaine, je pense que le patriarcat africain est très fort et nous avons du chemin à faire. Mais c’est bon de rompre le silence.

Q: L’IPACC met en lumière le problème de l'accès aux soins de santé et à l'éducation pour les communautés pastorales indigènes. Comment arrivez-vous à atteindre les femmes de ces communautés? R: Au Kenya, le plus haut niveau d'analphabétisme se trouve chez les communautés pastorales et c'est pourquoi l’ICC travaille dur pour s'assurer qu'il y ait l'éducation. Nous le faisons à travers un leadership transformateur. C'est une façon de fixer des objectifs.

Les filles savent qu'elles ont un avenir et un but à atteindre. Elles savent qu'elles ont quelque chose sur lequel il faut travailler dur et quelque chose à attendre avec impatience.

Nous avons un slogan adapté du livre 'Alice au pays des merveilles': “Si vous ne savez pas où vous allez, n'importe quelle route vous y mènera”. Si elles n'ont aucun objectif dans la vie, aucun but, elles n'ont aucune idée de là où elles vont.

Un jour, un père dira à sa fille: “Je veux que tu épouses mon ami parce que je n'ai pas de vaches. Alors, je veux que tu te maries afin que je puisse avoir un certain nombre de vaches parce que je deviens plus pauvre”. C'est une question affective pour une fille éleveuse et un homme éleveur et pour cette raison, la fille accepterait de se marier.

Nous disons aux filles: “Imaginez-vous dans 15 ans, qu’aimeriez-vous être?” Et la plupart d'entre elles se fixent des objectifs. “Je voudrais être médecin, pilote, chirurgienne ou une députée”. Puis elles commencent à poursuivre cet objectif afin que quand leurs pères leur demanderont de se marier, elles leur diront d'attendre qu’elles d'obtiennent un emploi et elles achèteraient les vaches. Et le père sera d'accord et laissera la fille poursuivre les études et mener une carrière.

Nous voulons créer un fonds en fidéicommis parce que l'enseignement primaire est gratuit, mais l’enseignement secondaire ne l'est pas. Cela était une promesse faite depuis des années, qui n'est pas encore honorée. Quand elles ont une carrière, elles ont une voix pour dire non aux choses qui les ramènent en arrière.